Aux Lignes aériennes congolaises, ex-Air Zaïre, il y a longtemps que les travailleurs ont cessé de versé des larmes. Depuis 1994, les salaires et autres avantages n’ont pas été payés. Cela fait donc plus de 240 mois que tout le monde a fini par se faire une raison. L’ex-fleuron de l’économie nationale a sombré corps et biens.
Y a-t-il encore quelque chose à liquider aux Lignes aériennes congolaises ? La réponse est oui, selon Sylvain Makiese, délégué des travailleurs au comité de liquidation. Des immeubles à travers le pays dont les plus importants se trouvent à Kinshasa, quelques autres en Afrique. À Kinshasa, Lacs dispose également d’un terrain, actuellement occupé par la police de circulation routière. Ce terrain fait cependant l’objet d’un litige. Il a été vendu à RawBank, pour 6,237 millions de dollars. Par la suite, l’État s’est rebiffé et a bloqué l’accord conclu entre les parties. Alors qu’il avait donné son aval pour la vente, à la suite d’un protocole signé entre l’employeur et les travailleurs du transporteur le 3 août 2011. La dette sociale de Lacs s’élève à 119 millions de dollars d’arriérés de salaires. L’accord prévu était pourtant de nature à relancer les activités de l’entreprise, les salariés ayant accepté de renoncer à 85 % de leurs créances sur la société, explique un agent. Les quelques villas et appartements mis en location constituent actuellement l’unique source de revenus de Lacs. À ce maigre patrimoine, s’ajoute un avion de type Boeing 337/200, en état de vol, assure-t-on, mais qui se trouve immobilisé sur l’aéroport de Ndjili, depuis plusieurs années.
Nouvelle réglementation
On affirme que depuis 2010, de nouvelles conditions ont été édictées pour l’exploitation. Il s’agit de l’obtention d’une licence d’exploitation, moyennant paiement. Il faut également disposer d’un certificat de transport aérien (CTA) et enfin d’un dépôt auprès d’une banque pour couvrir au moins trois mois de charges d’exploitation. La nouvelle réglementation impose que l’exploitant dispose de deux aéronefs, au minimum. Sans licence ni certificat, avec pour seules ressources les loyers tirés des maisons louées, le Boeing de Lacs reste donc cloué au sol. En l’état actuel des choses, Lacs ne peut donc plus voler. À Air Terminus, siège de la compagnie, on se plait à rappeler que cet avion a été acquis sur fonds propres, grâce aux efforts financiers consentis par les agents et cadres de la société. Une croix a été mise sur les maisons données à crédit à quelques agents, notamment à la Cité verte à Kinshasa.
La décision de liquider Lacs date du 5 décembre 2014. Ses créanciers privilégiés ? Les 4000 agents, selon la réglementation congolaise sur les faillites. À l’époque de sa splendeur, Air Zaïre disposait d’une flotte d’une vingtaine d’avions. Le « Léopard volant » ne comptait que de deux avions de seconde main, mais de qualité irréprochable. Tous ses aéronefs avaient été acquis sur le marché, selon les règles de l’art. Parmi ses autres sources de revenus, on rappelle le service au sol (Handling) et le catering (restauration). Les compagnies aériennes exploitant les aéroports de la RDC parmi lesquels Kenya Airways, South Africa Airways (SAA), Ethiopian … versaient régulièrement de substantielles royalties. La descente aux enfers d’Air Zaïre a commencé lorsque le propriétaire, l’État décide lui-même de se payer sur la bête. Gestion calamiteuse, gabegie financière, recrutement anarchique. On rappelle que les étudiants zaïrois de l’époque payaient 25 % du prix du billet, le reste étant pris en charge par le Trésor public. Des billets d’avion étaient distribués au petit bonheur, les avions affrétés sans qu’aucun paiement ne puisse suivre. La crise est passée par-là et Air Zaïre a sombré, corps et biens. Il y a lieu de signaler que cette société détient sur l’État une créance évaluée à 23 millions de dollars Le changement du nom de la société ne l’a pas épargnée. Avec la cessation des activités, Lacs a commencé à recourir à Brussels Airlines pour assurer le service au sol, son propre matériel étant devenu obsolète. Jadis, elle desservait plusieurs capitales africaines et le réseau domestique, l’un des plus denses, alignait des vols intérieurs qui reliaient l’ensemble de ce pays-continent. Pendant près de vingt ans qu’a duré l’exploitation, cette société n’avait pas connu un seul crash.
