EN EUROPE, la nouvelle directive Mifid II qui vise à rendre plus transparente l’activité des marchés financiers et des sociétés de gestion. Aux États-Unis, la loi Dodd-Frank, votée en 2010, est destinée à limiter les prises de risques sur les marchés et à renforcer la responsabilité des banques dans le maintien de la stabilité financière…
C’est à se demander si ces mesures et bien d’autres ont érigé des digues assez hautes pour contenir un nouveau tsunami (krach financier). Des analystes financiers s’inquiètent qu’on ne soit pas encore arrivé au bout de la réglementation de la finance. Selon une liste publiée en novembre dernier par le Conseil de stabilité financière (FSB) – une institution créée en 2009 par le G20 pour surveiller la finance mondiale -, la planète compte encore 29 banques « systémiques ». Des établissements dont l’effondrement pourrait, à lui seul, paralyser toute la planète financière.
Certes, ces géants ont, sous la pression, renforcé leurs fonds propres et réduit les risques à leurs bilans. Mais les réserves dont disposent ces plus grandes banques sont, pour nombre d’entre elles, très inférieures au niveau des pertes qu’elles ont enregistrées lors de la crise de 2008. Reste que si un désastre de même ampleur se produisait aujourd’hui, elles devraient de nouveau être renflouées, avertissent les auteurs d’un rapport pour le think tank Terra Nova.
Prenant la parole, le 8 février dernier, au dîner annuel des banquiers organisé par l’Association congolaise des banques (ACB), Deogratias Mutombo Mwana Nyembo, le Gouv’ de la Banque centrale du Congo (BCC), qui a déclaré tout haut que le moment est venu d’adapter les exigences prudentielles locales aux Accords de Bâle.
Les normes de Bâle
Chacune des recommandations du Comité de Bâle comporte de multiples dimensions, jugées nécessaires à un moment donné. Toutefois, elles s’articulent toutes autour d’un outil principal : le ratio de fonds propres. Ce ratio a été le grand principe posé par Bâle I. Il s’agit alors d’« imposer un rapport minimum entre les fonds propres dont dispose une banque et les risques qu’elle porte sur les marchés ou sous forme de crédits à ses clients ». En 1988, Bâle I a imposé d’avoir un ratio minimum de 8 % entre ces deux indicateurs. En 1996, une révision de l’Accord intègre les risques de marché en complément du risque de crédit.
Bâle II, en 2004, est une adaptation de ce principe à la complexité des évolutions du métier bancaire. Il a notamment cherché à définir un cadre plus complet dans l’appréciation des risques bancaires réels, à rapprocher le capital réglementaire du capital économique, et à inciter au développement d’un modèle interne de gestion des risques. L’approche de Bâle II se veut donc à la fois plus réaliste et plus fine que celle de Bâle I.
Enfin, Bâle III est censé adapter la régulation du système bancaire à la suite de la crise de 2008. Ces changements ont pour objectif de renforcer la résilience du secteur bancaire : renforcer la solvabilité des banques, développer une surveillance de la liquidité, améliorer la capacité du secteur bancaire à absorber les chocs résultant des tensions financières et économiques, et réduire les risques de débordement vers l’économie réelle.
Les banques soutiennent le principe des ratios harmonisés fondés sur les risques et reconnaissent, au-delà de leur utilité, la nécessité d’imposer de telles normes, comme autant de garanties de la stabilité financière mondiale. Toutefois, pour être véritablement efficaces, ces normes doivent répondre à deux exigences : d’abord, une bonne calibration des ratios pour ne pas entraver la capacité de prise de risque des banques – ce qui constitue leur rôle dans le circuit économique – donc la croissance. Ensuite, une mise en œuvre homogène dans tous les pays, de façon à garantir un level playing field et une concurrence loyale entre les établissements des différents pays, mettant fin à la pratique des arbitrages réglementaires.
La crise des subprimes
La crise financière de 2008 a mis en exergue les carences et les insuffisances du dispositif de Bâle II : problèmes de mauvais fonctionnement des marchés financiers, de liquidité, des agences de notations, etc. De manière générale, la question soulevée était celle du rapport entre le niveau de fonds propres des établissements financiers et les risques encourus par leurs activités (subprimes, par exemple).
