La décentralisation fiscale en RDC, un modèle à réinventer et un cadre juridique à repenser

Simon Kanduki Zamby, est un expert en finances publiques. Dans cet article, il pose le problème de la refondation des finances publiques de l’État congolais dans le contexte actuel de la décentralisation. Comme l’un des moyens qui peuvent mieux booster les finances locales pour faire des provinces et leurs ETD le fer de lance de l’émergence du Congo.

 

INTRODUCTION : 

Le propos de cet article est de poser le problème de la refondation des finances publiques de l’État congolais dans le contexte actuel de la décentralisation. Nous tentons d’avancer certains éléments de réflexion sur l’état de la décentralisation fiscale en RD Congo et la  nécessité urgente de la reconsidération des textes existants en vue de l’émergence du Congo et de l’atteinte des Objectifs  de Développement Durable. En effet,  la décentralisation fiscale, en tant que remise en cause du monopole  du gouvernement central dans la gestion des impôts et taxes entre autres, est l’un des moyens, dans les circonstances sociopolitiques actuelles, qui pouvaient mieux booster  nos finances locales en vue de faire des  provinces et leurs ETD (entités territoriales décentralisées) le fer de lance de l’émergence du Congo.

Pour rappel, la nouvelle constitution de la République Démocratique du Congo (RDC), promulguée le 18 février 2006 a consacré la décentralisation comme un des modes de gestion susceptibles d’améliorer la gouvernance du pays et de permettre la libération des énergies à la base pour susciter un développement local au visage plus équitable grâce à l’émergence des nouveaux acteurs publics, à savoir les provinces et les ETD.

Depuis cette année, la décentralisation telle que vécue dans des entités politiques et territoriales est restée abstraite. Au-delà de l’exercice anti-démocratique du pouvoir à la base, faute d’organisation des élections au niveau provincial et local, ces entités exercent très faiblement leurs compétences, faute des ressources financières adéquates. Le constat troublant est que le système de gestion des finances publiques reste fortement centralisé voilà bientôt douze ans.

Dans ce contexte, les finances publiques des provinces et leurs Entités Territoriales Décentralisées sont mises sous perfusion financière du gouvernement central et ce, en dépit des dispositions légales qui leur confèrent une autonomie de gestion de leurs ressources économiques et financières. En violation de l’article 175, alinéa 2 de cette constitution, le gouvernement central leur transfère des miettes qui les anémient, les empêchant d’exercer convenablement les prérogatives, compétences et attributions qui leur sont constitutionnellement attribuées. Pire encore, par une malicieuse législation financière et fiscale, le gouvernement central exerce anticonstitutionnellement un impérium sur les provinces et les ETD, les empêchant de mobiliser convenablement les ressources financières locales qui seraient liées aux compétences leur dévolues.

Pour comprendre l’énorme difficulté à laquelle se trouve aujourd’hui confrontée l’expérience de la décentralisation en RD Congo, il suffit d’apprécier le temps que le gouvernement central a pris pour réaliser les maigres résultats en terme d’opérationnalisation des dispositions constitutionnelles et légales relatives au transfert des ressources financières vers les provinces et les ETD. L’évaluation du management des finances publiques en RD Congo pendant toute cette période dénote une qualité de la gouvernance qui ne garantit pas l’autonomie et l’autosuffisance des entités précitées pour lutter contre la pauvreté sans nom que connait le peuple congolais et réaliser leur développement local nécessaire à l’atteinte des Objectifs du Développement Durable (ODD) d’ici 2050 (1).

Au vue des maigres résultats jusque-là réalisés par rapport aux attentes qu’avait suscité l’option de la population congolaise, il y a lieu de considérer que l’approche de décentralisation mise en place est incohérente et  ainsi vouée à l’échec, faute de volonté politique réelle de la part des gouvernants de mettre en application les outils juridiques qui la sous-tendent du point de vue financier. L’impression qui s’en dégage est que le pays court le risque de rater son trajectoire vers l’objectif de l’émergence du Congo d’ici 2030. Car, manifestement, les mécanismes  de la décentralisation  sont en panne. Ils le sont puisque les finances des entités politiques (provinces) et territoriales décentralisées manquent de vitalité à la suite de la non mise en branle par le gouvernement central des dispositions constitutionnelle et légales  y afférentes. Ils le sont aussi puisque la fiscalité de ces entités est débridée. La situation réelle sur terrain est que les ressources financières dont devraient disposer constitutionnellement les provinces et les ETD sont restées limitées du fait de la non rétrocession des recettes à caractère national allouées aux provinces, mais aussi de la faiblesse des recettes propres mobilisées localement du fait de la pauvreté de l’assiette fiscale leur assignée (octroie des ressources d’assiette étroite et difficilement mobilisables) et du faible rendement de la fiscalité locale (2).  Cette situation plonge la plupart de ces entités dans une inertie totale compte tenu du faible  prélèvement fiscal qui ne les permet pas de s’autonomiser.

Selon un certain point de vue, « la mobilisation des ressources financières est un élément crucial pour le succès de la décentralisation. Sans autonomie financière, il ne peut pas y avoir autonomie de gestion » (3).  Et au-delà de ce point de vue, « La décentralisation fiscale comporte des enjeux bien plus importants que la seule autonomisation financière des collectivités locales » (4).

De ce point de vue, il est capital  que, en matières de décentralisation, « parallèlement aux efforts internes de mobilisation des ressources locales, le reversement de l’Etat aux collectivités locales soit  effectifs et prévisibles » (5). Dans les faits, la réalité est telle que « l’accès aux ressources autres que les ressources propres des collectivités locales n’apporte pas le financement d’appoint attendu » (6).

Nous devrions aisément comprendre la réticence, tant au niveau central que provincial, à entrer dans une logique de retenue à la source de 40 % des recettes à caractère national par les provinces ou d’allocation aux provinces et ETD de ces 40 % tant que les budgets au niveau central et provincial connaissent difficilement un taux de réalisation qui envoisine une proportion de 50%. Nous avons l’appréhension que ce soient les règles de partage des revenus de la fiscalité mises en place par les textes actuels qui ne soient pas  adaptés et plus particulièrement ceux relatifs à la fiscalité. Dans ces conditions, la nécessité de la bonne gouvernance d’en bas vers le haut, y compris son processus de financement par les impôts et taxes locaux s’avère une alternative pour contourner les difficultés auxquelles les uns et les autres sont confrontées quant au transfert des ressources financières. Ainsi, une révision complète de l’approche d’une bonne gouvernance financière s’impose avec une particulière attention portée sur la fiscalité provinciale et locale. Ceci est capital si notre vision  est de faire du Congo un pays émergeant d’ici 2030. L’émergence du pays ne peut pas se faire de par le haut en laissant l’entièreté  de la population à la traine. L’émergence d’un pays implique  un processus, des mécanismes et des institutions au moyen desquels se fera sa matérialisation. Ses ingrédients sont (i) la vision stratégique ; (ii) des institutions viables et stables ; (iii) la participation par la fédération des efforts à la base ; (vi) l’équité (ne laisser personne pour compte).

Pour soutenir notre point de vue, outre cette introduction et la conclusion, nous articulerons nos réflexions autour de 2 thèmes qui suivent :

• La décentralisation fiscale comme réponse aux réalités socio-anthropologiques de la RD Congo. Ce thème va s’articuler sur 4 point à savoir : (i) le nœud du débat fiscal, (ii) la fiscalité décentralisée comme réponse à la pluralité socioéconomique régionale et locale, (iii) la fiscalité et l’Etat de droit, (iv) la fiscalité et l’authenticité congolaise.

• La nécessité de repenser nos instruments juridiques pour réinventer une fiscalité de la décentralisation.

Ce thème va aussi s’articuler sur les points qui suivent : (i)Le rôle dévolu aux entités politiques et territoriales décentralisées dans l’atteinte des ODD ; (ii) L’état des lieux de la mise en œuvre de la décentralisation financière en RD Congo ; (iii) Les contraintes et les nouvelles perspectives de la décentralisation fiscale en RD Congo ; (iv)Les conditions requises pour assurer la soutenabilité de la contribution nécessaire des entités politiques et territoriales décentralisées dans l’émergence du Congo.

1. La décentralisation fiscale comme réponse aux réalités  socio-anthropologiques de la RD Congo

Le constat que l’on puisse faire est que le train de la décentralisation en RD Congo est en panne, si pas  en arrêt. Cela part d’entre  autre de trois causes.

(i) La question des mécanismes financiers mis en place par la nouvelle constitution en rapport avec le partage de l’exercice du pouvoir en trois niveaux qui a été mal réglé.  Sur ce point, le politicien congolais a pris le peuple congolais dans une trappe par des dispositions constitutionnelles subtiles: l’alinéa 2 de l’article 175 et toute la suite des dispositions légales qui en ont découlé. Une autre façon de dire que le fleuve Congo va commencer à couler vers les rivières et les rivières vers les ruisseaux.

