L’économiste dresse le bilan économique de David Cameron. Il souligne l’efficacité de la politique monétaire de la Banque d’Angleterre, mais regrette que le Premier ministre ait cédé au «dogme de l’austérité budgétaire». Charles Wyplosz est professeur d’économie internationale à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) à Genève, et directeur du Centre international d’études monétaires et bancaires.
Ses principaux domaines de recherche sont les crises financières, l’intégration monétaire européenne, les politiques monétaires et budgétaires ainsi que l’intégration monétaire régionale. Il intervient fréquemment comme expert auprès d’organisations internationales.
En période électorale, tous les arguments se valent. Ainsi le Premier ministre sortant ne manque aucune occasion de vanter sa performance économique. Arrivé au pouvoir en pleine tourmente, en 2010, David Cameron n’avait pas la tâche facile, c’est vrai. Il ne s’en est sorti pas trop mal, mais son bilan reste controversé. Son titre de gloire est le chômage. Après un mauvais début, le taux de chômage a sérieusement baissé, et devrait être en dessous de 6% cette année contre près de 8% à son arrivée au 10 Downing Street. La reprise est là, mais après bien des années misérables. En réalité, le PIB par tête a longtemps stagné et vient tout juste de retrouver son niveau de 2008, en dessous de celui de 2007. C’est beaucoup moins bien que les États-Unis, à peine mieux que la France. La relative bonne performance de l’emploi s’explique surtout par un marché du travail flexible, qui a plus préservé l’emploi que les salaires. Cette flexibilité n’est pas son œuvre, elle est le résultat de réformes accomplies par ses prédécesseurs, Margaret Thatcher et Tony Blair.
Ce qui s’est passé depuis la crise est le résultat de deux mouvements en sens opposés. D’un côté, Cameron a été un adepte de l’austérité budgétaire. Il a taillé dans les dépenses publiques, qui ont baissé de 5% une fois ajustées de l’inflation. Ceci a permis de baisser le déficit. Mais la mauvaise performance en termes de croissance a eu deux résultats. D’abord le déficit public, mesuré en pourcentage du PIB, est supérieur à celui de la France, parce que les revenus ont aussi baissé. Ensuite, toujours en pourcentage du PIB, la dette publique a augmenté de manière très nette. On mesure, une fois de plus, à quel point il est déraisonnable de faire de l’austérité en période de récession. On freine la croissance, ce qui pénalise le budget et alourdit l’endettement. Le paradoxe est que la Grande-Bretagne a adopté cette stratégie contre-productive prônée par les patrons de la zone euro, l’Allemagne et sa fidèle Commission, alors que rient ne l’y obligeait puisqu’elle a gardé sa propre monnaie.
La Banque d’Angleterre a fait son travail, mais Cameron a choisi le dogme de l’équilibre budgétaire, qu’il ne pouvait pas atteindre dans une situation de récession. Un message qui s’adresse à bien d’autres responsables politiques européens.
L’indépendance monétaire a permis l’autre choix essentiel de cette période et représente la clé du «succès». La Banque d’Angleterre a adopté très tôt une politique très expansionniste, y compris la mise en œuvre du QE dès 2009, six ans avant la BCE. Le résultat a été une dépréciation très nette de la livre sterling, qui a dopé les exportations et ainsi contrebalancé l’austérité budgétaire. Comme la Banque d’Angleterre est indépendante du gouvernement, le mérite ne revient pas à Cameron. Il a simplement glané les effets de cette politique monétaire judicieuse, effets magnifiés par la flexibilité du marché du travail. Certes, tout ceci s’est accompagné d’un accroissement marqué des inégalités, mais le vieux débat reste toujours le même: faut-il favoriser un plus gros gâteau mal partagé ou se focaliser sur le découpage plus égalitaire d’un plus petit gâteau? En France, l’égalité semble dominer la performance, du moins dans l’argumentation des politiques, de droite comme de gauche. En Grande Bretagne, les élections risquent d’apporter la réponse.
Si l’on en croit les sondages, la réponse sera confuse. Les partis traditionnels semblent devoir reculer au profit de nouveaux partis anti-establishment. Six années de croissance médiocre produisent les mêmes effets qu’ailleurs. Les électeurs sont fâchés et se préparent à envoyer un message hostile aux élites qui se sont partagé le pouvoir depuis des décennies. En Grande-Bretagne comme ailleurs, l’Europe joue le rôle de bouc émissaire. Le parti anti-Europe, UKIP, sera probablement l’un des bénéficiaires des élections. Cameron a essayé de diffuser le danger en promettant un référendum sur l’appartenance à l’Union européenne, qui est un des enjeux majeurs des élections. Mais l’autre parti en pleine ascendance, le parti nationaliste écossais est, lui, pro-européen. Ce n’est bien sûr pas l’euro qui est en jeu dans ce débat un peu déroutant, mais la perception que Bruxelles se mêle de trop de choses. L’ambivalence de Cameron n’a rien fait pour clarifier la situation.
La morale est sans doute que le premier devoir d’un gouvernement est d’assurer la prospérité des électeurs. La Banque d’Angleterre a fait son travail, mais Cameron a choisi le dogme de l’équilibre budgétaire, qu’il ne pouvait pas atteindre dans une situation de récession. Un message qui s’adresse à bien d’autres responsables politiques européens.