Autres formules
« Toutes les autres formules imaginées pour sortir la société du coma dans lequel elle était plongée n’ont pas abouti », affirme Sylvain Makiese. La décision de liquider Lacs a été annoncée aux agents le 5 juin 2012. De même qu’un plan de relance et de restructuration. Les agents s’étant rendus bien compte que la société ne pouvait pas être sauvée, avaient proposé eux-mêmes que Lacs soit liquidée pour réaliser l’actif et apurer le passif. La vitesse d’augmentation du passif est telle que la masse salariale atteint, chaque mois, plus de 1 million de dollars. Le produit issu de la vente du terrain querellé, boulevard du 30 juin, soit plus de 6 millions de dollars, a été englouti dans le paiement des arriérés de salaires. Entretemps, la mort ne cesse de semer la désolation dans les rangs des travailleurs. L’humiliation aussi. « Une famille lorsque le père ne peut plus assurer ni gîte ni couvert », affirment quelques travailleurs rencontrés, désœuvrés devant l’immeuble en délabrement. L’âge constitue un autre souci pour la plupart d’entre eux qui auraient déjà dû prendre la retraite. D’autres se rappellent encore le sort réservé aux agents de l’Office national de logement (ONL) dont la liquidation court toujours, depuis plus de 30 ans.
Les agents avaient obtenu de la tutelle l’intégration de quatre délégués de Lacs au sein de l’équipe de liquidation. Parmi eux, d’anciens mandataires et un délégué des travailleurs. Un ancien cadre de Lacs, Senga Mali, administrateur pendant trois ans, fut désigné pour coordonner l’équipe. Seule bonne nouvelle avenue du Port. Les membres de l’équipe de liquidation sont payés. Le timing pour liquider Lacs a été fixé à une année, renouvelable une seule fois, après négociation avec le mandat. C’est vrai qu’en l’état actuel de Lacs, il ne reste plus grand-chose à liquider. Faute de mieux, les agents veulent encore s’accrocher aux dispositions du code du travail pour espérer récolter quelques miettes.
Des créanciers privilégiés
Les dispositions du code de travail stipulent qu’en cas de faillite ou de liquidation judiciaire d’une entreprise ou d’un établissement, les travailleurs ont rang de créanciers privilégiés sur tous les autres créanciers, y compris le Trésor public, nonobstant toute disposition contraire à la législation antérieure, pour les salaires qui leur sont dus au titre de services fournis antérieurement à la faillite ou à la liquidation. Ce privilège s’exerce sur les biens meubles et immeubles de l’employeur. Les salaires doivent être payés intégralement, avant que les autres créanciers ne revendiquent leur quotepart, aussitôt que les fonds nécessaires sont réunis.
Signe indien
Quel est le montant déjà réalisé pour désintéresser ces créanciers privilégiés ? Le travail est en cours. Mais on avoue que les créances de Lacs sur les tiers sont ridicules. Celles dont l’entreprise disposait sur l’État ont été soit minorées, soit noyées dans les dettes croisées, au grand dam de l’opérateur aérien. Une nouvelle compagnie a été créée sur les cendres de Lacs. C’est Congo Airways. Le lancement de la nouvelle société a été annoncé en grande pompe. Disposant de deux avions, Congo Airways devait démarrer ses activités courant août. Depuis le 21 du même mois, un de ses avions a été cloué au sol à Dublin, en Irlande, à la suite d’un conflit financier avec une entreprise américaine. Avec un seul avion, cette compagnie ne peut pas commencer l’exploitation de l’espace aérien congolais. Air Zaïre avait connu le même sort. Ses biens avaient été vendus en Europe, notamment en Belgique, suite à plusieurs condamnations judiciaires. Très remonté contre la liquidation de Lacs et la détresse de ses travailleurs, un agent soutient que lorsqu’il y a substitution d’employeur, notamment par cession, succession, fusion, transformation de fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la substitution subsistent entre le nouvel employeur et le personnel. Sauf cas de force majeure, la cessation de l’activité de l’entreprise ou de l’établissement ne dispense pas l’employeur de respecter les règles prévues en matière de résiliation des contrats. La faillite et la liquidation judiciaire ne sont pas considérées comme des cas de force majeure.