(ii) L’indécision ou l’absence de volonté politique des dirigeants congolais face à la mise en œuvre des dispositions constitutionnelles et légales en matière de décentralisation, notamment en ce qui concerne le transfert des compétences et des ressources aux provinces et leurs entités territoriales décentralisées (ETD). Les preuves de cette mauvaise foi se trouvent inscrites dans la formulation de certaines dispositions constitutionnelles qui veulent mettre sous tutelle les provinces et les ETD, notamment en matière de finances. Et tout l’arsenal juridique sous-jacent en a souffert pour plonger le processus de la décentralisation dans une longue errance dont, avec le blocage du processus démocratique qui se dessine dans le paysage politique congolais, on ne connaît pas l’issue.

(iii) L’ambigüité de la politique fiscale de type universelle que le législateur congolais  a  mise en place pour accompagner la décentralisation. En cette matière, la logique de la décentralisation demandait que chaque province ou/et chaque entité territoriale décentralisée soit prise comme un projet de construction originale pour laquelle il ne devrait pas y être appliqué une fiscalité universelle. En effet, les praticiens de l’économie financière le savent bien, en RD Congo comme ailleurs où la décentralisation a été expérimentée comme mode de gestion des affaires publiques, les provinces comme les ETD se sont avérées plurielles dans leurs réalités économiques et sociales que la fiscalité telle que l’on a tenté de la leur appliquer de façon universelle, suivant une conception centriste, s’est révélée contrariante voire même frustrante quant au bon fonctionnement et au développement même de la plupart d’entre elles.

1.1. Le nœud du débat fiscal au Congo

La question de la fiscalité dans le contexte de la décentralisation est « nébuleuse » qu’il faille l’aborder avec prudence afin de ne pas courir le risque de tomber dans un « puritanisme juridique atavique», souvent source de malentendus. Elle devrait aussi être abordée en empruntant une démarche à la fois anthropologique, sociologique, géoéconomique et géopolitique.

Avant l’avènement de la constitution de 2006 comme dans le nouveau contexte créé par cette constitution, la situation de la fiscalité congolaise ne semble pas avoir suffisamment évolué en faveur du processus de la décentralisation véritable et de l’amélioration du climat des affaires. Dans l’Exposé de la Fédération des Entreprises du Congo/Nord-Kivu faite par son premier vice-président provincial, M. Bercky Chirimwami Rwamo, en développant le sous-thème « Défis et obstacles à l’amélioration du climat des affaires » lors de la deuxième édition du Forum économique de la province du Nord-Kivu tenue du 03 au 06 juin 2015, l’orateur avait fustigé l’illégitimité du système fiscal en place et dénoncé « la redondance des actes générateurs dans les ordonnances-lois fixant les nomenclatures des impôts, droits et taxes du pouvoir central d’une part et des provinces et ETD d’autre part » (7).  De ce fait, la pression fiscale serait devenue énorme, rendant le système fiscal improductif par rapport à la capacité contributive et/ou au potentiel fiscal de l’économie de la province, entrainant ainsi la fraude et l’évasion fiscale généralisées.

Traduire cet incontestable besoin d’État décentralisé et rationnalisé fiscalement tel qu’exprimé dans notre constitution par un cadre légal de la décentralisation financière et fiscale obéissant à une logique fonctionnelle, c’est à cela, je pense, que devrait s’atteler la nouvelle conception subséquente du changement constitutionnel issu des concertations de Sun City. Il devrait s’agir  de la nouvelle fiscalité conçue comme branche de l’économie financière qui doit tenir compte de la complexité des réalités provinciales et locales dans lesquelles elle devrait trouver légitimité et efficacité.

Si je ramène la question de la fiscalité sur la table comme sujet à débat, c’est n’est pas pour remettre en cause les recommandations issues du Forum national sur la réforme du système fiscal de la RDC tenue à Kinshasa à l’Hôtel Pullman du 11 au 14 septembre 2017.Ses résultats certes dénotent la résistance au changement de la législation fiscale, en ce qui concerne particulièrement le thème relatif à la « Décentralisation fiscale et Développement Local » (8). En réalité, la tension reste vive entre la tentation administrative passée à promouvoir l’uniformité du dispositif fiscal et le souhait des agents économiques à donner jour à un ordre fiscal à géo-économie variable.

En effet, les agents économiques congolais, de l’entreprise au ménage, de l’industriel au cultivateur en passant par le simple colporteur, perçoivent la fiscalité correspondant à l’ordre institutionnelle actuelle comme dangereuse. Pour eux, elle est source de domination et d’exploitation des citoyens par un « État  impotent» entretenu par des stipendiés que sont les politiciens et les fonctionnaires administratifs de l’appareil étatique (9).

Alors que la logique institutionnelle actuellement prévalant se fonde sur l’idée d’une instance politique omnisciente et omnipotente impulsant un ordre fiscal à tous les autres démembrement de l’Etat décentralisé, au sens de l’ordonnancement, la logique fonctionnelle, celle dont les opérateurs économiques de ce pays rêvent de l’avènement, est que les impôts et taxes soient établis de façon consultative et participative, en fonction de l’activité économique réelle et réellement soutenue par l’Etat en travers ses fonctions primaires de souveraineté telle que assumées par ses démembrements. Par ailleurs, la majorité des opérateurs économiques étant éparpillée sur le territoire national, loin de l’instance politique qui se réserve le monopole du pouvoir de légiférer sur une matière aussi sensible que vital pour leur vie, trouve que la décentralisation, telle que leur livrée par le politique, a été vidée de son essence. En effet, au-delà de la représentation de façade, les élus provinciaux et locaux sont légalement privés du pouvoir de légiférer en matière fiscale dans les domaines à compétences ou attributions exclusives aux provinces ou aux ETD. Du moins, ceux qui le font le font par défi. Ceci alimente même le débat sur le pouvoir des Édits et des Décisions (10)  et remet en même temps en cause le rôle des élus locaux (11).

1.2. La fiscalité décentralisée comme réponse à la pluralité socio-économique régionale et locale.

La géographie économique de la République démocratique du Congo ainsi que ses réalités sociologiques et culturelles sont riches d’enseignement. Les provinces et les entités territoriales de ce pays sont à la fois économiquement diverses et socio-culturellement complexes. Les différents espaces géopolitiques et territoriales en présences ne sont pas uniformément dotés en termes des potentialités géologiques, écologiques, énergétiques, touristiques et agropastorales. Par ailleurs, la répartition territoriale et culturelle de la population n’est pas uniforme.

Puisque nous parlons de décentralisation comme mode de gouvernance, celle-ci, en ce qui concerne les finances publiques, c’est-à-dire la richesse sous forme flux de monnaie et de crédit mises à la disposition des collectivités publiques et qui cherche à vérifier les efforts du prélèvement fiscal global sur l’économie ou les répercussions des dépenses et recettes publiques sur la croissance économique (12),  ne devrait pas ignorer la réalité ci-haut décrite.

Pour assurer la viabilité des entités politiques et territoriales telles que définies dans la constitution, la politique fiscale du pays devrait s’inspirer de cette diversité géoéconomique ainsi que des réalités sociales et culturelles propres à chaque entité.

Si au niveau central, il est possible d’avoir une nomenclature unique qui tienne compte de cette diversité, au niveau des taux, il faut une différenciation qui tienne compte des réalités économiques, physiques et sociales de chaque région (13).

Par contre, au niveau des entités politiques et territoriales, la diversité des nomenclatures fiscales et tarifaires devrait être consacrée par des lois d’orientation générale au niveau central tout en laissant l’initiative aux organes provinciaux et locaux de mettre en place une législation fiscale provinciale et/ou locale qui s’accommode avec les réalités économiques, sociales et culturelles locales, notamment en ce qui concerne les nomenclatures et les taux. Les consultations de la base dans le cadre des forums fiscaux qui associent les regroupements socioprofessionnels devraient amener à tempérer les appétits des politiques et  administratifs en terme de limitation du nombre d’actes et des taux. Comme avantage pour le pouvoir public, on enregistrerait :

• L’adhésion des acteurs ou agents économiques locaux ;

• La consolidation de l’assiette fiscale sur des fondements solides et substantiels en termes de bases imposables;

• La rationalisation et la simplification  du système avec des nomenclatures réalistes;

• La souplesse dans le réajustement conjoncturel de la fiscalité locale qui se veut malléable;

• La promotion des activités commerciales et des initiatives de production élargissant ainsi l’assiette fiscale.

1.3. La fiscalité et l’État de droit.

Construire un état de droit appelle à la mise en place d’un cadre juridique équitable et d’un système judiciaire (textes juridiques appliqués de façon impartiale, impersonnelle) qui sécurisent les personnes, favorisent l’épanouissement des citoyens et la création des richesses (14).  La question que je veux poser à ce niveau est la suivante : « Pouvons-nous de manière consciente estimer que le cadre juridique mis en place de par notre constitution et le système judiciaire y relatif soient successivement équitables et sécurisant pour protéger la propriété privée et favoriser l’épanouissement des citoyens congolais en terme de création des richesses » ? Je n’ai pas de réponse immédiate à cette question qui demande en elle seule une consultation populaire.