Dans le jargon financier nord-américain en matière de crédit hypothécaire, on désigne par le terme subprime les prêts octroyés à des débiteurs de moindre solvabilité. Ces derniers, qui présentent un risque de défaut plus sérieux, se verront imposer un taux d’intérêt plus élevé, à savoir le prime rate majoré d’une « prime de risque » (risk premium) ».
En effet en autorisant, dès le début des années 2000, les institutions bancaires à emprunter de l’argent à un taux grotesquement bas, ces dernières n’ont pas tardé à sauter sur cette aubaine afin d’en tirer le plus grand profit. C’est ainsi qu’elles ont instrumenté une grande opération de spéculation entre elles à travers la création de produits financiers très compliqués, mais surtout hyper toxiques. Pour cela, elles n’ont pas hésité à spéculer sur tous les produits : les matières premières telles que le pétrole et les métaux précieux, mais aussi les produits alimentaires tels le blé, le café, le coton ou le cacao, etc. Mais leurs plus grandes boursicotassions visaient le secteur de l’immobilier.
À cet égard, les banques américaines ont élaboré des stratégies de vente très offensives, mais surtout hasardeuses et redoutables puisqu’elles ne ciblaient pas uniquement les clients dont la trésorerie était en mesure de faire face aux dettes contractées à échéance, mais également les personnes insolvables, en leur proposant des prêts avec un taux fixe les trois premières années, mais qui basculera en taux variable juste après !
Mieux encore, pour ratisser large et attirer le maximum de clients, les banques ont proposé des commissions alléchantes à leurs courtiers. Et pour parfaire leurs stratégies, elles ont fait appel aux services des traders afin de spéculer sur tous les produits, moyennant de bonnes primes dont les montants s’élevaient, dans certains cas, à plusieurs millions de dollars par golden boy. Conséquence, dans leur course aux primes, les traders ont réussi à façonner certaines tactiques diaboliques dans le but d’inciter les Américains à acheter n’importe quoi, mais surtout à travers des crédits.
En fait, la crise aurait pu être contenue s’il n’y avait pas une amplification et une multiplication des débauches, mais au moment où les conditions d’inversion brutal ont commencé à se faire sentir, les acteurs financiers n’ont pas déclenché des procédés de sauvetages, ils ont continué à faire confiance aux banques centrales, en croyant qu’elles veillaient efficacement à la stabilité de l’ensemble.
Concrètement, des actifs plus ou moins risqués étaient financés par très peu ou pas de fonds propres. Ce qu’on appelle « l’effet de levier » permettait alors d’obtenir une rentabilité très importante, dépassant les 100 % dans certains métiers.
L’idée du Comité de Bâle est relativement simple : plus de fonds propres, des fonds propres de meilleure qualité et plus de transparence. Cinq mesures principales sont mises en avant par ce comité : le renforcement des fonds propres en améliorant la qualité et en relevant les ratios ; l’introduction d’un « coussin contra-cyclique » par les régulateurs nationaux, allant de 0 % à 2,5 % du capital ; l’instauration de ratios de liquidité qui a été un facteur décisif dans la crise de 2008 ne faisant l’objet d’aucune réglementation harmonisée au niveau international. Le Comité de Bâle a proposé la mise en place dans Bâle III de deux ratios de liquidité : primo, le « liquidity coverage ratio » (LCR), ratio court terme, qui vise à obliger les banques à maintenir en permanence un stock d’actifs liquides permettant de supporter une crise aiguë pendant 30 jours. Secundo, le « net stable funding ratio » (NSFR), ratio long terme, en complément structurel de la norme court terme, met en regard le financement stable disponible et le financement stable nécessaire sur 1 an.
Les États-Unis, qui n’appliquent pas totalement Bâle II, ont accueilli favorablement la réforme de Bâle III, qui ne devrait être appliquée qu’à la dizaine de « core banking organisations » (banques avec 3 filiales de banques étrangères et dont le bilan est supérieur à 250 millions de dollars ou dont les actifs détenus à l’étranger dépassent 10 milliards de dollars), déjà soumises à l’approche avancée Bâle II. Les recommandations définitives concernant Bâle III ont été approuvées à l’occasion de la réunion du G20 de Séoul, les 11 et 12 novembre 2010. Il aura fallu quatorze ans de travail pour voir naître les premiers Accords de Bâle (1974-1988), cinq ans pour Bâle II (1999-2004), deux ans pour Bâle III (2008-2010)…