L’absence de la volonté politique constatée la série de mauvaises décisions, le problème managérial, la prédation ont eu raison des Lacs et ont été à la base de l’effondrement de cette entreprise et à sa disparation de l’espace aérien national et international. Depuis 2008, toutes les thérapies pour relever Lacs n’ont pas donné les résultats escomptés. Pourtant, transformée en société commerciale, l’entreprise a continué à traverser une zone de turbulence apparemment sans fin et à piquer du nez. La crise est profonde. Elle touche à la fois la flotte, les équipements de support, les infrastructures d’exploitation, les ressources humaines et les finances.
De guerre lasse, les Lignes aériennes congolaises finissent par être dissoutes à la suite d’une décision du gouvernement prise en Conseil des ministres et sanctionnée, conformément aux dispositions statutaires, par des résolutions prises à l’occasion de l’assemblée générale extraordinaire du 12 septembre 2014.
Mais, bien avant cela, trois options avaient été envisagées, dont la première préconisait dissolution et la liquidation, la deuxième possibilité de restructuration et de relance, alors que la dernière par contre, était pour la création d’une nouvelle compagnie aérienne. Après une analyse minutieuse des différentes possibilités, la dernière hypothèse avait fini par l’emporter. Elle permettait la création, sur des bases saines, d’une nouvelle compagnie, exempte de toutes charges du passif et autres pesanteurs.
Une lente agonie
À en croire les chiffres, fin 2013, la situation de la dette de l’entreprise se résume en une dette commerciale évaluée à 63,817 millions de dollars dont une dette judiciaire de 167,8 millions de dollars. La dette sociale atteignait quant à elle 132 millions de dollars. Cette somme incluait le solde des arriérés des salaires décotés et une dette fiscale et parafiscale de 20,159 millions de dollars. À cause de ces casseroles autour du cou, l’utilisation du label de la compagnie en dehors de la RDC était devenue quasi-impossible, car susceptibe d’entraîner des saisies de comptes ou d’appareils volants.
Au cours de la décennie 1970-1980, Air Zaïre, de son ancienne appellation, avait bénéficié d’une conjoncture politique favorable en rapport avec le transport aérien et le développement aéronautique. C’est ainsi qu’en 1971, la compagnie bénéficie de la part du gouvernement d’un vaste programme d’équipement en flotte importante et moderne, composée de 3 Boeing 737-200 ; 2 DC 8-33 de seconde main de Pan Am ; 2 DC8-63 ; 2 DC 10-30, 1 Boeing 747 et des Fokker. Cependant, contre toute attente, la crise pétrolière de 1973 et les mesures de zaïrianisation la même année, suivies de la radicalisation, ensuite de la libéralisation du secteur des transports aériens, vont conduire à réduire la flotte de la compagnie à 12 avions en 1980.
Pendant cette même période, Air Zaïre subira des conséquences dommageables sur le plan de l’exploitation commerciale et de la gestion. La période 1980-1990 marque l’amorce de la chute inexorable de la compagnie nationale. De douze aéronefs en exploitation début 1980, la flotte passera à 4 appareils seulement à la fin de 1990. Suite à cette succession de faits, trois des derniers appareils ont été démantelés. Seul un Boeing 737-200 qui était en attente d’un check D est actuellement immobilisé dans un hangar de l’aéroport de Ndjili.