Dans l’introduction au thème « Besoin d’État » paru dans la revue « Politique Africaine », Etienne Le Roy nous édifie en ces termes : « L’invocation rituelle de l’État de droit commence à devenir suspecte dès lors qu’on ne cherche pas, au-delà des critères de l’état de droit, quel est l’ordre social et politique qu’on entend promouvoir ». Dès lors, comme l’estime notre inspirateur en cette matière (15)  deux ou trois conditions formelles doivent être remplies par notre État :

• Le droit doit être énoncé en termes généraux, abstraites et impersonnels, être connu de l’ensemble des sujets de droit préalablement à tout conflit et pouvoir être invoqué devant toute juridiction avec possibilité de recours ;

• Toute autorité instituante, et en premier lieu l’État, est tenue par les règles qu’elle énonce ;

• Les règles ainsi proclamées doivent refléter les valeurs effectivement partagées par le plus grand nombre. Si nous nous referons à cette césure, pouvons-nous estimer que l’approche  de la fiscalité consacrée par les textes légaux en matière de décentralisation, et spécialement en ce qui concerne le volet économie financière, tende à s’y rapprocher quand nous parlons décentralisation? La réponse est : NON. Ceci s’explique tout simplement par la méfiance naturelle que tout nostalgique du pouvoir centralisé peut avoir des exigences de la décentralisation financière qui prétend réduire l’autoritarisme ordonnancier dans la gestion des affaires publiques.

À ce sujet, notre compréhension de la décentralisation est celle-ci : l’organisation de l’Etat par une application du principe de la subsidiarité à une stratégie de la refondation de l’État. Ainsi, certaines fonctions primaires de cet État doivent être exercées dans un contexte effectivement circonscrit : transfert des compétences vers les communautés de base légalement et consciemment organisées et vers le secteur privé à travers une législation responsabilisante en termes de devoirs et moyens.

1.4. La fiscalité et l’authenticité congolaise.

Dans notre constitution qui est notre patrimoine commun, nous nous sommes définis comme une société politique qui se veut originale, si pas authentique, organisée selon notre génie propre.

Notre fiscalité, à mon avis devrait refléter nos choix politiques et économiques ainsi que nos valeurs socioculturelles. Devons-nous servilement nous référer à une législation fiscale importée sans nous référer à notre patrimoine culturelle qui nous impose un sens de responsabilité collective singulière quand il s’agit d’assumer notre destin commun dans un contexte de pluralité économique et socioculturelle ? Ce que nous pouvons offrir aux autres citoyens du monde comme fruit de notre authenticité, ce sont nos diversités et nos particularités positives dans l’unité. Celles-là comme une puissance sublime pour la réalisation de celles-ci. Ne pouvons-nous pas construire une fiscalité qui se veut équitable et sécurisant pour tous tout en favorisant l’épanouissement des citoyens et la création des richesses ? C’est un choix politique et c’est à nous congolais qu’il appartient de le faire.

2. La nécessité de repenser nos instruments juridiques pour réinventer une fiscalité de la décentralisation

2.1. Le rôle dévolu aux entités politiques et territoriales décentralisées dans l’atteinte des ODD.

La décentralisation telle que consacrée par la constitution en son article trois, comprend deux niveaux : (i) les provinces et (ii) les ETD qui sont la ville, la commune, le secteur et la Chefferie.

Une des options fondamentales de la décentralisation en RD Congo avait été définie comme étant une vision unitaire du développement du territoire où le gouvernement central inscrirait le développement des provinces et des ETD  dans un processus de décentralisation effective qui devait se démarquer clairement d’une décentralisation hybride pour donner les pouvoirs et les moyens aux élus locaux et provinciaux (16).

Cette vision devrait se traduire dans certains documents stratégiques comme les Documents des Stratégies et de croissance pour la réduction de la Pauvreté (DSCRP) provinciaux, les schémas provinciaux d’aménagement du territoire et les instruments de gestion financière (17). Par ailleurs, l’axe 4 du CSMOD prévoyait le développement  des outils simples pour la gestion du développement local à l’usage des provinces et des ETD dont principalement le guide de planification. Ainsi, l’État, dans le cadre d’une Loi, mettrait en place un dispositif de délégation de pouvoir et  favoriserait le développement des provinces en rendant les DSRP provinciaux opérationnels (18). Les DSCRP provinciaux ainsi que les plans de développement local des ETD qui ont été élaborés dans  l’intervalle de temps 2010-2015 suivant cette vision, l’avaient été en ayant à vue le rôle indiscutable que doivent jouer les entités politiques et territoriales décentralisées dans la perspective de  l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le Développement (OMD). Et surtout qu’il s’agissait d’un pays aux dimensions continentales comme la RD Congo, cela commandait que la gouvernance par voie de décentralisation tienne compte des enjeux socioéconomiques et humains dont l’accès des pauvres à la croissance et aux services publics de proximité.

Cette nécessaire intervention de ces entités s’imposait du fait que, relativement aux compétences qui leur sont dévolues par leur statut, elles doivent financer la production de proximité des biens publics qui ne peuvent être fournis par le marché tel que l’ordre public, l’éclairage des rues, l’enlèvement des ordures ménagères, l’accès à l’eau potable et aux énergies non polluantes, l’éducation et la santé ainsi que la production d’autres services sociaux de base qui sont indispensables aux ménages et aux entreprises locales.

En travaillant à l’amélioration de l’accès aux services sociaux de base, les entités provinciales et locales étaient sensées participer à la mise en œuvre des politiques nationales et contribueraient de ce fait à la réalisation des objectifs de développement national et partant, l’atteinte des OMD à l’horizon 2015 et aujourd’hui, des Objectifs de Développement Durable (ODD) d’ici 2050.

Cinq ans après, trois questions valent la peine d’être posées :

i. Quel est le bilan du processus de planification provinciale et locale en RD Congo ?

ii. Quel est le niveau de mise en œuvre des plans élaborés dans ce cadre ?

iii. et dans l’hypothèse où il serait non satisfaisant, quelles seraient les raisons ?

En ce qui concerne la première question, il y a lieu de nous rendre à l’évidence.

Le guide méthodologique pour la planification du développement provinciale ayant été mis en place en 2009, le nombre des provinces qui se sont dotées des Plans de développement provincial et celui des ETD qui se sont dotées des plans de Développement local sont à compter. Le retard connu suite à la mise en place des nouvelles provinces vient encore compliquer la donne.

En dépit du fait que l’initiative de la planification soit provinciale ou locale, si vous poser la question de savoir le pourquoi de cet état de choses, les principales raisons avancées seront les suivantes :

• Le manque d’encadrement technique (ressources humaines) pour réaliser la planification ;

• Le manque des ressources financières pour élaborer les plans provinciaux et locaux ;

• L’absence d’intérêt pour les dirigeants locaux qui ne se sentent pas obligés (19).

Ces éléments prouvent en suffisance le faible niveau de réalisation de la planification provinciale et locale et le niveau de l’engagement des gouvernements dans le processus, car tout se fait sur financement extérieur.

En ce qui concerne la seconde question, objectivement parlant, il y a lieu aussi de ne pas se faire des illusions. Planifier est une chose et mettre en œuvre les actions planifiées en est une autre.

Pour qu’un plan de développement provincial ou local soit mis en œuvre dans une entité, il faut le concours exclusif ou inclusif de quatre sources de financement: les ressources locales, les ressources transférées par le gouvernement central, les emprunts et les concours financiers des bailleurs. L’évaluation des apports de ces différentes sources pour financer le développement local dans les provinces et les ETD tel que désiré et exprimé dans leurs plans est certes négatif. Les quelques actions qui ont pu voir un début d’exécution ou été réalisées l’ont été avec le concours des partenaires. Si en provinces quelques actions ont pu être menées par les gouvernements provinciaux sur fonds propres, elles sont insuffisantes par rapport au nombre inscrit dans leurs plans et aux besoins ressentis par les populations, particulièrement en milieux ruraux. Au niveau des ETD, le bilan est encore plus sombre.

Rien d’étonnant, si nous devons  prendre comme mesure les niveaux d’exécution des budgets des provinces  ainsi que des ETD pour la période. Quand bien même les membres des exécutifs provinciaux et locaux prennent l’initiative d’inscrire à leur budget d’investissement certaines actions tirées de leurs plans, ils se trouvent contrariés par le non transfert effectif de recettes allouées par le budget du gouvernement central. Dans certaines circonstances particulières ils recourent aux prêts bancaires en violation des rigides dispositions légales en cette matière (20).

Tous comptes faits, le concours des entités provinces et celles décentralisées à l’atteinte des ODD ne peut qu’être non significatif de ce fait d’insuffisance de leurs moyens d’action. Cette situation n’est pas particulière au Congo. François Paul Yatta le présageait déjà en son temps en  notant : « les récentes évaluations  montrent que rares sont les pays Africains qui vont atteindre les objectifs du millénaire pour le développement  (OMD) à l’horizon 2015.

En guise d’explication, les analyses pointent du doigt l’insuffisance d’implication, pour ne pas dire plus, des collectivités locales dans la mise en œuvre des OMD. Dans ce contexte, la question des moyens d’action des collectivités locales et de la décentralisation fiscale se pose » (21).

