La crise de confiance

L’année qui vient de se terminer, a démarré sur les chapeaux des grandes attentes des populations congolaises. Le Programme des 100 jours du chef de l’État lancé en février, et plus tard la décision d’imposer la gratuité à l’enseignement de base et de supprimer la prise en charge des enseignants par les parents à tous les niveaux ont non seulement susciter beaucoup d’espoir, mais aussi montré qu’avec un peu de volonté politique, on peut donner rapidement un nouvel élan à notre pays.

L’ÉLAN tant attendu peine à se concrétiser, une année après l’élection présidentielle de décembre 2018. En tout cas, sur les berges de la rive gauche du fleuve Congo, on ne peut pas dire qu’on a fêté la Noël et le Nouvel An sous de favorables augures. Beaucoup de ménages auront traversé une année difficile, à en juger par le panier de la ménagère qui s’amenuise au jour le jour à cause de la dépréciation de la monnaie nationale. 

En effet, les ménages redoutaient que cette dépréciation n’impacte les prix sur le marché de consommation à la veille des fêtes de fin d’année. À ce propos, la Banque centrale du Congo (BCC) a tenté de rassurer, sans vraiment rassurer, l’opinion que la volatilité du franc congolais, observée notamment en novembre dernier, n’affecte pas la stabilité du cadre macroéconomique. La situation est au contraire sous contrôle : « Les facteurs de risque n’affectent pas le cadre macroéconomique. »

Ménages échaudés

Mais les ménages, eux, constatent que le taux de change a retrouvé pratiquement le niveau atteint en 2017. Année de frénésie au cours de laquelle le taux de change est monté en flèche d’environ 1 400 CDF=1 USD à 1 750 CDF=1 USD. À fin novembre, selon la Banque centrale, le cours indicatif s’est situé à 1 663,89 CDF=1 USD et le cours parallèle à 1 717,50 CDF=1 USD. Pour la Banque centrale, les facteurs de risque sont toujours présents bien que la stabilité du cadre macroéconomique reste « préservée », à cause de la pression exercée sur les prix des biens et sur le taux de change par le besoin de festivités de fin d’année. 

D’ailleurs, pour l’année 2019, la Banque centrale a communiqué des chiffres. Le taux de croissance est affecté par le fléchissement de l’activité économique : 4,6 %, contre 5,8 % en 2018. Mais il reste supérieur à la moyenne des pays de l’Afrique subsaharienne estimée à 3,2 % par le Fonds monétaire international (FMI). Le taux d’inflation, quant à lui, s’est établi à 4,58 %, contre 7,2 % en 2018, un niveau largement en deçà de l’objectif de moyen terme de 7,0 %, en dépit d’une évolution erratique des prix intérieurs avec un pic d’inflation mensuel de 0,59 % en décembre, en hausse de 0,19 point par rapport à novembre.

Les finances publiques sont marquées par un déficit annuel de 564,8 milliards de nos francs, contre 203,2 milliards en 2018. Après une stabilité au cours des dix premiers mois de l’année, le marché des changes a traversé une zone des turbulences à partir de fin novembre. La monnaie nationale a affiché une dépréciation mensuelle de 0,57 % (novembre) et 0,54 % (décembre), portant ainsi le taux de dépréciation cumulé fin période à 2,23 % à l’interbancaire. La même tendance observée sur le marché parallèle explique le taux de dépréciation cumulé de 2,94 %. Les taux indicatif et parallèle se sont fixés à 1 672,9 CDF=1 USD et CDF 1 725,6=1 USD, contre respectivement CDF 1 635,6=1 USD et CDF 1 675,0=1 USD à fin décembre 2018. 

Les réserves internationales ont connu une augmentation : 1,03 milliard de dollars à fin 2019, contre 660,03 millions à fin 2018. Soit 5,0 semaines d’importations des biens et services sur ressources propres, grâce notamment à l’encaissement d’une facilité de crédit rapide (FCR) de 368 millions de dollars dans le cadre du Programme de référence conclu avec le FMI…

Éviter l’euphorie

Pour Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, le gouverneur de la Banque centrale, il faut être sur ses gardes : « Nous ne devons pas verser dans l’autosatisfaction… Nous veillons au grain et sommes déterminés à poursuivre l’ajustement budgétaire au niveau du gouvernement et une politique prudente au niveau de la Banque centrale pour préserver le pouvoir d’achat de la population. »

Pour nombre de Congolais, l’alternance politique qui est intervenue au sommet de l’État, en décembre 2018, était ou est synonyme de restauration de l’homme congolais et du pays Congo après plusieurs décennies d’incurie. Aucun pays au monde ne s’est développé grâce à la corruption et tout ce qui va avec. Pour ces Congolais, également, le quinquennat de Fatshi (Félix Antoine Tshisekedi) est synonyme de « nettoyage des écuries » ou de « déboulonnement du système ancien » de gouvernance. 

