Les mineurs artisanaux du Sud-Kivu, dans l’Est troublé de la République démocratique du Congo, se plaignent des mesures internationales de régulation sur les « minerais du sang » qui rognent leurs maigres salaires. À l’Ouest du lac Kivu, les montagnes vertes qui montent la garde autour de la ville de Numbi regorgent de mines. De véritables carrières pour certaines, pas plus grandes qu’un simple trou pour d’autres. Ombeni Chikala, 32 ans, est mineur dans l’une d’elles. Il cherche de la cassitérite et du coltan, deux métaux dans le viseur des lois de régulation. « Les choses empirent. Dans le passé, vous pouviez creuser, trouver des centaines de kilos de minerais et les vendre où vous vouliez, à qui vous vouliez », explique-t-il. Le mineur regrette que la législation adoptée en juillet 2010 par le Congrès américain rende de plus en plus difficile la vente de minerais. « Depuis qu’ils ont adopté cette loi, plus rien de marche ici. »
Baptisée par les mineurs « loi d’Obama », le texte a été introduit sous l’impulsion de l’ancien président américain. La section 1502 de la loi Dodd-Frank oblige les entreprises minières cotées aux États-Unis à signaler l’extraction de tous les « minerais du sang » – coltan, cassitérite, tungstène et or – aux autorités de régulation. Ces lois visent à empêcher l’utilisation des revenus de leur vente pour financer les conflits entre l’armée congolaise et les groupes armés dans cette région déchirée par la guerre depuis plusieurs décennies. Mais sur le terrain, les mineurs se plaignent des difficultés qu’elles entraînent dans leurs vies.
Un gros problème
« Nous avons un gros problème », dit Byamungu Kabyona, 42 ans et collègue d’Ombeni Chikala. « Ce système de traçabilité est en train de nous tuer ! » La loi oblige l’industrie minière à adopter un schéma de traçabilité, créé par l’entreprise anglaise ITRI, qui requiert que les minerais soient vendus selon un système d’« étiquetage ». « Dans le passé, nous travaillions librement, continue M. Kabyona. Vous pouviez creuser, trouver des pierres et les vendre à qui vous vouliez tant que vous aviez votre autorisation du ministère des Mines et d’autres documents légaux. » Les nouveaux frais imposés par les autorités de régulation aux exportateurs obligent ces derniers à acheter moins cher leurs minerais aux mineurs, estime Fidel Bafilemba, fondateur et directeur du Groupe d’appui à la traçabilité et à la transparence dans la gestion des ressources naturelles (GATT-RN), un groupe d’études sur le secteur. « Le coût de la traçabilité se répercute directement sur le salaire des travailleurs, ce sont eux qui paient les frais de cette régulation », affirme-t-il. « Ce n’est pas juste. Ces frais devraient être à la charge des utilisateurs finaux, des grandes sociétés ».
Stabiliser le secteur minier
Les conséquences de la loi ont été « complètement chaotiques pour les dizaines de milliers de mineurs, pour l’activité économique de la région », abonde John Kanyoni, directeur général de l’entreprise minière Metachem Sarl et vice- président de la Chambre des mines, lobby congolais. En 2014, Kanyoni a rédigé et signé, avec 70 représentants du secteur, chercheurs, journalistes et membres de la société civile, une lettre critique de la section 1502 de la loi Dodd Frank, appelant à une « approche plus nuancée et holistique » de la situation, comprenant plus de consultations locales. Certains estiment néanmoins que cette réglementation aide à stabiliser l’industrie artisanale des mines. L’abrogation de la loi Dodd-Frank et de sa section 1502 serait « une tragédie pour le secteur minier artisanal de l’Est de la RDC », estime M. Bafilemba, le chercheur du GATT-RN. Le 21 avril, le nouveau président américain, Donald Trump, a ordonné une révision de la loi Dodd-Frank. « Cette région est connue de longue date pour son exploitation violente des mines artisanales. Aujourd’hui, si des améliorations ont été faites, c’est seulement grâce à la pression qu’a introduite cette loi de régulation américaine », ajoute Bafilemba.
Nuancé, Kanyoni estime que la loi a aussi été « une sorte de catalyseur » qui pousse les acteurs miniers locaux et régionaux à se calquer sur les nouvelles procédures en vigueur pour continuer de vendre sur les marchés internationaux. Mais si la finalité est louable, le lobbyiste estime encore que les mineurs ne voient pas encore les retombées financières du nouveau système. « À la fin, les mineurs sont ceux qui perdent de l’argent », estime-t-il.
Ce matin froid d’avril, Salomon Kahizi, 33 ans, creuse dans une autre mine de coltan, toujours aux alentours de Numbi. Si les prix à la vente ont chuté, Kahizi estime que la sécurité autour des mines a, elle, augmenté. « Avant, [des voleurs] voulaient toujours prendre ce que nous trouvions. Quand vous étiez en train de creuser, ils apparaissaient et volaient tout ce que nous avions… Mais maintenant, on voit de moins en moins ce type d’agression », explique-t-il.