2.2. État des lieux de la mise en œuvre de la décentralisation financière en RD Congo.

Dans cette partie, notre réflexion va s’articuler sur les deux points qui suivent : (i) Le cadre juridique de la décentralisation financière et (ii) les pratiques qui contrarient la décentralisation en RD Congo.

2.2.1. Le cadre juridique de la décentralisation financière

En matière de décentralisation de la gouvernance, la constitution révisée apporte comme principale innovation la décentralisation financière avec son corolaire qu’est la décentralisation fiscale. La matérialisation de ce choix politique par le gouvernement a été concrétisée  par l’élaboration et  l’adoption des lois qui devraient permettre de :

• Rendre effective la retenue ou l’allocation des 40 % des recettes  à caractère national aux provinces et aux ETD ;

• Mettre en place un système de répartition du produit de 40% des recettes à caractère national entre les provinces et les ETD pour éviter que les provinces ne s’approprient de ce produit au détriment des ETD ;

• Relancer les capacités de mobilisation des recettes propres des provinces et des ETD en opérant une réforme en profondeur de la fiscalité provinciale  et locale.

De façon pratique, il s’agirait de donner sens aux dispositions des textes de base qui concernent la décentralisation fiscale.

Les faits qu’il faille déplorer pour les différents textes en place en ce qui concerne la mise en branle de la décentralisation financière et fiscale sont les suivants :

a. L’insuffisance de réalisme des trois premiers textes de base en ce qui concerne le volet relatif à la décentralisation financière ;

Il convient de rappeler ici que la dimension continentale du pays ainsi que la diversité de ses réalités socio-économiques et culturelles ont joué pour que le législateur opte pour une forme d’État qui se rapproche plus à celle d’un état fédéral. Ce sont ces raisons  qui ont justifié l’étendue des compétences accordées aux provinces par la constitution ainsi que la personnalité juridique et l’autonomie concernant particulièrement la gestion des ressources dévolues aux provinces et leurs ETD. D’une part, toutes les dispositions constitutionnelles et légales qui vont dans le sens de faire bénéficier les provinces et les ETD des 40 % des recettes à caractère national retenus à la source constituent une aberration financière qui tient mal du contexte. Comme a eu à le faire remarquer François Paul Yatta  « Les pays africains en général ont un double caractéristique qui les distingue des pays développés : le faible niveau de fiscalité et la structure de la fiscalité. En Afrique, l’État a du mal à décentraliser les ressources financières qu’il n’a pas » (22).

Dans ces conditions, il faut se rendre à l’évidence. En fixant le taux  à 40 %, le législateur a manqué de réalisme culturel en ce qui concerne les finances congolaises dont la prédation était devenue la règle de gestion et le reste jusqu’à ce jour (23).  40% des recettes à caractère national, c’est beaucoup d’argent pour les provinces pensent certains. En ramenant ce taux à 15%, avec un budget du gouvernement qui envoisine les 5 milliards de dollars américains, chacune de 26 provinces que compte ce pays recevrait un transfert mensuel de 1.403.846 dollars américains, un équivalant de 10 à 15 bâtiments d’écoles ou centres de santé construits en dur.

D’autre part, l’option pour la fiscalité de quotité entre les provinces et les ETD (24) comme solution palliative à l’incertitude des progrès réalisables dans la fiscalité directe des ETD en est une autre. Le problème en est que, suite à la faiblesse institutionnelle des ETD mises sous tutelle de gouverneurs de provinces, les provinces s’en accaparent du produit faute de dispositifs contraignants qui les en empêcheraient. L’exemple venant d’en haut, elles réservent aux ETD le même traitement leur réservé par le pouvoir central (25). En légiférant en matières des finances publiques dans les lois organiques no 08/012 et 08/016 précitées, le législateur devrait immanquablement s’interroger sur le motif ayant guidé le constituant de choisir les dispositifs ayant trait à la libre administration des provinces et des ETD, de leur autonomie de gestion de leurs ressources économiques, humaines, financières et techniques et de la retenue à la source à leur profit de 40% des recettes à caractère national.

b. Le retard dans l’adoption de la Loi relative aux finances publiques et les ordonnances Lois portant nomenclatures pour le pouvoir central, les provinces et les ETD ainsi que le RGCP; Les finances, nerf sensible de toute organisation, conditionnent à plus d’égards la matérialisation de la décentralisation. La lenteur mise par le gouvernement central à proposer au parlement les textes importants pour la mise en œuvre de la décentralisation et par ce dernier pour les adopter parait suspecte. Cela a pris trois ans pour les Lois organiques 08/012 du 31 juillet 2008 et 08/016 du 07 octobre 2008 et plus de cinq ans pour la Loi 11/011 du 13 juillet 2011. Une telle lenteur de nos organes délibérants est déplorable et préjudiciable pour la nation congolaise. L’impression qui s’en dégage est un soupçon de complot et de duplicité des représentants du peuple au niveau du parlement.

c. La violation par la Loi relative aux finances publiques des certaines dispositions constitutionnelles ;

Sur ce point, il est important de revenir sur les observations très pertinentes faites par André Maziambo Makengo Kisala (26)  en ce qui concerne les ressources des provinces et celles des ETD.

Sur ce chapitre, la lecture et l’interprétation  biaisées des textes légaux de base ont entrainé la conception d’autres textes légaux qui par ici contredisent les dispositions  des textes de base ou qui, par-là contrarient leur esprit. Tout est parti de l’interprétation abusive de l’article 174 alinéas premiers de la constitution qui stipule : « Il ne peut être établi d’impôt que par la Loi» (27). Le fait que la Loi no 11/011 du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques en son article 9 dénie aux Assemblées provinciales ainsi qu’aux organes délibérants des ETD leurs prérogatives ou compétences constitutionnelles exclusives et aux Edits et décisions par eux  votés la qualité de Lois provinciales et locales est une violation grave de la constitution (28).

De part cette lecture faite par André Maziambo et que nous faisons nôtre, la Loi relative aux finances publiques porte atteinte grave aux principes de l’autonomie de gestion de leurs ressources par les provinces.

En effet, revenant à l’esprit de la constitution), comment les provinces et les ETD peuvent jouir d’une autonomie de gestion de leurs ressources économiques sans en tirer revenus financiers ?

Comme il le fait constater, le principe constitutionnel de la libre administration et de l’autonomie de gestion des ressources des provinces et leurs ETD par ces dernières est fortement remise en cause par la Loi no 11/011 du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques. « …alors qu’elle était entendue comme un instrument qui devait rendre plus concrète les options de régionalisme et de décentralisation levées dans la constitution, cette loi a, en réalité, opéré un retour vers une forte centralisation en matière des finances publiques (29).

L’appréciation du législateur concernant cette question met totalement en cause la validité des mécanismes fiscaux que le constituant aurait souhaité être mis en place pour asseoir une décentralisation conforme à sa vision fédéraliste ou régionaliste de la gestion du pays.

d. L’absence d’équité dans les textes de   nomenclatures.

L’équité des textes en matière de finances publiques décentralisées renvoie à la notion de proportionnalité des moyens par rapport aux charges publiques assignées à chaque niveau d’exercice du pouvoir exécutif.

Cette équité que doivent traduire les nomenclatures des impôts et taxes à percevoir à chaque niveau est indispensable à l’équilibre nécessaire entre les forces des pouvoirs en place qui doivent fonctionner dans l’harmonie.

Du point de vue de François Paul Yatta  « Assurer l’optimalité des finances publiques à chaque niveau de gouvernance » (30) est l’un des objectifs primordiaux de la décentralisation fiscale. Le niveau de la décentralisation fiscale devrait être proportionné à l’importance des compétences transférées aux collectivités locales.

2.3. Les pratiques qui contrarient la décentralisation en RD Congo.

a. La non  effectivité  et l’imprévisibilité des allocations et subventions du Gouvernement central

L’application biaisée des textes légaux a entrainé des pratiques qui aussi, par ici, contredisent les dispositions des textes de base ou, par-là, contrarient leur esprit.

Pour ne rien cacher, au jour d’aujourd’hui, le Gouvernement central de la République Démocratique du Congo nourrit les gouvernements des provinces par le dos de la cuillère. Lors de la budgétisation, ces derniers sont instruits par voie de circulaire du ministre du budget du  Gouvernement national de porter dans leurs prévisions des montants forfaitaires dont la méthode de calcul n’est connue que de son ministère, si pas dire arbitraires. Et cela est répercuté au niveau des ETD dans les mêmes proportions. Cette façon de procéder conduit à l’élaboration, au niveau provincial comme dans les ETD, des budgets surdimensionnés, pour ne pas dire illusoires.

C’est à l’exécution de ces budgets que tout se complique. En titre de transfert des ressources aux provinces et aux ETD, le gouvernement central donne ordre à la banque centrale de créditer les comptes des provinces d’un montant arbitraire, qui n’a rien à voir avec les prévisions budgétaires des provinces ni avec la hauteur des recettes à caractère nationale qu’elles ont réalisées. Il est arrivé que certaines provinces ayant réalisé des bonnes performances dans la mobilisation des recettes à caractère national et ayant une importante population de bénéficier d’une allocation dont le montant est de loin inférieur  à d’autres qui ont moins réalisé et avec une population plus inférieure.

