Le rêve d’émergence de certains pays du continent va en prendre un sacré coup. Les cours des matières premières ont conduit le Fonds monétaire international (FMI) à revoir à la baisse ses prévisions de croissance pour l’Afrique subsaharienne en 2015.
Selon le Fonds monétaire international, le continent reste encore une des régions les plus dynamiques avec une progression attendue du PIB de 4,5 % cette année et de 5,1 % pour 2016. La chute des cours des produits de base – 14 % depuis février, devrait se poursuivre. Les métaux vont enregistrer une baisse – 22 % en 2015 et -9 % en 2016, tandis que les denrées alimentaires vont plonger à – 17 % en 2015 et – 5 % en 2016. Les plus à plaindre seront les producteurs de pétrole du continent qui seront durement affectés. Le prix moyen du baril de pétrole ne se redressera pas significativement dans les prochaines années. Coté à 51,62 dollars en 2015, le baril va se vendre à 50,36 dollars en 2016 et à 55,42 dollars en 2017. Les cours d’un grand nombre des principaux produits de base exportés par l’Afrique subsaharienne ont aussi diminué depuis juin dernier – le gaz naturel de 41 %, le fer de 44 %, le charbon de 22 %, le coton de 21 %, le cuivre de 7,5 % et le platine de 22 %, même si les cours de certains autres produits d’exportation tels que le zinc ont augmenté. En ce qui concerne la croissance de l’économie mondiale, les perspectives sont toujours aussi moins favorables, malgré la baisse des cours du pétrole. Pendant la période à venir, ceux-ci devraient rebondir mais rester inférieurs à leur niveau de ces dernières années. Ces prévisions sont entourées d’une grande incertitude, car il est très difficile de prédire l’évolution de l’offre et de la demande.
Fortunes diverses
Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, les pays importateurs de pétrole bénéficieront d’une facture pétrolière plus légère, mais ce gain sera dans une large mesure annulé par la baisse des cours des autres matières premières. En janvier, le FMI prévoyait une croissance plus forte (4,9 % cette année et 5,2 % l’an prochain) et signale des « risques significatifs » de ralentissement plus marqué. Le FMI pense que le taux de croissance africaine devrait plafonner à 3,8 %.
De façon générale, sur le continent, la croissance 2014 « a bien résisté, notamment dans les pays à bas revenus », grâce à « d’importants investissements dans les mines et les infrastructures, ainsi que la consommation privée », d’après le FMI. C’est le cas notamment, en Côte d’Ivoire, en Éthiopie, au Mozambique et en République démocratique du Congo. Dans ces pays, la croissance devra atteindre 6, 75 % en moyenne en 2015-2016. Les taux de croissance varient de 8 à 10 % en Éthiopie et en RDC. Ils dépassent les 7 % en Côte d’Ivoire et en Tanzanie. Le Kenya est également mieux loti. Il devrait enregistrer une accélération à 6,9 % cette année, puis 7,2 % en 2016 contre 5,3 % l’an dernier.
Trois pays d’Afrique de l’Ouest sont épinglés et ne sortent pas du lot : la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone affectés pendant plus de deux ans par le virus Ebola : « dans ces pays, la croissance a fortement chuté en raison de graves interruptions de l’activité agricole et de services et du report de projets de développement minier », selon le FMI. La facture est lourde pour les trois pays : Ebola a occasionné pas moins de 1,6 milliard de dollars de manque à gagner en 2015, sans compter l’impact sur la nutrition et la scolarité des plus jeunes. La situation dans les pays touchés par l’épidémie de fièvre Ébola reste plutôt sombre. En octobre 2014, les estimations de la croissance avaient déjà été revues à la baisse, mais l’on prévoyait encore une modeste progression du PIB réel. Aujourd’hui, on s’attend à sa contraction. L’effet est particulièrement marqué en Sierra Leone, où la principale mine de fer a cessé de fonctionner et où l’activité devrait accuser un repli de plus de 10 %.