Dans tous ses discours, le nouveau président de la République fait preuve de bonne foi. Mais en politique la bonne foi, seule, explique un politologue, ne suffit pas. Il faut davantage d’action. Heureusement, lui-même a décrété 2020 « année de l’action ». Léon Kengo wa Dondo, plusieurs fois 1ER Ministre et président du Sénat, ne disait-il pas qu’« un chef ne se plaint pas, il agit ». Partout, des voix qui se lèvent des profondeurs, on entend un seul et même message : la RDC a besoin d’un nouvel élan. Vite et maintenant !

Depuis 2016, les Congolais jugent sévèrement, jamais comme auparavant, leurs dirigeants. Les élections de décembre 2018 ont montré, raison gardée, le rejet du régime qui était au pouvoir par la population. Pour nombre de Congolais, il est encore trop tôt, certes, pour juger Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. « Mais pour combien de temps encore va durer la période de grâce ? », interpelle un fonctionnaire de l’État.

Prisonnier de « Le peuple d’abord » prôné par son défunt père, Etienne Tshisekedi wa Mulumba, et de la « base » de son parti, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), Fatshi devra avoir un lien avec les Congolais. « Mais il faut que ça soit un vrai lien, fondé sur le respect du peuple. 

Ce respect est fonction du quotient démocratique : que demande le peuple ? Sinon, les gens vont lui manquer de considération ». Unanimement, tous reconnaissent que Fatshi est un président « chaleureux », qui se veut proche de la population. Il a su le démontrer tout au long de l’année 2019.

Au tournant de l’An II

Un an après l’élection présidentielle congolaise, il faut avouer que le nouveau président issu de rangs de l’opposition n’a pas changé radicalement le système ancien. Certes, des signes positifs montrent qu’il a la volonté de voir le pays aller de l’avant. Mais Fatshi peut-il vraiment se réjouir de ce que les spécialistes de l’opinion appellent un choc de confiance, à même de se transformer en crise de confiance ? « Les convulsions du pays qui l’ont porté au pouvoir sont toujours là ». 

Nous avons été les premiers, dans les colonnes de l’édition n°206 du 21 au 27 janvier 2019 (Félix Tshisekedi : 100 jours pour convaincre), à avoir cerné les priorités de la présidence Tshisekedi. 

Nous écrivions alors ceci : [Félix Tshisekedi devra ne pas sous-estimer les difficultés et savoir pertinemment qu’il ne devrait pas s’ériger en donneur de leçons. Mais il doit se décider à redoubler d’ardeur en comptant notamment sur des appuis internes et extérieurs pour faire aboutir les « 350 mesures prioritaires » de son programme de campagne.] 

Techniquement, écrivions-nous à l’époque, la présidence de Tshisekedi devra, de toute façon, se dérouler dans le cadre de cinq dossiers clés : paix et sécurité (notamment dans l’Est) ; primauté de l’État de droit ; protection des libertés individuelles et démocratiques ; lutte contre l’impunité, la corruption et l’enrichissement sans cause ; amélioration du climat des affaires pour attirer les investisseurs, création d’emplois et de croissance. 

Sur deux dossiers au moins, le « séisme » électoral risque de faire sentir ses effets : la paix et la sécurité et la relance de l’économie. Sur le premier, il faut donner plus de « vigueur » à l’Accord-cadre d’Addis-Abeba pour le retour de la paix et la stabilité à l’Est. La relance de l’activité économique et le développement durable dans les provinces touchées (notamment le riche Nord-Kivu) sont à ce prix-là. Sur le second, le nouveau président n’aura pas de répit si les chefs d’entreprises ne retrouvent pas le moral, ni si le pouvoir d’achat des Congolais ne se reprend pas, ni si les emplois ne sont pas créés…

En réalité, les Congolais veulent que le « Président de l’alternance » se pare d’un dispositif très dissuasif pour vider rapidement le pays des antivaleurs et améliorer les conditions de vie du peuple congolais. « Il faut qu’on sente qu’il y a un pilote dans l’avion. » C’est par cette formule qu’un père de famille résume l’état actuel.