Introduction : L’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP) a pris connaissance avec attention des grandes lignes du programme de riposte contre le coronavirus et les mesures économiques prises par le gouvernement pour limiter son impact sur les ménages et l’activité économique en RD Congo. Au regard de tous ces graves méfaits, le regard des Congolais est tourné vers ce qui peut être considéré comme une solution rapide et durable à cette pandémie. Nous saluons les mesures prises par le Gouvernement et nous encourageons tous les scientifiques, dont les résultats peuvent contribuer à trouver des remèdes contre la pandémie.
L’urgence de la maladie et la nécessité de trouver des solutions ne doivent pas être considérées comme un prétexte pour nous écarter des lois essentielles à la vie nationale. Nous voulons ici réfléchir sur les coûts annoncés de la riposte et ainsi inviter à plus de réalisme politique et financier à la fois pour obtenir des solutions plus crédibles et pour éviter les scènes de corruption et détournement comme fut le cas avec le programme des 100 jours.
Le Comité exécutif de riposte, piloté par le professeur Muyembe a déjà annoncé le budget prévisionnel de financement de la riposte qui s’évalue à 135 000 000 dollars (cent trente-cinq millions de dollars américains). L’ODEP, tout en félicitant cette instance pour l’effort réalisé, propose de ne pas s’arrêter seulement à l’aspect sanitaire mais à intégrer tous les secteurs affectés par la pandémie, inclure les provinces et propose ainsi d’étoffer le « PMUR-Covid-19 » (Programme Multisectorielle d’Urgence pour la Riposte au Coronavirus 19).
I. L’ampleur du programme de riposte
En République Démocratique Congo, le coronavirus a dépassé la barre de 50 cas [plus de 2 800 cas déjà] de contamination. La crise du Covid-19 impacte plusieurs secteurs de la vie nationale. L’approche méthodologique d’attaque qui s’impose, c’est la conception et la mise en place d’un programme multisectoriel d’urgence pour la riposte au coronavirus, en abrégé « PMUR ».
Le vendredi 27 mars 2020, toute l’opinion nationale et internationale a vécu la triste démonstration de la faible conscience des autorités face au grave danger que représente le coronavirus, et la méchanceté de ceux avec qui les Congolais par les élections ont signé un contrat social, en plaçant la préservation de leurs vies entre leurs mains face à cette terrible pandémie.
Face à l’ampleur de la maladie, tous les secteurs de la vie nationale doivent être concernés pour l’organisation d’une riposte efficace. La santé, l’économie, le budget, les finances, le plan, la sécurité alimentaire, l’environnement, l’énergie (eau et électricité), les infrastructures, le transport, l’action humanitaire, le travail et la prévoyance sociale, le portefeuille, l’industrie, le commerce, l’éducation dans son ensemble pour ne citer que ceux-là.
Pour étoffer le PMUR, plusieurs projets doivent rapidement être étudiés et provenir des différents secteurs susmentionnés pour alimenter le programme. On peut considérer que le projet présenté par l’équipe de l’INRB concerne essentiellement le volet santé. D’où l’importance des autres secteurs :
1. Le ministère du Plan : L’inefficacité notoire des programmes d’investissements en RDC est liée d’abord à des graves erreurs dans la conception et la réalisation de ces opérations. Nous venons de vivre une énième expérience malheureuse avec le programme de 100 jours du Chef de l’État.
Mal conçu, celui-ci a été un véritable scandale financier ayant été à l’origine de la baisse des réserves de la Banque Centrale du Congo à 869,88 millions de dollars et a creusé le déficit budgétaire jusqu’à atteindre de 564,8 milliards de FC, soit 338 millions de dollars à la clôture de l’exercice budgétaire 2019.
Depuis des années, de nombreux programmes ont saigné et appauvri notre pays, obligé par la suite de se soumettre aux diktats des institutions de Bretton Wood. Nous devons éviter un autre échec avec le PMUR qui est une riposte en faveur des millions de vies humaines. Il faut donc impliquer le ministère du Plan qui est le dépositaire des procédures du cycle de projets et programmes d’investissements publics en RDC. Nous ne voulons plus vivre d’amateurisme, dont les conséquences sont financièrement dévastatrices.
2. Le ministère des Finances : doit pousser les régies financières à mobiliser le maximum des recettes encore possibles. L’encadrement des régies ne peut réussir que si les instruments nationaux de lutte contre la corruption sont mis rapidement en place. Prévoir un niveau zéro de corruption et coulage des recettes, la transparence des modalités de passation des marchés, réhabiliter et appuyer tous les contrôles, particulièrement parlementaires, la Cour des comptes et l’Inspection générale des finances.
