La macronie est un Etat nounou néo-libéral

La pandémie a imposé une version de l’Etat-providence uniquement discursive, où les exhortations infantilisantes ne se comptent plus et illustrent en réalité la faiblesse des services publics, des hôpitaux

Depuis le début de la pandémie, l’Etat macronien a régulièrement prodigué des conseils infantilisants qui lui donnent la forme d’un Etat nounou. Mais loin des critiques néo-libérales de l’Etat-providence, cet Etat nounou est lui-même symptomatique de la faillite des services publics.

Rappels historiques

Avant même la victoire alliée en 1945, le Royaume-Uni avait envisagé, notamment à travers le rapport Beveridge (1942), la mise en place d’un Etat-providence qui ferait tourner la page de la société inégalitaire d’avant-1939. Le but claironné était de fournir des aides qui puissent couvrir les besoins vitaux et prémunir contre les accidents de la vie «depuis le berceau jusqu’à la pierre tombale» («from the cradle to the grave»). Les débats qui agitaient le Conseil national de la Résistance en France étaient de même nature.

Aux Etats-Unis, une forme très embryonnaire d’Etat-providence avait été mise en place sous Roosevelt avec le New Deal mais c’est le G.I. Bill of Rights (1945), beaucoup plus ambitieux, qui devait constituer l’arsenal législatif permettant à des millions d’Etats-Uniens de s’élever socialement. Suivraient les réformes de Lyndon B. Johnson dans les années 60 : guerre contre la pauvreté, etc. Pourtant, cet Etat-providence outre-Atlantique est faible. 

Par exemple, s’il est officiellement aveugle à la couleur, le G.I. Bill of Rights a très majoritairement bénéficié aux Blancs.

Jill Quadagno, dans The Color of Welfare (non traduit), a en outre montré que les politiques redistributrices doivent leur faiblesse précisément au fait qu’elles sont perçues par le plus grand nombre comme des aides fournies à des «Noirs non méritants». C’est aussi comme cela qu’il faut lire le discours de Reagan aux primaires républicaines de 1976, sur la «Welfare Queen», cette reine de la fraude aux aides sociales dont tout le monde a cru qu’elle était noire, malgré l’absence explicite de référence à la couleur dans la rhétorique reaganienne.

L’Etat nounou

En Grande-Bretagne, la stigmatisation de l’interférence de l’Etat dans tous les domaines – surtout dans celui des aides sociales, coûteuses, inutiles, allant aux non-méritants, pense-t-on – prend la forme de «l’Etat nounou» («Nanny State»), quolibet haineux qui pointe du doigt le «cancer de l’assistanat», pour reprendre la métaphore de Laurent Wauquiez. L’expression est tellement connue qu’elle a été récemment reprise ironiquement par la brasserie Brewdog, en Ecosse, pour vendre un breuvage houblonné qu’on trouve désormais en supermarchés.

En France, et même si notre pays ne fait sans doute pas exception tant l’Etat néo-libéral s’est imposé comme la norme, la pandémie a imposé un type très étrange d’Etat nounou, un Etat nounou de type uniquement discursif, où les exhortations infantilisantes ne se comptent plus, mais où, très loin d’un Etat omniprésent, elles illustrent en réalité la faiblesse des services publics, des hôpitaux aux universités.

Savon, réveillon, bonbon

Le 12 mars, n’ayant pas assez de masques dans les stocks publics, Emmanuel Macron enjoignait aux Français de se laver les mains avec «du savon», ce qui a beaucoup fait rire les enfants une fois les écoles rouvertes : le «chef de la France» s’était mis à parler «comme papa et maman» ! Avant Noël, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a prié les étudiants de ne pas trop faire la fête pendant les vacances. Pour le coup, cela n’a pas dû faire rire ces derniers. Mais qui est-elle, se sont-ils sans doute demandé, cette ministre en pointillé pour nous donner des conseils sur la manière de passer notre temps hors campus ? N’a-t-elle pas d’autres choses à faire, avec toutes ces universités en mode distanciel, qui accumulent les péripéties, les problèmes structurels, les carences graves de toutes sortes, faute d’argent ?

Lundi dernier à Cergy (Val-d’Oise), la même ministre a justifié le distanciel pour tous les étudiants, en insistant sur les problèmes induits par le brassage de personnes. Le problème, à l’en croire, «ce n’est pas le cours dans l’amphithéâtre, mais l’étudiant qui prend un café à la pause, un bonbon qui traîne sur la table…». Un cas d’école de l’Etat nounou néo-libéral : nous n’avons pas assez de salles, pas assez de moyens, pas assez de profs, l’encadrement est iniquement limité par rapport aux classes préparatoires, mais de grâce, ne prenez pas ce bonbon sur la table, car il est peut-être contaminant. La rhétorique, on le voit, est non seulement infantilisante mais aussi culpabilisante, avec une inversion des rapports coupables-fautifs. Car ce sont les victimes qui sont à blâmer : les jeunes qui ne sont que des fêtards, ceux qui ne se lavent pas les mains, ceux qui prennent le bonbon sur la table.

Si le mode distanciel à la fac devait se prolonger beaucoup plus longtemps, au mépris des signaux d’alarme qui se multiplient, Frédérique Vidal prodiguera peut-être le conseil suivant : «Non, se suicider, ce n’est pas bien.» L’Etat nounou serait alors passé du mode grotesque au mode morbide, et cela, personne ne peut le souhaiter.