Le même traitement est réservé aux  ETD par les provinces. Pire encore, les recettes  générées par les taxes d’intérêt  commun sont carrément accaparées par les provinces sans faire étant de la clé de répartition de ce produit entre les provinces et les ETD conformément  aux dispositions de l’article 225 de la Loi 11/011 relative aux finances publiques (31). Une autre difficulté pour le produit de cette fiscalité est que, suite à la non-effectivité  et à l’imprévisibilité des allocations et subventions du Gouvernement central et aux besoins pressants des gouvernements provinciaux, ce produit est quotidiennement affecté aux dépenses pressantes. À la fin du mois, le reste de l’encaisse des provinces, à quelques exceptions près, n’est même pas suffisant pour payer les membres du gouvernement provincial et son administration.

b. La forte concentration des moyens fiscaux aux mains du pouvoir central

Cette pratique  décriée dans le passé ayant été renforcée par la loi 11/011 du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques, ne permet pas d’assurer l’efficacité des dépenses publiques. En principe les allocations aux provinces par le gouvernement central sont constituées des allocations de fonctionnement et des allocations d’investissement. Seules les allocations de fonctionnement sont sporadiquement versées aux provinces, le gouvernement central se réservant la gestion des fonds d’investissement. La gestion de ces derniers est, le moins que l’on puisse dire, catastrophique. En effet, les dépenses effectuées sur ces fonds n’ont rien à  voir avec les budgets d’investissement des gouvernements provinciaux. Ces derniers ne sont ni consultés sur leurs priorités ni associées à la passation des marchés, ni informées sur la hauteur des dépenses de ces investissements. Comme le fait  remarquer François Paul Yatta en ce qui concerne l’efficacité des dépenses publiques, un assortiment des biens et services publics ne peut donner plus de satisfaction aux citoyens que dans la mesure où cet assortiment est adapté aux désirs des différents publics. Ceci nous ramène à la notion de l’efficacité des dépenses publiques locales. En effet, la décentralisation suppose une pluralité de préférences en termes de biens et services publics locaux selon les territoires plus ou moins homogènes. Dans un pays à forte centralisation financière, en fournissant le même panier des services aux populations quelle que soit leur localisation, la décentralisation ne s’adapte nulle part à la demande. Le constat est un déficit d’efficacité et d’efficience des dépenses publiques locales. Ici il y aura trop de « santé », là trop d’« éducation », là peu de « transport », etc. En revanche, en système décentralisé, les services publics locaux fournis par les différentes collectivités locales sont mieux adaptés à la demande parce qu’ils le sont de manière démocratique. C’est ce que les économistes appellent efficacité allocative qui est au cœur de la théorie du fédéralisme fiscal. L’efficacité des dépenses publiques locales devrait aussi aider à atténuer les disparités spatiales (32).

c. Les effets pervers et nuisibles créés par la centralisation en outrance à la suite de la loi 11/011.

Un des aspects négatifs qu’ont engendré les interventions arbitraires ou unilatérales du Gouvernement central en faveur des provinces est qu’elles ont  créé un esprit de rivalité et de division au lieu de renforcer les liens de  cohésion et de connexion entre les ressortissants des différentes provinces. Les effets pervers et nuisibles créés par la centralisation en outrance à la suite de la loi 11/011 du 13 juillet 2011 relatives aux finances publiques sont les suivants :

• Un sentiment de partialité des gouvernants au niveau central en faveur de certaines provinces au détriment d’autres au mépris des critères légaux dont la capacité contributive des provinces, leurs étendues et le poids démographique ;

• Le renforcement de l’esprit de la dépendance ou de la main tendue entrainant l’atrophie de l’esprit d’initiative locale, d’auto-prise en charge par la mobilisation des ressources fiscales locales ;

• L’attentisme créé par le système a engendré des sentiments de déception mêlés à des frustrations, à cause des promesses électorales non tenues, des annonces de d’exécution  des projets de développement qui ne démarrent pas, ou qui démarrent mais sont abandonnés en mi-parcours, ou encore qui sont exécutés sans tenir compte du contexte du milieu d’implantation.

La confiance entre les acteurs politiques des différentes provinces s’en est retrouvée durement éprouvée à ce qui concerne les bonnes ou mauvaises intentions des responsables des institutions au niveau central envers leurs provinces d’origine, étant donné la donne électorale.

Au niveau provincial, loin de répondre aux critères légalement consacrés, les transferts des gouvernements provinciaux aux ETD, se sont fort apparentés à des gestes de politesse, si pas d’allégeance des responsables provinciaux vis-à-vis des chefs coutumiers, élections et maintien au pouvoir obligent.

2.4. Les contraintes et les nouvelles perspectives de la décentralisation fiscale en RD Congo.

Concernant cette matière relative à la décentralisation fiscale, trois contraintes et non les moindres, doivent être levées. Sans quoi il sera difficile, si pas impossible de donner sens à la décentralisation prise au sens de la libre administration.

La première contrainte concerne la volonté politique des institutions au niveau national.

La levée de cette contrainte doit se manifester par une clarification nette de la limite entre la compétence législative du parlement et celles des assemblées provinciales et conseils locaux des ETD en matière fiscale d’une part et entre le pouvoir réglementaire du gouvernement central et des exécutifs au niveau provincial et local sur la matière.

Quant aux organes délibérants, leur compétence législative doit rester étendue en matière d’imposition comme de taxation. Le législateur, à tous les échelons, devra  déterminer à la fois l’assiette, le taux, les normes en matière de procédure d’établissement, de recouvrement et  de contrôle, de répression et de contentieux des impôts et taxes ainsi que les compétences juridictionnelles pour les tribunaux spéciaux qui doivent statuer sur les matière fiscales.

L’Assemblée nationale devrait se réserver la matière qui concerne les impositions de toute nature génératrices de recettes à caractère national. Elle légiférerait en termes généraux sur les principes de droit devant régir la fiscalité provinciale et locale. Comme ailleurs, en France par exemple, la Loi fiscale générale devrait se garder d’avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des provinces au point d’en entamer la libre administration (33).  En effet, compte tenu de l’enjeu de la décentralisation en RD Congo, les ressources des provinces et des ETD doivent couvrir une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources pour pouvoir impulser le développement à la base et faire reculer la pauvreté.

Par contre, les organes délibérants des provinces (et des ETD) (34) devront jouir de leurs compétences législatives en matière fiscale pour préciser à leur échelon, l’assiette, les taux des impôts et taxes qui les concernent directement ainsi que les modalités et procédures de recouvrement y afférentes. Seulement, la cour constitutionnelle devra s’assurer de la conformité des Édits et Décisions aux principes généraux du droit et sanctionner l’incompétence négative du législateur lorsque celui-ci n’exerce pas ses compétences à chaque niveau ou les outrepasse.

C’est cette compréhension que nous devrions avoir de l’assertion de François Paul Yatta qui affirme : « Pour les élus locaux…, la question des ressources locales correspondant aux compétences à exercer est cruciale. La décentralisation fiscale est donc un élément clé de toute véritable politique de décentralisation » (35).

En laissant ainsi suffisamment de marge de manœuvre aux institutions provinciales et locales pour légiférer sur leur fiscalité, la décentralisation de la fiscalité et la mobilisation des ressources financières au niveau local deviendraient des thèmes plus potables pour la population et leur dirigeants locaux car déterminant non seulement pour leur autonomie financière, mais aussi pour la capacité de ces entités à rendre les services sociaux attendus d’elles et à mettre en œuvre leurs plans de développement local (36).

Concernant le pouvoir réglementaire relatif aux mesures d’exécution des lois fiscales, l’application des procédures et l’organisation des administrations fiscales à chaque niveau, il est de la compétence des exécutifs  dans le respect strict du champ fiscal qui revient à chaque organe exécutif (37).  Ce pouvoir réglementaire concerne également l’établissement des redevances. Etant donné que l’article 35 point 9 de la loi 08/012 du 31 juillet 2008 confère le pouvoir législatif concernant les taxes et droits locaux aux Assemblées provinciales (38), les ETD devraient disposer d’un pouvoir règlementaire élargi pour préciser, à l’échelon local, l’assiette et les taux des actes générateurs qui leurs sont reconnus. C’est ce qui semble avoir été consacré tacitement par l’Ordonnance-Loi  n° 13/001 du 23 février 2013 fixant la nomenclature des impôts, droits, taxes et redevances des provinces et des ETD ainsi que leurs modalités de répartition.

La deuxième contrainte est relative  aux très faibles capacités des provinces et des ETD de mobiliser les ressources locales propres.

À quelques exceptions près, la dynamique des provinces ainsi que leurs ETD en RC Congo et leurs possibilités de concrétiser leur développement local en termes d’infrastructures et équipements sont menacées autant par l’insuffisance des transferts financiers d’appoint attendus du gouvernement central que par leur très faible capacité de mobilisation des ressources locales.