Le dernier plan de trésorerie annoncé par le ministre des Finances est encore à ramener à la baisse. Toutes les exonérations accordées sont des manques à gagner en termes de recettes budgétaires. Leurs impacts doivent être évalués et il faut prévoir les recettes de remplacement, notamment par la mobilisation des appuis budgétaires et à la balance des paiements en négociant avec les partenaires techniques et financiers internationaux, pour alimenter le fonds de soutien d’initiatives nationales afin de riposter à la crise, comme annoncé par le gouvernement.
3. Concernant le volet eau et électricité : bravo pour la gratuité pendant deux mois mais il faut aussi veiller à ce que les camions citernes amènent et distribuent l’eau partout dans toutes les communes non encore desservies par la REGIDESO. Cette mesure va occasionner des gros manques à gagner pour ces deux entreprises de l’État et des coûts complémentaires liés à la distribution de l’eau par les camions citernes. Le coût de ce volet doit être évalué comme une composante du PMUR. Il faudra aussi non seulement payer les arriérés des factures, mais compenser les manques à gagner dus à la gratuité.
4. La sécurité alimentaire : le confinement partiel ou total ne réussira pas si les vivres ne sont pas distribués gratuitement à la population de la région mise en quarantaine. Des nombreux pays, touchés par le coronavirus, à l’instar du Rwanda, l’ont fait et continuent à le faire. Cependant, il faut en évaluer le coût pour éviter la rupture du stock.
5. Le transport : les mototaxis, les taxis, les autobus « Esprit de vie » ou « Esprit de mort » (207), Transco, tous ces modes de transport créent beaucoup d’emplois informels ou formels, créent des revenus d’exploitation pour les propriétaires qui vivent de cette activité et payent les impôts et taxes à l’État. Ces activités frappées de plein fouet par les mesures de riposte contre le coronavirus doivent être indemnisées.
6. Les entreprises privées et publiques vont connaître baisse de la production des biens et services, baisse du chiffre d’affaires, baisse des bénéfices, disparition des emplois, etc. Il faut évaluer cet impact négatif des mesures salutaires, certes du gouvernement contre la pandémie sur les entreprises (PME et PMEA) et les indemniser.
7. Les infrastructures : les équipes médicales de riposte ne peuvent être efficaces que si les voies routières, ferroviaires, aériennes, fluviales, les ports, les télécommunications fonctionnent et que les énergies sont disponibles. Il faut également équiper et réhabiliter les formations hospitalières, qui reçoivent les malades. Tout cela doit être évalué et sont des composantes du PMUR.
8. Les prix (Économie) : la lutte contre la spéculation artificielle sur les prix est aussi un volet du PMUR. Sinon le confinement sera un mouroir pour la population. Il faut par exemple prévoir un mécanisme de suivi des prix sur le marché en faisant recours à la police, réprimer si possible les contrevenants. Tout ça mérite une prise en charge financière.
9. L’industrie : dans l’optique d’une auto-prise en charge par nous-mêmes, l’État pourrait envisager de participer au renforcement financier des certaines industries locales dans le domaine de la production des médicaments sur la base des plantes médicinales locales telles que le quinquina par exemple. L’industrie locale peut également participer à la distribution de l’eau et des vivres, désinfecter les quartiers touchés, participer à la fabrication des désinfectants et des matériels de protection contre le Covid-19. Il y a un coût à cela qu’on pourrait évaluer et inclure dans le coût du PMUR.
10. Le commerce intérieur : ils sont très nombreux les opérateurs économiques touchés : les vendeurs dans tous nos marchés, les petits vendeurs ambulants, les petits commerçants à la Gombe, Kasa-Vubu, Ndjili, Lemba, partout, les stations d’essence, les terrasses, bars, boîtes de nuit, restaurants modernes, les « Malewa », « Quado », cabines téléphoniques, tous sont touchés durement et sont au bord de la faillite. Leur soutien représente un coût que l’État doit assumer.
11. Commerce extérieur : notre balance commerciale vis-à-vis de nos partenaires commerciaux connaîtra de graves déficits. Peu d’exportation, peu de devises, peu d’importation des consommations intermédiaires, baisse de la production intérieure vont alimenter le cercle vicieux de la pauvreté. Il faut prévoir des compensations.
12. Le secteur agricole et rural vont s’effondrer, les villes vont manquer des produits vivriers, avec les difficultés d’importation, la crise alimentaire va prendre des proportions alarmantes et les explosions sociales sont à prévoir, des émeutes de la faim et puis les pillages de triste mémoire qui vont écrouler durablement nos maigres infrastructures et notre économie.
