LE RETENTISSEMENT médiatique des affaires de corruption traitées par la justice ou pas n’est pas en passe de faiblir le phénomène. Du reste, l’un après l’autre, tous les arguments ou prétextes en faveur de la lutte contre la corruption tombent, comme dans un jeu de quilles. Les filets de la justice n’arrivant pas à rattraper facilement les corrompus, la problématique du « recouvrement des avoirs » va certainement se poser avec acuité. La lutte anticorruption exige des transformations cruciales dans la structure de l’État, en cette période charnière. La priorité exige de réactiver les mécanismes de lutte contre la corruption, de démanteler ses réseaux et composantes, ainsi que le dessèchement de ses ressources.
Absence de redevabilité
Dans son message à l’occasion de la Journée africaine de lutte anticorruption, le 11 juillet, Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo (Fatshi), le président de la République, a annoncé la création, sous peu, au sein de son cabinet, d’un service spécialisé, la Coordination pour le changement de mentalités (CCM). Elle assurera la prévention, la sensibilisation et la lutte contre toutes sortes d’antivaleurs.
Sur l’Observatoire de surveillance de la corruption et de l’éthique professionnelle (OSCEP), celui-ci joue un rôle d’impulsion, de coordination et d’élaboration d’outils et d’études à l’usage des pouvoirs publics. Mais les difficultés et les écueils sont encore nombreux. Les autorités ne veillent pas à ce que les corrompus soient contraints de rendre compte quels que soient leurs postes dans les hiérarchies institutionnelles, politiques ou sociales.
Pour le chef de l’État, la première mesure reste le respect de l’État de droit. « Le respect de la loi à tous les niveaux doit être notre guide », a-t-il souligné. « Des moyens adéquats et conséquents seront mis à la disposition de la Justice pour lui permettre de bien faire son travail ». À la double approche répressive et préventive doit s’ajouter le renforcement du cadre légal et institutionnel de lutte contre la corruption. « Cela requiert de revisiter notre arsenal juridique et institutionnel de lutte contre la corruption et de mettre en place d’autres mécanismes et moyens plus adaptées à la mutation du phénomène de la corruption, avec des sanctions plus dissuasives », a encore indiqué Félix Antoine Tshisekedi. Qui a insisté sur l’approche répressive pour lancer ainsi un message fort contre les intouchables corrupteurs et corrompus d’hier et d’aujourd’hui : « Sous mon mandat, ces intouchables sont appelés à la reconversion par la stricte application de la loi. »
Pour des observateurs, il faut insister sur « la responsabilité collective » dans le processus de lutte contre la corruption. Ils appellent les législateurs à revoir les textes légaux relatifs à la lutte et à la prévention contre la corruption, car le cadre juridique doit être constamment ajusté à l’évolution des situations. Ce qu’il faut, une loi qui propose les outils d’une politique nationale globale et multisectorielle pour la prévention contre la corruption. Il s’agira aussi d’assainir les institutions du pays de ce fléau qui a gangrené l’administration et porté atteinte à l’économie nationale.
Comment récupérer les fonds ?
On ne sait pas pour le moment estimer le volume des fonds détournés vers l’étranger. La récupération de ces fonds qui reviennent à l’État va être entravée par de nombreux obstacles. Selon l’Association des autorités anti-corruption d’Afrique (AAACA), l’Afrique subit des pertes estimées à hauteur de 148 milliards de dollars par an des faits de corruption. Le continent africain assiste impuissant à la dilapidation de ses richesses, et les sommes sont drainées hors du continent par diverses formes de corruption, ce qui représente environ 25 % du PIB moyen de l’Afrique.
Tous les efforts consentis restent insuffisants si on ne parvient pas à priver les corrompus des revenus des délits commis à l’encontre de leur pays et à les récupérer pour les réinjecter dans l’économie nationale. Même si aucune région dans le monde n’échappe au détournement des fonds issus de la corruption, ce phénomène est beaucoup plus catastrophique pour les pays africains, au vu de son impact négatif sur l’investissement et le développement. À cet égard, la nécessité pour le continent africain est de revoir ses mécanismes de lutte contre ce fléau en vue de leur conférer davantage d’efficacité.
Pour le renforcement de la lutte et de la prévention contre la corruption, certains suggèrent de réfléchir, au niveau africain, à la numérisation des trois secteurs principaux : les banques, les douanes et le commerce extérieur. Il faut par exemple activer les mécanismes judiciaires dans le cadre d’une action multilatérale permettant de parvenir à des solutions pratiques pour le recouvrement des avoirs le plus rapidement possible, les systèmes juridiques nationaux omettant souvent ce volet.
Stratégies de collaboration
Le thème de cette année « Vers une position africaine commune sur le recouvrement des avoirs » est ce qui doit pousser à adopter des stratégies de collaboration. L’objectif est d’assainir la gestion de nos économies pour optimiser la gouvernance. S’il existe un cadre juridique dans la plupart des pays africains, il y a toutefois à déplorer la faiblesse de l’application en raison d’une justice non seulement non indépendante mais confrontée, elle-même, à la corruption.
Les sociétés civiles en Afrique militent pour un continent dans lequel les États, les entreprises, la société civile et les individus dans leur quotidien seraient épargnés par la corruption sous toutes ses formes. L’AAACA a pour vocation de promouvoir et de faciliter la coopération mutuelle entre les États pour prévenir, détecter, enquêter, recueillir et fournir des preuves pour des procédures judiciaires et la répression de la corruption et des infractions assimilées fait partie intégrante de ces institutions et constitue pour les pays africains une arme pour le redressement de leurs économies et la bonne gouvernance. L’AAACA suggère au sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’UA de se pencher sur l’instauration d’une taxe anti-corruption sur toute transaction financière transfrontalière. D’autres recommandent la création d’une agence pour la gestion et le recouvrement des avoirs saisis et confisqués ainsi que d’un comité national de suivi et de coordination des opérations de saisie. Cette agence nationale sera un organisme de gestion et d’assistance juridique et pratique à l’ensemble des juridictions. Elle peut être mandatée pour assurer le suivi et l’exécution des demandes d’entraide pénale sous le contrôle de l’autorité judiciaire.
Pour ce qui est du comité national d’animation, celui-ci sera chargé du suivi et de la coordination des opérations de saisie, de gel, de confiscation et de recouvrement des avoirs criminels au niveau national et à l’échelle internationale.
Par ailleurs, il est recommandé la généralisation des NTIC, notamment dans les banques, les douanes et les services fiscaux et la création d’une plateforme électronique d’identification des avoirs criminels et l’élaboration d’un guide pratique qui porte sur les procédures de saisie, de gel, de confiscation et de recouvrement des avoirs criminels, destiné à l’ensemble des intervenants, notamment les juges d’instruction, les procureurs de la République, la police et la gendarmerie en charge des dossiers de recouvrement des avoirs illicites.
Sur le plan opérationnel et technique, il a été souligné la nécessité d’adopter et mettre en place des plans d’action stratégiques de recouvrement des avoirs criminels. Ces stratégies devraient contenir des mécanismes de suivi des procédures en cours et de leurs résultats. Une importance particulière devrait être accordée à la formation des personnes compétentes et leur spécialisation dans la préparation, la gestion et le suivi des dossiers de recouvrement des avoirs criminels aux niveaux national et international.