Dans la partie de son ouvrage où il parle des perspectives de la décentralisation en Afrique, François Paul Yatta dit que « les performances des services financiers locaux pour la mobilisation des ressources propres se sont heurtées aux faibles capacités institutionnelles des collectivités locales et  à l’absence du système d’information » (39).  Ceci reste aussi un défi à relever pour la mise en route d’une fiscalité décentralisée en RD Congo.

La troisième contrainte est relative aux  ressources humaines pour faire fonctionner un système de fiscalité décentralisée.

On ne peut plus trop dire en ce qui concerne leur nombre et leur qualité.

Concernant les effectifs, pour les administrations fiscales du niveau central, la récente mise en place des nouvelles provinces permettrait de résoudre l’épineux problème de pléthore de ces effectifs, si pas de l’aggraver en raison du clientélisme politique qui caractérise ce pays. Par contre, dans les nouvelles provinces comme dans les ETD, la mise en place des administrations fiscales dignes de ce nom procédera d’un parcourt de combattant.

Au niveau des organes délibérants provinciaux et locaux, les élections en perspectives vont nous produire des élus dont la matière fiscale fera l’objet d’apprentissage. Au niveau des administrations fiscales, si les ETD possèdent un certain substrat sur lequel on peut compter, les agents en place ne sont pas techniquement outillés pour faire face à la complexité des nouvelles tâches qu’impose la réorganisation de la fiscalité décentralisée telle que voulue par la reforme (40).

En rapport avec cette troisième contrainte, qualitativement, il se pose un grand problème d’intégrité des hommes qui doivent prendre en charge la fiscalité décentralisée. Beaucoup sont ceux qui pensent que le manque d’intégrité dans les administrations fiscales en RD Congo est dû aux mauvaises conditions de travail en commençant par les bas salaires.

Plus facile à prononcer qu’à pratiquer, la fiscalité n’est pas à confier au tout venant. Où trouver les ressources capables d’assumer convenablement la mise en place de la fiscalité locale et ses administrations ?

2.5. Les conditions requises pour assurer la soutenabilité de la contribution nécessaire des entités politiques et territoriales décentralisées dans l’émergence du Congo.

Comme nous l’avons souligné ci-haut, la mobilisation des ressources financières est un élément crucial pour le succès de la décentralisation prise comme stratégie d’action pour l’émergence de notre pays. Doter les provinces et leurs ETD des capacités financières pour financer leurs responsabilités publiques, dont notamment  l’amélioration de l’accès des population aux services sociaux de base, leur permet de participer à la mise en œuvre des politiques nationales de la lutte contre la pauvreté et partant, à la réalisation des objectifs du développement du pays.

Dès lors, il parait nécessaire, pour un fonctionnement harmonieux du système de coresponsabilité voulue entre les institutions de gouvernance au niveau national et celles de niveau subalterne ou subsidiaire (provinces et ETD), de prendre préalablement deux initiatives législatives pour bien clarifier la gestion décentralisée de la République.

i. Donner une définition claire et nette des champs d’action fiscal ou domaines fiscaux propres aux provinces et aux ETD, lesquels ne doivent pas être superposés à celui du gouvernement central ;

ii. Du fait que le Congo profond est loin d’être homogène, doter les provinces et les ETD des pouvoirs de décider de la structure fiscale de leurs recettes propres et du niveau de prélèvement local en termes de taux en vue de la construction d’une fiscalité locale productive et adaptée au contexte socio-économique et culturel de chaque entité. C’est cette décentralisation fiscale qui permettrait le renforcement du niveau des finances locales proportionnellement aux responsabilités publiques assignées  aux provinces et aux ETD car permettant de déterminer la meilleure échelle et le dispositif adéquat pour assurer la participation responsable des citoyens aux  charges publiques leur assignées constitutionnellement.

Pour assurer la soutenabilité de la contribution nécessaire des provinces et entités territoriales décentralisées dans l’émergence du pays, trois conditions devraient être préalablement réunies :

• Assurer cette optimalité des finances publiques à chacun de trois niveaux de gouvernement par une meilleure décentralisation fiscale qui prend en compte les aspects permettant de la stimuler et de la rendre plus effective. Par exemple les efforts visant à équilibrer la mise en œuvre des investissements publics et à la relier à la problématique du développement local (41). Ainsi, les contribuables seront d’autant plus encouragés  à s’acquitter des impôts et taxes relevant de chaque niveau de gouvernance qu’au vu des réalisations traduisant sa volonté et sa responsabilité politiques de soutenir le développement en termes d’investissements et services publics de qualité et accessibles à tous.

• Assurer l’efficacité des dépenses publiques  des provinces et leurs ETD en subordonnant ou en conditionnant les transferts  des ressources nationales de l’Etat au titre de subventions de fonctionnement ou d’investissement de l’Etat à la participation des citoyennes et citoyens à la gestion des affaires locales et aux efforts de mobilisation des ressources locales par les provinces et les ETD.

En effet, dans le contexte du Congo où il y a prééminence du pouvoir arbitraire, la participation des populations à la gestion des affaires locales par son implication dans les choix des investissements à inscrire au budget local et des ressources locales à mobiliser peut significativement contribuer à l’amélioration de la gestion des finances au niveau local.

Par ailleurs, comme l’affirme Yatta Paul, «  La décentralisation fiscale ne pourra se conforter que si l’on met en place une ‘’prime’’ à la mobilisation des ressources locales. Ainsi, il faudra définir une stratégie qui relie étroitement performances locales dans la mobilisation des ressources et bénéfice des concours et subventions de l’État…..Les formules de partage des ressources entre l’État et les collectivités locales devraient donc inclure des incitations positives pour les collectivités locales les plus performants en matière de mobilisation des ressources » (42).  Sans cette disposition, légion seront les gouvernements des provinces et entités qui vont rester les bras croisés entrain d’attendre les transferts du gouvernement central.

Pour pallier à cet état des choses, il faut mettre en place des stratégies de mobilisation des ressources locales qui  demandent l’adhésion de la population et impliquent les autorités à la base (43).

• Limiter la nocivité des impôts locaux : Le système fiscal décentralisé qui devra être mis en place doit être le plus moins nocif pour les citoyens, leurs ménages ainsi que leurs activités économiques.

Les impôts locaux les moins nocifs sont ceux qui permettront un niveau de prélèvement optimal entre la satisfaction que les habitants retirent de la consommation des biens publics produits par l’État et la désutilité induite par le prélèvement et qui permettent de lutter contre les disparités spatiales et sociales ainsi que l’arbitraire.

D’ailleurs, au-delà d’abonder les caisses des provinces et des ETD pour faire face aux nouvelles fonctions qui leurs incombent, la réforme de notre fiscalité devrait s’orienter prioritairement dans le sens de la modernisation des structures économiques et sociales du pays afin de favoriser le développement économique des provinces et des milieux urbains et ruraux défavorisés en y suscitant les investissements par la création des entreprises qui valorisent les potentialités locales et créent les emplois pour les jeunes diplômés de nos universités et institutions d’enseignement supérieur et professionnel et surtout les femmes.

La réforme-modernisation de notre fiscalité en appui à la décentralisation devrait apporter un assouplissement de ses mécanismes d’imposition lui interdisant de perpétuer les hostilités qu’elle s’est créées vis-à-vis des assujettis. Plutôt que de décrier certains comportements « négatifs » ou peu efficients qu’adoptent les contribuables en réaction à la nocivité de l’arsenal des impôts et taxes fiscales auxquels ils sont soumis sans compter les prélèvements arbitraires et désordonnés qu’imposent les services publics sociaux de base (44)  qui seraient assurés par le pouvoir public (Éducation, santé, eau, pour ne citer que ceux-là), la législation fiscale, à chaque palier d’exercice du pouvoir, devait compenser les coûts de certains services publics sociaux non pris en charge par l’Etat alors que, légalement, ils lui incombent.

Conclusion

Ma conviction est que les points qui viennent d’être examinés ci-haut plaident favorablement en faveur de la reconsidération de nos textes pour mettre en place une fiscalité promotrice de la décentralisation financière sans laquelle nous devrions cesser de parler de décentralisation.

Les discours, voire même le pouvoir des autorités provinciales et locales sont mis en rude épreuve si elles n’ont pas la moindre maitrise des moyens de leur politique en commençant par la fiscalité locale, instrument dont elles doivent se servir pour mener leurs politiques de développement local.

Pour certaines matières comme la fiscalité, nous ne devrions pas garder une conception archaïque rigide, monolithique et exclusive de l’État central « centralisé ». Nous devrions comprendre que la réussite d’un projet aussi stratégique que la décentralisation, suppose un changement des mentalités des acteurs politiques. Les outils qu’ils sont appelés à forger pour l’accompagner comme l’économie financière et la fiscalité décentralisées doivent refléter les choix de la société que la population s’est choisie tout en intégrant la logique politique de la démocratie et la logique de la satisfaction sociale.

D’autre part, comme on vient de le démontrer, les faibles progrès dans le transfert des ressources à caractère national aux provinces et aux ETD sont un obstacle à la bonne gouvernance locale en termes de prise en charge  par les gouvernements provinciaux et les ETD de leurs compétences respectives.