II. Le coût et le financement du PMUR
Les recettes domestiques de la RDC se sont effondrées ces dernières années. De janvier à février, le gouvernement a mobilisé moins d’un milliard de dollars. Au cours de la même période, les opérations financières de l’État accusent un déficit de 388,9 milliards de FC (230 millions de dollars), par rapport au creux programmé de 89,1 milliards de FC (53 millions de dollars). Ce solde négatif résulte des recettes de 370,9 milliards de FC (219 millions de dollars) et des dépenses de 632,2 milliards de FC (374 millions de dollars).
Face à cette crise sanitaire et à la réalité de nos finances publiques, la RDC ne sera en mesure d’assurer un bon financement du PMUR. Nous pensons que toutes les institutions de la République doivent faire des sacrifices en cette période de crise. Des coupes budgétaires s’imposent. Une loi de finances rectificative doit être rapidement élaborée et déposée au Parlement pour un vote en urgence. Les prévisions actuelles ne sont ni réalistes ni crédibles, au vu de l’ampleur de ce programme et des besoins. 135 millions, c’est juste les aspects sanitaires, mais comme on vient de le démontrer, il s’agit d’un programme multisectoriel. Il faut reprendre l’évaluation et impliquer les experts des autres secteurs pour arriver à une évaluation financière et économique réaliste et crédible du programme qui pourrait être pour l’année en cours 3 fois supérieures aux prévisions actuelles. Le PMUR doit être financé par un fonds multi bailleurs et une importante contribution de l’État congolais.
Il faut pour la RDC une prévision de 500 millions de dollars à court terme et d’environ 1 milliard 700 millions de dollars à moyen et long termes pour faire face à la pandémie de coronavirus et ses impacts sur l’économie, tout en incluant les provinces. Le fonds doit être prélever en réduisant par exemple de 25 % les émoluments des personnels politiques, notamment députés nationaux et provinciaux, sénateurs, membres des cabinets ministériels, de la présidence de la République, de la Primature, des bureaux des deux chambres du Parlement et des Assemblées provinciales ; le gel des promesses d’augmentation des salaires et la mécanisation des agents publics (95 millions de dollars pour 1 500 000 agents/mois) pour une période de trois mois, qui occupent déjà plus de 77 % des dépenses de l’État ; gel des missions de service improductives à l’intérieur et à l’étranger ; tous les projets d’investissements en cours d’exécution doivent être suspendus, à l’instar du programme de 100 jours. Les fonds y afférents devront être transférés au PMUR.
III. Cadre légal pour le financement du PMUR
Pour préparer la loi de finances rectificative, le comité de cadrage macro-économique doit revoir à la baisse tous les indicateurs macro-économiques prévus au moment de la préparation du budget 2020, suite aux chocs du coronavirus sur l’économie de la RDC. Le PIB, le taux de croissance, le taux de change… tout est à revoir à la baisse. Concernant le niveau du taux de croissance, il se situerait au mieux aux alentours de 1 à 1,5 %. La pression fiscale va dégringoler à moins de 5 %, le PIB va chuter de moitié au moins et il ne faudra pas espérer plus de 3 milliards de niveau des recettes budgétaires en 2020.
Le PMUR doit être triennal comme tous les projets de l’État dont le cycle est toujours de trois ans, pour faciliter les effets collatéraux de l’épidémie sur les personnes touchées et sur l’activité économique en générale. Une planification opérationnelle de la première année doit être faite et un PTBA préparé par le comité exécutif du projet et approuvé par un comité de pilotage multisectoriel présidé par le ministère de la Santé. Ainsi, la transparence et la redevabilité, le respect des procédures et de la loi seront garantis. Il s’agit de très nombreuses vies humaines à sauver.
Conformément à l’article 41 de la loi relative aux finances publiques, les aménagements à apporter à la loi de finances initiale doivent obtenir le quitus du Parlement, qui est l’autorité budgétaire. En toute urgence, les parlementaires doivent regagner le chemin de l’hémicycle pour le vote d’une loi de finances rectificative afin de donner au gouvernement les moyens de combattre le Covid-19.
Ils devront réduire drastiquement le train de vie de l’État. Au Kenya, le président Uhuru Kenyatta a réduit son salaire de 80 %. Il faut repérer toutes les dépenses obscures inscrites dans le budget : frais de recherche, frais d’interventions économiques et sociales notamment pour trouver les ressources de la riposte en donnant plus des moyens au PMUR. Le PMUR est aujourd’hui la priorité des priorités de toutes les urgences nationales. Les Honorables députés et sénateurs doivent faire montre d’un sursaut patriotique pour vaincre la peur et voter rapidement la loi de finances rectificative.
Pour l’Observatoire de la Dépense Publique,
Florimond Muteba Tshitenge,
Président du Conseil d’Administration.