La Francophonie préoccupée par la relation de l’université à l’entreprise

Briser les barrières entre la formation et la profession pour créer une coopération efficace et durable, tel a été le fil conducteur, pourrait-on ainsi dire du colloque organisé à Kinshasa les 10 et 11 mars dernier par l’AUF en Afrique centrale et Grands lacs.

C’EST une première dans cette partie du continent. La direction régionale Afrique centrale et Grands lacs de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) a organisé pendant deux jours (10 et 11 mars 2020) son premier colloque régional à l’Université Protestante au Congo (UPC) de Kinshasa, en République démocratique du Congo. Après ce colloque régional, elle a tenu le regroupement annuel des responsables des implantations les 12 et 13 mars. 

Le colloque a réuni environ 70 délégués venus principalement des universités de la région, du monde socio-économique et des partenaires institutionnels de la direction régionale Afrique centrale et Grands lacs. En venant au colloque, les participants étaient déjà convaincus de la nécessité du rapprochement de l’université et de l’entreprise aujourd’hui pour une meilleure synergie en vue d’une meilleure employabilité et une meilleure insertion professionnelle des étudiants. Une motivation évidente des universitaires mais aussi des acteurs du monde socioéconomique et du patronat à collaborer ensemble pour mettre ensemble des systèmes efficaces dont la co-construction pourrait être un modèle mais ce n’est pas l’unique.Le colloque régional de l’AUF en Afrique  centrale et Grands lacs s’est penché sur le thème « Comment construire une coopération efficace et durable entre l’université et le monde socio-économique ? » L’effet recherché était de favoriser les échanges autour des deux thèmes centraux et faciliter l’élaboration des recommandations. Il y a eu deux tables rondes au cours de ce colloque. La première a porté sur la définition de critères et d’indicateurs traduisant l’efficacité de la coopération, tandis que la seconde s’est penchée sur le schéma favorisant sa durabilité. 

Selon les organisateurs, la coopération université-monde socioéconomique est de nos jours perçue comme principal levier de l’employabilité et de l’insertion professionnelle des diplômés. Cependant, son impact sur les systèmes universitaires dans cette région et sa pérennisation restent aléatoires, liés principalement aux initiateurs de cette coopération et à la faible capitalisation institutionnelle et dissémination des expériences réussies.

Une vision partagée

En effet, nous assistons à de multiples actions, fruits de cette coopération, mais la problématique majeure qui a été débattue durant ce colloque est celle de l’efficacité et de la durabilité de la coopération université-entreprise, deux éléments clés pour l’ancrage de ce concept dans les systèmes universitaires de la région. Concept au cœur de la réponse au défi 2 de la stratégie 2017-2021 de l’AUF « Employabilité et insertion professionnelle des diplômés ».

Normal qu’au terme de ce colloque, les participants convergent vers une vision partagée d’un modèle de coopération efficace et durable entre l’université et l’entreprise. Un groupe de travail issu de ce colloque s’attèlera à préparer, dans un délai de six mois un document s’inspirant de ses recommandations et proposant un modèle contextualisé à la région Afrique centrale et Grands Lacs. Un comité de pilotage sera alors constitué pour déployer ce document en région.

En tant que président du conseil scientifique du colloque, le professeur Jacques Etame du Cameroun, estime que les liens durables, encore trop peu développés, que peuvent tisser le couple université-entreprise sont porteurs d’espoirs et constituent un excellent levier de l’employabilité et de l’insertion des diplômes. « Pour y parvenir, il serait important de briser les barrières, d’éliminer les préjugés – la première se croit supérieure et la seconde seule créatrice de richesse – de faire en sorte que les deux acteurs marchent l’un à côté de l’autre… et pour parler prosaïquement, que chacun trouve y son intérêt », souligne-t-il.

D’après lui, la mise en place des synergies favorables à la fois à la compétitivité des entreprises et à l’efficacité de la formation professionnelle est salutaire. Convaincu que l’efficacité et la durabilité de cette co-construction doit tenir compte de la vision et de la volonté convergente des deux acteurs. « C’est fort de cela que l’élaboration commune d’un écosystème innovant à l’instar des plateformes, tenant compte des territoires, me paraît idéal », déclare-t-il.

À propos des enjeux liés à la construction d’une coopération efficace entre les universités et leur environnement socio-économique de façon plus élargie pour les pays de la région Afrique centrale et Grands lacs de l’AUF, il fait remarquer que le continent africain, en l’occurrence la région Afrique centrale et Grands lacs, compte le plus grand nombre de jeunes en âge de travailler soit environ 30 % de la population. Que le chômage des jeunes y représente un véritable danger pour la paix sociale et une cause directe de la fuite des cerveaux et de l’émigration massive. 

Et que le marché dans la région Afrique centrale et Grands lacs est actuellement caractérisé par un secteur informel dominant, principal pourvoyeur d’emplois ; un chômage de première insertion qui affecte surtout les jeunes et les diplômés de l’enseignement supérieur ; une nette préférence de l’emploi salarié par rapport à l’emploi indépendant ; un secteur formel étroit et peu développé technologiquement.

Vu sous cet angle, les défis, notamment pour l’université dans son rôle d’opérateur du développement local et global, sont nombreux. « Un des défis importants est l’inadéquation entre les offres de formation et les besoins réels du marché du travail.  Il faut prendre en compte dans l’offre de formation, les besoins socio-économiques de l’environnement local ou national. On peut aussi évoquer l’incapacité du tissu économique à absorber les diplômés de l’enseignement supérieur (surqualification). Il faut donc penser à développer la culture et la pratique de l’entrepreneuriat », pense Jacques Etame.

Pour qui la professionnalisation de l’enseignement supérieur sur lequel les États ont misé, doit doter les diplômés de capacités directement opérationnelles sur le marché du travail et exploitables dans le cadre d’une création d’activité ou d’entreprise. « Cela nécessite d’intensifier le dialogue entre le monde académique et les milieux économiques.  La professionnalisation doit non seulement compter sur des enseignants de haut niveau mais surtout s’appuyer sur un équipement pédagogique de pointe aligné sur celui utilisé par les entreprises ou au-delà », dit-il. 

Et d’ajouter : « L’université doit enfin répondre aux grands défis sociétaux, en incitant les universitaires à participer à la construction des politiques publiques ou aux diagnostics de phénomènes complexes… les résultats de ce colloque constituent entre autres un facteur du développement de la culture scientifique et technologique et un renforcement de l’internationalisation des compétences dans la région Afrique centrale et Grands lacs de l’AUF. »