Histoire. 1914, sur les bords de la Sangha, les combats entre Français et Allemands ont redessiné les frontières en Afrique équatoriale.
« Je m’en fous a perdu la guerre » ! Transmise de génération en génération, l’expression est toujours employée dans la Sangha, l’un des plus septentrionaux départements du Congo. Elle désigne la défaite des Français à M’Birou, petit village de pêcheurs bomoualis, logé au bord de la rivière Sangha, à une dizaine de kilomètres au sud de Ouesso, l’actuel chef-lieu du département de la Sangha. Nous sommes en août 1914, dans l’un des postes de la vallée de la Sangha contrôlée depuis trois ans par les Allemands qui occupent le Cameroun voisin. Suite à l’accord franco-allemand du 4 novembre 1911, ces derniers avaient, en effet, obtenu l’accès au fleuve Congo en échange de la liberté d’action de la France au Maroc. Ainsi leur était revenu tout le bassin de la Sangha, sauf le cours supérieur de la rivière Likouala aux Herbes, soit une bande de territoire, en forme de hotte allongée, de 100 à 250 kilomètres de large, s’étendant entre Ouesso, Bonga, sise au bord du fleuve Congo, et Berandjokou, situé dans l’extrême nord de l’actuel département de la Likouala. À cela s’ajoutait une partie de l’actuel département de la Sangha, notamment les districts de Souanké et de Sembé.
Autant de régions soustraites au territoire du Moyen-Congo, que les Français vont chercher à récupérer. La Première Guerre mondiale, qui les oppose notamment aux Allemands, va donner l’occasion aux uns et aux autres de reprendre ou de conquérir de nouveaux territoires en Afrique. Au prix de combats souvent féroces, auxquels prendront part les «tirailleurs indigènes».
M’Birou, première manche des combats entre Français et Allemands
C’est dans le cadre de ce conflit transporté en terre africaine qu’officiers et hommes de troupe de l’Infanterie coloniale française fêtent à M’Birou, en ce début août 1914, avec force victuailles, alcools et chants patriotiques, les victoires qu’ils ont remportées sur les Allemands dans la Basse Sangha. Ils célèbrent notamment la reprise du poste allemand de Bonga, situé à la confluence de la rivière Sangha et du fleuve Congo. Et celle du poste de Picounda, sis plus en amont, sur la même Sangha.
Grisés par leurs succès et les vapeurs du bon vin, les Français baissent la garde, rabrouant à plusieurs reprises d’un «je m’en fous» agacé leurs serviteurs congolais qui tentent, en vain, de leur signaler l’arrivée d’un bateau allemand qui ramène de Picounda et d’Ikalanda des soldats allemands. Arrive alors ce qui devait arriver. À l’annonce de l’attaque de M’Birou par les Français, une partie des militaires allemands sont débarqués, avec pour mission de reprendre le poste. Conduite à la fois par terre et par eau, l’attaque est rapide et vigoureuse. Surpris, les Français n’ont pas le temps de réagir et les Allemands occupent ainsi sans coup férir le poste de M’Birou. Bilan : dix-sept morts côté français et un seul rescapé qui réussit à s’enfuir à Ouesso. En 1915, une stèle à leur mémoire a été érigée sur le lieu même où ils sont tombés.
Après leur victoire, craignant des représailles, les Allemands ne s’attarderont pas à M’Birou, préférant filer plus au nord. Puis, pendant plus de deux mois, Français et Allemands vont se battre dans la région, le long de la Sangha et de la rivière Ngoko. N’Zimou, Bomassa, Nola… les postes passent tour à tour dans les mains des uns ou des autres. Alors que les Français pensent contrôler le poste allemand de N’Zimou, situé au nord de Ouesso sur la Sangha, un détachement allemand, parti de Molundou, s’en empare, coupant ainsi les communications avec Ouesso, restée aux mains des Français. La France est en mauvaise posture. Elle ne s’en sortira que grâce aux Belges du Congo auxquels le gouvernement de l’Afrique équatoriale française fait appel le 29 septembre 1914.
Les Belges en soutien aux Français pour prendre N’Zimou
C’est ainsi que, le 30 septembre, le vapeur «Luxembourg» quitte Léopoldville (actuelle Kinshasa), avec 136 soldats sous les ordres du lieutenant-colonel François Bal. Il remonte le Congo et l’Oubangui pour rejoindre le poste français de Doungou (dans l’actuel département de la Likouala) menacé par les Allemands. Doungou hors de danger, les Belges vont alors prêter main forte aux Français pour attaquer N’Zimou. Le 25 octobre, 150 de leurs tirailleurs viennent se joindre à la garnison d’Ouesso. Le lendemain, sous la direction du général Aymerich, commandant supérieur des troupes de l’Afrique équatoriale, une reconnaissance offensive, à laquelle prend part Lucien Fourneau, lieutenant-gouverneur du Moyen-Congo, se rend à N’Zimou. Le Luxembourg ouvre la marche, suivi de plusieurs bateaux. Quatre jours de combats intenses, sur terre et sur eau, seront nécessaires avant que les troupes françaises et belges prennent le dessus. Le 29 octobre, c’est chose faite. N’Zimou tombe, définitivement perdu pour les Allemands. Une autre force, venue de Bangui, la colonne Morisson, enlève Zinga, M’Baïki, Bania, Carnot. À la fin octobre, tous les territoires de la Sangha sont redevenus français. Plus rien n’arrête alors les Français et les Belges, qui se rendent maîtres de la vallée de la Sangha avant de s’élancer vers Yaoundé.
Des combats qui effacent le traité de novembre 1911
Pour rappel, le traité du novembre 1911 entre la France et l’Allemagne avait déplacé la frontière du Cameroun sur le Djouah. Les territoires ainsi gagnés par la colonie allemande furent appelés Nouveau Cameroun. Ils comprenaient au Gabon le Woleu-Ntem, et au Congo les régions de Souanké Sembé Fort-Soufflay et Ouesso. Deux prolongements donnaient accès à l’Oubangui et au Congo, un sur la Sangha entre les deux Likouala, Likouala-aux-Herbes et Likouala-Mossaka formant la région de la Daki, l’autre le long de la Lobaye débouchant sur Oubangui aux abords de Zinga. En Sangha et Haute-Sangha, Ouesso, Bania et Carnot étaient cédés par les Français. La compagnie concessionnaire Ngoko-Sangha évacua ses factoreries en 1913, elle demandait à l’administration de transférer ses stocks de poudre de Ngoïla à Soufflay. À Ouesso, l’évacuation des postes français au Nouveau Cameroun fut progressive. Des commissions de délimitation avaient été constituées. Ouesso, qui subsistait comme seul poste français de la région, devint un hinterland qui recevait les villages repliés de la Ndaki.
Ouesso passa sous commandement allemand au début de 1914 mais fut réoccupé par les Français le 31 août de la même année dans le cadre des opérations de guerre. Le 28 octobre le poste de N’Zimou, au nord de Ouesso, fut enlevé et les colonnes envoyées par le Dja, la Sangha et la Lobaye aboutirent au Cameroun à la prise de Bertoua Doumé et Lomié.