De ce fait, il est indispensable d’identifier les leviers sur lesquels il faudra jouer pour que les provinces et les ETD soient à la fois plus viables, plus efficaces et moins dépendantes des transferts du gouvernement central.

Mettre en place une fiscalité distinctement compartimentée pour chaque palier d’exercice du pouvoir et laisser suffisamment de marge de manœuvre aux institutions provinciales pour légiférer sur leur fiscalité dans le strict respect des orientations nationales, peut être un moyen efficace de libérer les populations à la base du commandement et des décisions unilatérales du gouvernement central  et de l’accaparement par les gouvernements provinciaux de la part des impôts et taxes d’intérêt commun qui reviendraient légitimement aux ETD (45).  Ainsi, en cette matière, le principe serait que le  niveau central prenne des lois fiscales d’orientation générale qui doivent encadrer l’édiction des Edits et décisions au niveau des entités subalternes.

La crainte qu’affichent à tors certains animateurs des institutions au niveau central et provincial que les moyens que générerait une telle fiscalité seraient insuffisantes pour l’action des provinces et des ETD ne se justifie pas car non fondée. En effet, les gouvernements au niveau central et provincial réalisent leurs investissements et leurs interventions dans les ETD conformément aux compétences et prérogatives leur dévolues  par la constitution.

Comme le dit François Paul Yatta, « La meilleure chose qui puisse arriver à la décentralisation africaine est la responsabilité politique. Il s’agit des conditions du choix des citoyens électeurs entre différents offres de prélèvement et de dépenses associés. Les hommes politiques qui décident de ces dépenses et en tirent parallèlement un bénéfice politique doivent être ceux qui décident des impôts et en supportent le coût politique. Cette règle devrait s’appliquer, y compris dans les pays à plusieurs niveaux de gouvernement. La dépense des communes devrait être financée par les impôts des communes, celle des Régions par les impôts régionaux et celle des États par les impôts de l’État. Si la démocratie fonctionne à chacun de ces niveaux et si les citoyens électeurs choisissent les hommes qui leur offrent le paquet de prélèvement et des services publics qui leur convient le mieux, alors le poids des finances publiques sera optimal » (45).

Et suivant cette logique, une répartition des ressources entre les trois niveaux d’exercice du pouvoir se ferait sur base de considérations suivantes :

Concernant les impôts, le gouvernement central garderait les impôts lui assignés par les textes actuels ainsi que les droits de douanes,  tandis que la province céderait certains impôts aux ETD.

Concernant les autres prélèvements non fiscaux, exceptées certaines taxes et redevances liées absolument à l’exercice des compétences liées à la souveraineté (et dont l’examen devra se faire au cas par cas), les actes y afférents devront être répartis entre les provinces et les ETD après les avoir débarrassés des actes redondants ou présentant une certaine nocivité pour l’émergence de l’économie locale, en tenant compte de la réalité sociale du pays réel. Cela réduirait substantiellement le nombre de taxes qui se superposent dans les nomenclatures des taxes du pouvoir exécutif central, provincial, voire même local.

Le grand défi pour cette répartition serait de réussir à « réconcilier le pays légal et le pays réel » et de passer du discours à la pratique. C’est à ce niveau que se pose l’intérêt de la limitation du nombre des taxes au niveau de ces deux paliers. Cette limitation se justifie encore par pur principe : « On ne peut pas tout imposer, on ne peut pas tout taxer sans faire passer l’État pour une machine contre-productive et un fardeau pour les citoyens ». Trop d’impôts tuent l’impôt, dit-on. Les entités territoriales, y compris les provinces, ont tout intérêt à concentrer leur fiscalité sur quelques actes productifs dont elles doivent efficacement organiser la collecte par une administration fiscale bien dimensionnée et contrôlable que l’inverse.

Une autre question fondamentale est celle relative à la répression des infractions fiscales et au règlement des contentieux fiscaux. Cette dimension de notre fiscalité est aussi à aborder avec toute la sincérité qu’elle impose pour notre pays. Pour minimiser les pertes que subi l’État suite à la mauvaise administration de cette matière par les administrations fiscales elles-mêmes ainsi que le juge ordinaire, nous recommandons l’ouverture, au niveau des tribunaux de commerce et de paix, des chambres fiscaux, avec un juge fiscal unique et uniquement compétent pour cette matière.

Ce qui tue l’initiative dit-on, c’est la peur du risque. Cette vérité cardinale vaut en entrepreneuriat comme en politique.

Ce qui est vrai est que les politiques du gouvernement central ont peur du risque de la décentralisation étant donné que sa réussite est conditionnée par la décentralisation financière ou encore fiscale. Par peur de l’inconnu, ils justifient leur attitude en évoquant le risque de sécession des provinces (47).  Ce qui n’est pas évident. En réalité, ils ont peur de perdre des privilèges en termes de pouvoir décisionnel et des avantages matériels y afférents. L’autre face de cette réalité est qu’ils ne peuvent décentraliser les finances dont ils n’ont pas la maitrise. Il est temps de décider de la révision de notre législation fiscale qui doit être un outil de développement et non un outil de frustration des attentes légitimes des populations quant au rôle réel que doivent jouer les entités politiques et territoriales décentralisées. Cela impliquera la tenue préalable des assises provinciales et nationales sur la fiscalité décentralisée. L’output ultime serait le projet d’un code fiscal qui définit clairement et distinctement le domaine fiscal du pouvoir central, celui des provinces et celui des ETD. Ce code devrait en outre définir les procédures fiscales de recouvrement communes  ainsi que celles particulières aux différentes administrations fiscales des 3 échelons d’exercice du pouvoir dans le pays. Ceci part même de la nécessité d’asseoir les relations entre les administrations fiscales à chaque palier d’exercice du pouvoir et les contribuables sur des règles de droit équitables et non sur l’arbitraire. La justice fiscale, qui fait cruellement défaut dans notre pays à cause des procédures cavalières qu’utilisent les agents fiscaux dans les administrations provinciales et locales en serait confortée (48).

Pour arriver à cette étape ultime, un préalable s’impose : Une révision  conséquente de la constitution, des lois organiques portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces et composition, organisation et fonctionnement des ETD et de la loi relative aux finances publiques en ce qui concerne certains articles qui régissent les finances publiques. Ceci demande un courage politique exceptionnel, mais va dans le sens d’un engagement politique pour une émergence qui ne laisse pas nos compatriotes de la périphérie à l’écart, vus les dimensions continentales du pays. Concernant l’output désiré que doit nous produire la réforme que nous suggérons, notre nouveau code fiscale, au-delà du formalisme juridique, devra être la résultante des forces sociales concourantes sur l’échiquier national qui, présentement, sont mues par des rationalités contradictoires si pas même conflictuelles, à savoir : (I) le parlement pour une révision préalable des textes actuels précités et pour le vote de la nouvelle loi fiscale ; (ii) les Assemblées provinciales (iii) les Gouvernements central et provinciaux, (iv) les administrations fiscales nationales et provinciales, (v) les chefs coutumiers et (vi) les composantes de la société civile congolaise.

Pour terminer, que dire encore ?

Il paraitrait qu’ « il semble difficile de parler d’Etat quand celui-ci ne respecte pas et ne fait respecter qu’incidemment les normes prises par lui-même, … quand l’État qui doit les mettre en œuvre est en situation de crise et de faiblesse »  (49). Ceci semble résumer le problème de l’impotence de l’État congolais et de la crise d’autorité dont souffre notre pays et qui, ainsi, fragilise totalement un projet dans lequel tout un peuple a investi ses espoirs.

La fiscalité telle que nous l’avons reçu du colonisateur est un outil que nous avons hérité dans un contexte bien défini : la Loi du dominant imposé au dominé. Une transposition du modèle occidental à des réalités qui nous sont propres. Même si aujourd’hui cette fiscalité de type moderne s’impose à nous pour construire un Etat moderne et émergeant, par moment nous devons, en tant que citoyens de ce pays, avoir le courage de la remettre en question. Nous devons opérer une rupture épistémologique avec le système fiscal traditionnel. Etre capables de remettre en cause notre fiscalité, d’en faire une nouvelle lecture pour lui imprimer une vision qui se conforme à la nouvelle dynamique de la décentralisation en cours d’expérimentation dans notre pays. C’est cette nouvelle lecture qui nous permettra  de faire la réconciliation entre le pouvoir central coupé du pays réel et qui s’accapare des ressources fiscales et non fiscales du pays et les pouvoirs périphériques qui, impuissamment, les poches vides, vivent au quotidien les émotions et les peines des populations. Il n’y a que cette nouvelle lecture qui peut nous permettre de sortir de cette contradiction idéologique de vouloir faire de la décentralisation sans décentraliser les finances de l’État, en commençant par la fiscalité.

(1) Le fait est que, toute évaluation objective faite, la RD CONGO n’a pas pu atteindre les objectifs du millénaire pour le développement en 2015. Peut-il penser faire mieux ? C’est ça aussi un défi.

