SELON des sources, le secteur agricole contribue pour 36 % dans la formation du Produit intérieur brut (PIB) et participe pour plus de 60 % à la création d’emplois, mais il ne parvient pas encore à assurer l’indépendance alimentaire du pays et à générer suffisamment de revenus et d’emplois durables. L’administration publique (agriculture, pêche et élevage) et le mouvement paysan (Confédération nationale des producteurs agricoles du Congo, CONAPAC) ont considéré la loi portant principes fondamentaux du secteur agricole promulgué le 24 décembre 2012 comme une « avancée significative dans la réglementation de l’agriculture en République démocratique du Congo ».
Depuis 2012, le secteur agricole est ouvert à tous les investisseurs, nationaux comme étrangers. Le taux d’imposition a été ramené de 35 % à 20 % concernant le revenu professionnel des exploitants agricoles industriels, tandis que l’exploitant agricole familial et de type familial en est exonéré. L’accès au Fonds national de développement agricole est réservé aux seuls Congolais. Et le droit foncier est protégé. Ce sont là les « innovations majeures » dont se sont vantés les parlementaires. Ces innovations, rappelle-t-on, visent in fine la promotion d’une classe moyenne nationale.
Responsabilités décentralisées
La loi de 2012, soutenait-on, clarifie les responsabilités et éclaire la constitution en termes de responsabilités décentralisées reconnues aux provinces, territoires et secteurs, en vue de la mutation vers une agriculture paysanne plus performante, la mise en valeur des campagnes, avec à la clé un rétablissement de la balance des paiements à terme grâce aux exportations de café, cacao, hévéa, thé…
Elle confirme par ailleurs le rôle des conseils agricoles ruraux de gestion, comme structures de concertation entre pouvoirs publics et monde paysan dans les territoires. Et aussi celui du conseil consultatif provincial, pour faciliter l’harmonisation et la synergie avec les bailleurs de fonds du secteur agricole. Enfin, sur le plan agro-environnemental, elle contribue à décloisonner l’agriculture de la protection de l’environnement pour faire comprendre à quel point l’intensification agricole et des activités mixtes comme l’agroforesterie sont une condition sine qua non à la protection de l’environnement et des forêts dans le pays.
Seulement voilà, la loi de l’agriculture peine à rencontrer toutes les attentes. À commencer par la clause d’actionnariat congolais majoritaire qui refroidit les nouveaux investissements dans le secteur agricole. Elle reconnaît le droit (foncier) des petits paysans sans pour autant formaliser le titre de certificat d’enregistrement (consacrant l’appropriation individuelle). D’où les revendications pour une loi spécifique protégeant le petit exploitant sur sa terre afin d’empêcher les grands exploitants, qui très souvent cherchent à prendre les concessions déjà occupées par les petits d’y avoir un accès facile.
« Contrairement aux multinationales qui ont tendance à déménager à la première occasion, la coopérative agricole, propriété des membres de la communauté, offre une chance d’accroître les profits et permet de fonder les efforts de développement local et régional sur des assises plus stables. »
Comme le dragon qui gonfle ses poumons avant de cracher le feu, la polémique enfle autour des terres des communautés locales, qui sont par essence communautaires, et, par conséquent, ne peuvent pas être assujetties à un certificat d’enregistrement dans sa forme et son contenu actuels. Cette question devrait être réglée par les textes et mesures d’application, en tenant compte bien entendu de la gestion décentralisée, de proximité, mais aussi par les comités fonciers locaux selon l’esprit de la loi sur l’agriculture, estiment des spécialistes.
De même, une réforme de la loi foncière est indispensable pour l’adapter à la loi agricole. En RDC, l’État est propriétaire du sol et du sous-sol (loi Bakajika). Mais tant qu’il ne les gérera pas réellement, il y aura toujours des conflits fonciers et l’insécurisation du petit exploitant, qui ne sait pas finalement à quelle autorité se fier.
Approche coopérative
Un constat est fait : l’encadrement des petits producteurs est en majorité assuré par les ONG (internationales et nationales) au détriment des organisations paysannes. Les paysans n’ont pas accès aux moyens financiers (ni crédit ni subvention) et ne sont pas incités à abandonner leurs pratiques habituelles (l’agriculture itinérante sur brulis). La dynamique agricole et le partage d’expériences sont faibles, les ressources et les connaissances du monde paysan sont insuffisamment exploitées, notent les experts.
Nombre d’experts interrogés pensent que pour accroître le développement économique du pays, les dirigeants devraient intégrer l’approche coopérative à leurs stratégies de développement local et national, notamment en y consacrant une loi spécifique qui tienne compte des efforts endogènes. Parmi les avantages que procurerait une telle approche pour le secteur agricole, ils citent le développement local, une meilleure utilisation des ressources locales
et la mobilisation des facteurs économiques déjà présents.
Ils insistent également sur le fait que le développement économique à partir de la base constitue l’élément le plus important de l’essor agricole national. Contrairement aux multinationales qui ont tendance à déménager à la première occasion, la coopérative agricole, propriété des membres de la communauté, offre une chance d’accroître les profits et permet de fonder les efforts de développement local et régional sur des assises plus stables.
En effet, plusieurs études ont démontré que le fait d’appartenir à une communauté accroît l’intérêt que les individus ont envers celle-ci, ce qui se traduit souvent par une plus grande utilisation des facteurs locaux (ressources humaines, matérielles, financières, technologiques, etc.). De cela résultera non seulement le résultat d’une volonté de contribuer au développement économique de sa région, mais aussi la transmission plus facile de l’information grâce à la présence sur place de preneurs de décisions.
Les valeurs de base
Dans le but de promouvoir le mouvement coopératif indigène, le décret du 24 mars 1956 considérait les entreprises (associations) coopératives comme ayant pour objet social la promotion des intérêts économiques et sociaux des membres. Leur reconnaissance était constatée à travers l’agrément dugouverneur de province, qui confère la personnalité civile pour une durée ne dépassant pas 30 ans.
En 1986, un projet de loi sur les coopératives avait été déposé à l’Assemblée législative. Il mettait l’accent l’initiative locale ou endogène, en considérant la coopérative comme « un instrument socio- économique important dans la relance de l’économie. Et depuis, ce projet de loi est classé sans suite.
En septembre 1995, l’assemblée générale de l’ACI adopte la déclaration sur l’identité coopérative à la suite du congrès de Manchester (Angleterre). Cette identité est fondée sur des valeurs que sont la prise en charge et la responsabilité personnelles, la démocratie, l’égalité, l’équité et la solidarité. Les
membres des coopératives à travers le monde adhèrent à une éthique fondée sur l’honnêteté, la transparence, la responsabilité sociale et l’altruisme.
En décembre 2009, l’Assemblée générale des Nations Unies avait adopté une résolution, intitulée « Le rôle des coopératives dans le développement social », proclamant 2012 « Année internationale des coopératives ». En tant que « facteur majeur dans la réalisation du développement économique et social. La résolution invite les gouvernements à soutenir le développement et la croissance des coopératives.
« Depuis des années, on observe un engouement en RDC pour le développement des activités agricoles. L’État devrait capitaliser ses efforts en considérant l’entreprise coopérative comme un outil privilégié de développement et de création de la richesse, donc d’amélioration du bien-être des populations », recommande un fermier actif au Plateau des Bateke. Rien à faire, « il est important de mettre un accent sur les coopératives agricoles en RDC dans la perspective de développement local, voire régional ».