Défi de diversification
La croissance a été revue à la baisse pour certains autres pays. Au Burkina Faso, elle devrait être nettement inférieure à ce qui était prévu en 2015-2016, car à une situation déjà difficile, due à la baisse des cours des produits de base et aux effets de l’épidémie de fièvre Ébola au niveau régional, sont venus s’ajouter des troubles politiques. Les prévisions de croissance ont aussi été revues à la baisse pour l’Ouganda. On explique que la révision de la croissance ougandaise est due à l’actualisation de l’année de référence pour les comptes nationaux et à l’adoption d’une nouvelle méthodologie qui a eu pour effet d’accroître le niveau du PIB d’environ 17 %, mais d’abaisser la croissance de 0,75 de point pour 2014.
Selon le rapport, les États africains ont peu diversifié leur économie. D’autre part, l’essentiel de leurs recettes repose sur un ou deux produits de base comme le pétrole, l’or, le cuivre, le coton ou le café. Les pays tels que l’Algérie, le Nigeria, le Gabon ou encore l’Angola, dont 80 à 100 % des exportations sont constituées d’hydrocarbures, sont très vulnérables. Le FMI brandit un carton jaune, notamment au Nigeria, l’Angola, la Guinée Équatoriale, le Tchad, le Gabon ou encore le Congo-Brazzaville, directement affectés par la chute des cours du brut.
Dans ces pays, l’heure est « à une adaptation dictée par une croissance plus faible que prévu » et les déficits budgétaires et des comptes courants guettent, conséquence d’ambitieux projets d’infrastructures qu’il faut désormais financer avec moins de recettes », constatent les experts.
Pretoria à la peine
Poids lourd économique, pays le plus peuplé d’Afrique et premier producteur pétrolier africain, le Nigeria est concerné au premier chef. Il devrait renouer cependant l’an prochain avec une croissance de 5,0 %, contre 4,8 % cette année et 6,3 % en 2014, selon le FMI. Pays le plus industrialisé du continent, l’Afrique du Sud ne parvient pas, en revanche, à rebondir, malgré l’allégement de la facture pétrolière. Depuis la crise financière mondiale de 2008, elle enchaîne les années de croissance molle. Le chômage reste élevé, le climat social propice aux revendications et l’activité est entravée par un manque d’électricité dû à des retards dans la construction de nouvelles centrales. Le FMI a encore revu à la baisse ses prévisions pour la nation arc-en-ciel à un modeste 2 % cette année (au lieu de 2,1 % prévus en janvier) et il ne croit plus à une relance l’an prochain (2,1 % prévus désormais, au lieu de 2,5 %).
Contraste congolais
Au cours de différentes missions effectuées à Kinshasa, le FMI n’a cessé cependant d’exhorter les autorités congolaises à lutter davantage contre la pauvreté « généralisée » qui persiste en dépit de la forte croissance économique que connaît le pays. Tout en félicitant les autorités pour leur politique macroéconomique prudente ayant permis une croissance économique robuste, le FMI s’inquiète que « la pauvreté et le chômage restent élevés et (…), en encourageant des efforts plus soutenus pour diversifier l’économie, promouvoir une croissance économique mieux partagée et améliorer les indicateurs sociaux ». La République démocratique du Congo connaît une croissance économique supérieure à 7% par an depuis 2012, tirée essentiellement par le secteur minier, mais le pays présente le visage paradoxal d’un pays immensément riche en ressources naturelles où la pauvreté est « généralisée ». Premier producteur de cobalt au monde, la République démocratique du Congo figure parmi les plus grands producteurs de cuivre et de diamant de la planète et est très bien dotée en ressources hydrauliques et forestières. Malgré cela, elle peine à décoller des dernières places des classements internationaux en terme de développement, de climat des affaires ou de corruption.
Ces dernières années, le PIB par habitant a doublé entre 2005 et 2012, mais il reste faible (450 dollars). Le taux de personnes vivant sous le seuil de pauvreté absolue (1,25 dollar par jour et par personne) n’a baissé que de 5 points au cours de la même période pour s’établir à 82 %. Le FMI encourage Kinshasa dans sa démarche visant la réforme du code minier de 2002 afin de dégager des ressources supplémentaires pour des projets de développement.
Différences entre régions
Aux États-Unis, les perspectives restent favorables. Parmi les autres principaux partenaires commerciaux de l’Afrique subsaharienne, les perspectives de l’Europe demeurent tout au plus modestes. Il faut craindre un nouvel affaiblissement de la croissance en Europe ou sur les marchés émergents, en particulier la Chine, qui pourrait réduire la demande à l’exportation, et toucher davantage les cours des matières premières.