(2) La dernière nomenclature des impôts, droits, taxes et redevances  octroyés aux provinces et aux ETD renferme une multiplicité d’actes apparemment difficiles à mobiliser par ces entités et dont la nocivité économique est évidente.

(3) Organisation néerlandaise de développement  (SNV) et Centre d’Expertise sur la Décentralisation et le Développement local, « La décentralisation au Mali, du discours à la pratique », in Série décentralisation et gouvernance locale, bulletin no 385.

(4) François Paul YATTA,  La décentralisation fiscale en Afrique, Enjeux et perspectives, Paris, Ed. Khartala, 2009. p. 9. (Ici nous faisons allusion au rôle de la fiscalité dans la politique économique du pays).

(5) François Paul YATTA: Ibidem, P. 7.

(6) Ces constats sont faits par François Paul YATTA dans son ouvrage ci haut cité p. 7  et 255.

(7) Selon l’orateur, au niveau central, la Direction Générale des Impôts est appelée  à mobiliser les recettes de l’Etat avec 6 impôts différents. La Direction Générale des Recettes Administratives et domaniale, quant à elle, encadre 366 perceptions. Quant à la province, elle perçoit 308 actes.

(8) Tout en adhérant aux recommandations des ateliers 3 et 4 de ce forum, ça vaut la peine d’approfondir la réflexion pour inciter les décideurs à plus de courage politique pour mener des réformes fondamentales qui tienne compte des réalités diverses du pays réel.

(9) Voir aussi Onesphore SEMATUMBA, «  Média, citoyenneté et gouvernance : l’expérience de « Echos de Goma et fissures », in Regards croisés, Revue trimestrielle, (juin 2006), no 17, p. 73.

(10) La Loi au sens de l’article 174 de la constitution  englobe-t-elle les Edits prises par les Assemblées provinciales ainsi que les décisions des Conseils locaux?

(11) Ici nous posons la question ayant trait à l’interprétation de l’article 47 de la Loi 08/016 du 31 juillet 2008 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces.

(12) Mohamed HARACAT, Les finances publiques à l’épreuve d la transparence et de la performance, première édition, Rabat, 2010, pp. 20-21.

(13) Nous voulons parler d’une tarification régionalisée

(14) Marie José MAVINGA et Donat TUNAMAU, « La construction de la gouvernance par le bas : l’expérience  de Kinseso », in Regards croisés, Revue trimestrielle, (juin 2006), no 17, p. 58.

(15) Etienne LE ROY, « L’odyssée de l’Etat », in Politique Africaine, (mars 1996), no 61 p. 15.

(16) Ministère de la décentralisation et aménagement du territoire, Cadre stratégique de la mise en œuvre de la décentralisation (CSMOD), Kinshasa, juin 2009, p. 32.

(17) Idem, p. 33.

(18) Ibidem. P. 42.

(19) Jusqu’ici, les ETD ne disposent pas d’organe délibérant qui pouvaient obliger les responsables  de disposer d’un plan de développement local qui les guiderait dans la gestion du développement de leurs entités.

(20) Voir Journal officiel, 53ème année, numéro spécial, 29 septembre 2012, p. 191. François Paul YATTA  estime que l’accès à l’emprunt est une nécessité structurelle pour les collectivités locales si l’on veut assurer une offre des services à la hauteur de la demande sans cesse croissante, cette dernière étant carrément supérieure aux ressources propres des collectivités locales. 

(21) François Paul YATTA: Ibidem, P. 7.

(22) François Paul YATTA : op.cit. P. 263.

(23) Toutes proportion gardée, on estime que sur 100 $ qu’encaissent les agents des administrations fiscales en RD Congo, 40$sont effectivement versés au compte de l’Etat et sur100$ de dépenses publiques qui s’opèrent par l’Etat congolais, 50 $ sont des dépenses fictives.

(24) Fiscalité de quotité attendue comme impôts et taxes d’intérêt commun entre la province et ses ETD.

(25) Ni au parlement les deux chambres confondues, ni aux assemblées provinciales, aucun élu du peuple n’a jamais remis en cause ces disposition ni interpellé les gouvernements national et provinciaux concernant leurs pratiques qui, visiblement s’en trouvent confortées.

(26) André MAZIAMBO MAKENGO KISALA, Régionalisme et décentralisation en République Démocratique du Congo, in La consolidation du cadre démocratique en République démocratique du Congo, PNUD, Kinshasa, 2012, p. 70.

(27) Journal Officiel de la RD Congo, op.cit. p.49.

(28) Pour plus de détails, lire André MAZIAMBO MAKENGO KISALA, op.cit. P.70-73 et p. 120-121.

(29) André MAZIAMBO MAKENGO KISALA, op.cit. p. 70.

(30) Pour plus de détails sur les vues de l’auteur en ce sujet, se reporter sur son exposé pages 275  à 283.

(31) Journal Officiel de la République démocratique du Congo, op.cit. P. 217.

(32) François Paul YATTA : op.cit., P. 279.

(33) Martin COLLET, Droit fiscal, 4eme édition, Thémis droit, PUF, 2007, p. 86.

(34) Le point 2 de l’article 97 de la Loi organique 08/016 du 07 octobre 2008 devrait être bien interprété concernant la compétence des ETD de créer des taxes.

(35) François Paul YATTA : Ibidem, p. 6.

(36) Voir aussi Organisation néerlandaise de développement  (SNV) et Centre d’Expertise sur la Décentralisation et le Développement local, « La décentralisation au Mali, du discours à la pratique », op.cit. p. 83.

(37) Journal officiel de la République démocratique du Congo, op.cit. p.87 et p. 124. Se référer aux dispositions des 2ème paragraphes des articles 48 de la loi 08/012 du 31 juillet 2008 et 08/016 du 07 octobre 2008 et voir COLLET Martin, op.cit. p. 84.

(38) Cette disposition ne s’étend pas aux taxes conformément au point 2 de l’article 97 de la Loi organique no 08/016 du 07 octobre 2008.

(39) François Paul YATTA: Ibidem, P. 255.

(40) Lors de nos décentes dans certaines ETD du Nord-Kivu, nous avons fait le constat que le personnel administratif n’est pas suffisamment outillé techniquement pour faire face aux tâches de mobilisation des ressources locales à générer par l’IPM ainsi que les autres taxes fiscales et redevances locales.

(41) François Paul YATTA: Ibidem, P. 7 et 8.

(42) François Paul YATTA: Ibidem, P. 8. Ce système est a déjà été expérimenté dans les pays anglophones en Afrique de l’Est comme en Uganda.

(43) Il est à noter qu’en R D Congo, les chefs des villages qui sont des dirigeants villageois traditionnels, jouent un rôle important dans la mobilisation sociale et le soutien à l’action des chefs d’entités. Ils ont dans un certain passé post colonial joué un rôle important ou déterminant dans la mobilisation des ressources locales, particulièrement l’IPM. Ils collectaient cet impôt et reversaient le produit à la collectivité (chefferie ou secteur) moyennant ristourne sous forme de pourcentage. Aujourd’hui plus que hier, ces chefs de villages peuvent se révéler être des acteurs clés sur les quelles peut reposer l’essentiel du travail de collecte à l’intérieur des ETD.

(44) En RD Congo, la marchandisation des services publics sociaux de base a pris une ampleur telle que chaque citoyen se pose la question des savoir s’il existe un Etat dans ce pays. Théoriquement, les secteurs de l’éducation et de la santé sont décentralisés et l’enseignement fondamental a été déclarée gratuit. Même si l’éducation et les soins de santé devraient être considérés comme des services fournis par les prestataires de ces secteurs au nom de l’Etat et dont ils devraient récupérer le coût de production auprès des usagers, il y règne un désordre inquiétant dans les tarifs comme dans la qualité qui témoigne de la démission de l’Etat.

(45) Face à cet accaparement manifeste et sans partage du produit de la fiscalité de quotité entre provinces et ETD et d’autres raisons qui expliquent les faibles taux de prélèvement publics des ETD, la nouvelle législation fiscale congolaise  à mettre en place devrait renforcer la fiscalité locale des ETD par le relèvement de la fourchette de l’Impôt Personnel Minimum (IPM).

(46) François Paul  YATTA: Ibidem. P. 284.

(47) Pour plus d’arguments en ce sujet, lire KANKINDI Antoinette, « Une réforme nécessaire : dépasser une centralisation étouffante », p. 65-83 et NGOYI Jean Patrice, « L’Etat congolais, au-delà des ethnies », p. 85-90, in Repenser l’indépendance : la RD Congo 50 ans plus tard, Actes du Colloque du cinquantenaire, organisé par Pole Institute, Collection Cultures et Mémoires vivantes, juillet 2010.

(48) Le fait est que, sauf quelques provinces près, il n’existe pas de code de procédure de recouvrement des recettes publiques pour les provinces et les ETD. Ceci laisse cours à l’arbitraire et ouvre la voie à la tracasserie et au détournement si bien que les taxes deviennent nocives pour l’économie nationale

(49) Revue Politique Africaine, No 61, « Besoin d’Etat », p. couverture.