Kinshasa se cherche encore des classes moyennes

Dans une étude consacrée à la capitale de la RDC, publiée par l’IFRI, la chercheuse au programme Afrique subsaharienne à cet institut, Clélie Nallet, est formelle : il n’en existe pas encore, qui soient « massives » et « stabilisées ». Mais il y a beaucoup de personnes qui sont dans une situation « intermédiaire ».

Dans un entretien à Radio France Internationale (RFI), la chercheuse à l’Institut français des relations internationales (IFRI), Clélie Nallet, a déclaré qu’en République démocratique du Congo, 7 ménages sur 10 sont considérés comme « pauvres ». Clélie Nallet s’intéresse de près aux classes moyennes et à leur émergence sur le continent africain. Pour faire cette déclaration, elle s’est fondée sur sa dernière étude, consacrée à la ville de Kinshasa, capitale de la RDC. D’après elle, on ne peut pas parler de « classes moyennes massives ou stabilisées à Kinshasa. Néanmoins, il y a beaucoup de personnes qui sont dans une situation économique intermédiaire. » Qu’est-ce à dire ?

Il y a une dizaine d’années, une enquête de l’Institut national de la statistique (INS) sur le secteur informel avait dénombré environ 2,9 millions d’unités de production informelles (UPI) dans l’ensemble des centres urbains de la RDC, dans les branches marchandes, y compris agricoles. Sans doute, les lignes ont bougé entre-temps, avec la croissance démographique galopante et l’accentuation de la crise socio-économique dans le pays. Faute de données actualisées, ces chiffres permettent néanmoins de faire une projection sur la situation actuelle, toutes proportions bien gardées.

Ainsi, les agglomérations congolaises rassemblent pratiquement autant d’UPI que de ménages. Une grande figure de la musique congolaise, Pascal Tabu Ley, a chanté dans les années 1980, déjà, qu’à Kinshasa, chaque famille était devenue commerçante (« Kinshasa, lopango nionso ekoma commerçant »). C’est dire l’importance économique des activités informelles pour la population urbaine.

L’informel, un secteur prépondérant

L’enquête de l’INS est une mine d’informations pour comprendre la situation. Si les UPI se concentrent dans les secteurs de circulation, notamment commerciaux, souvent plus faciles à créer et demandant relativement peu de qualifications spécifiques, les activités de type agricole ou industriel jouent un rôle non négligeable. Selon la stratification des activités en quatre grands secteurs, le commerce compte 47,3 % des unités de production informelles, les activités agricoles (22,2 %), l’industrie (19,3 %) et les services (11,2 %) dans l’ensemble des villes de la RDC. À Kinshasa, la répartition des UPI par grands secteurs donne 60,1 % pour les activités commerciales au détriment des activités agricoles (8,5 %).

Par ailleurs, le secteur informel se caractérise par une grande précarité des conditions d’activité. Plus de la moitié des UPI des agglomérations congolaises fonctionnent sans local professionnel spécifique et 31,2 % exercent leur activité à domicile. Les 2,9 millions d’unités de production informelles génèrent environ 3,4 millions d’emplois, soit une taille moyenne de ces établissements informels de 1,3 personne. Il apparaît donc que le secteur informel est atomisé et massivement constitué de micro-unités (travailleurs à comptes propres notamment).

Selon l’enquête de l’INS, la majorité des UPI sont en fait des « travailleurs à compte propre » : 83,8 % des UPI sont réduites à une seule personne. Cette distribution fortement polarisée sur l’auto-emploi est un indicateur de la faible capacité d’accumulation d’un secteur informel qui semble surtout se développer par un processus de croissance extensive, caractérisé par la multiplication des unités de production. L’absence de protection sociale, de sécurité et de garanties est la caractéristique principale des emplois proposés à la main-d’œuvre du secteur informel. L’examen des particularités des emplois informels des travailleurs dépendants montre en premier lieu que si 57,7 % de cette main-d’œuvre bénéficie d’un statut d’employé permanent, presque 96 % du personnel ne dispose d’aucun contrat écrit, ce qui constitue un indice de « l’informalité » des relations de travail entre employeur et employés dans le secteur informel.

Autre caractéristique : la moitié des emplois de l’informel sont occupés par des femmes. Ces emplois féminins sont à plus d’un titre, plus précaires que ceux des hommes. On trouve les femmes principalement parmi les travailleurs à leur propre compte (55,4 %) ; en revanche, il n’y a quasiment aucune femme salariée du secteur informel (5,6 %).

Temps de travail et rémunérations

Les normes légales régissant la durée du travail n’ont pas cours dans le secteur informel. La durée légale du travail est de 45 heures par semaine dans l’ensemble du territoire national, et on constate que les actifs du secteur informel travaillent en moyenne 48 heures par semaine. La situation diffère néanmoins à Kinshasa et autres centres urbains. La durée hebdomadaire moyenne de travail dépasse 50 heures à Kinshasa et est en-dessous de 47 heures pour les autres centres urbains.

La rémunération mensuelle moyenne, calculée sur l’ensemble des actifs du secteur informel, est d’environ 55 000 francs. En termes de revenu horaire, on obtient 348 francs en moyenne dans le secteur informel. Les travailleurs informels de Kinshasa s’en tirent légèrement mieux avec un revenu moyen égal à 1,3 fois celui des autres agglomérations, mais le coût de la vie est plus élevé dans la capitale.

Les femmes qui travaillent dans le secteur informel pâtissent d’un déficit de revenu très marqué par rapport aux hommes. En moyenne, les hommes perçoivent un revenu plus de deux fois et demi supérieur à celui perçu par les femmes, tout en travaillant moins d’heures qu’elles dans la semaine. Le capital constitue un facteur déterminant de la fonction de production des unités économiques. Dans une large majorité, le capital du secteur informel urbain est constitué de biens achetés neufs (73,8 %); Mais une partie non négligeable du capital existant (20 % du total) a été acquis d’occasion, particulièrement pour les véhicules professionnels (34 %), les locaux (30 %). Cette notion de qualité ne concerne pas les terrains. Le capital autoproduit par l’UPI ne se rencontre que dans le cas des locaux (10 % sont construits par l’UPI pour l’UPI) et l’outillage (8 %). Considéré globalement, il faut noter que près de 91,3 % du capital sont la propriété des UPI qui les utilisent, et seulement 4,8 % sont en location, 3,9 % utilisés en prêts ou partage. En fait, seuls les locaux et les machines sont les biens durables les plus souvent prêtés ou partagés (respectivement 9,8 % pour les terrains et locaux et 6,4 % pour les machines).

Cercle famillial ou amical

Dans toutes les agglomérations urbaines de la RDC, un peu plus de la moitié du capital provient directement du cercle familial ou amical, avec un maximum de 64,2 % à Kinshasa et un minimum de 49 % dans les autres urbains. Les fournisseurs constituent un second pourvoyeur de capital pour les UPI, à raison de 30,5 %. Banques et clients sont pourvoyeurs secondaires.

L’épargne individuelle représente le principal mode de financement du capital des UPI avec plus de 88,5 % de la valeur totale du capital. Ce résultat montre l’importance de l’autofinancement dans la dynamique d’accumulation du secteur informel. Il met aussi en lumière le faible degré d’organisation du système financier informel, puisque même les prêts d’origine familiale (3,5 %) ne jouent qu’un rôle secondaire dans l’obtention des fonds nécessaires à l’investissement,  sauf dans l’industrie (10,4%).