Que faire face à la crise migratoire ?
Il ne fait aucun doute que l’augmentation estivale du nombre de traversées de la Méditerranée par les migrants à déjà commencé. Le weekend dernier, les autorités italiennes ont en effet secouru 8 500 migrants et signalé la mort de près de 400 autres.
La guerre fait rage en Syrie, en Irak et ailleurs et le chaos prend de l’ampleur en Libye, principal point de départ des migrants qui tentent de rejoindre l’Europe par voie maritime. Les organisations humanitaires alertent depuis des mois sur la nécessité d’une action urgente, faute de quoi le nombre de migrants morts en mer en 2015 dépassera le triste record de l’année dernière : 3 500 morts.
La situation est encore pire cette année, car l’aide aux bateaux de migrants en détresse a été réduite. L’opération de recherche et sauvetage de la marine italienne Mare Nostrum a été suspendue en novembre 2014, après avoir sauvé 150 000 vies. Elle n’a été remplacée par aucune opération de même capacité et portée géographique.
La Commission européenne n’a pas indiqué avoir l’intention d’intégrer une mission de recherche et sauvetage financée par l’Union européenne dans sa nouvelle politique migratoire, qui devrait être rendue publique début mai 2015.
Alors que la crise humanitaire en Méditerranée semble en passe de s’aggraver, l’agence de presse IRIN a dressé une liste des éventuelles solutions proposées – et dans certains cas déjà appliquées – par les organisations humanitaires, les militants et le secteur privé.
Privatiser les opérations de sauvetage
Médecins Sans Frontières (MSF) a annoncé un nouveau partenariat avec le Migrant Offshore Aid Station (MOAS), une initiative privée basée à Malte inaugurée l’été dernier qui a sauvé 3 000 migrants en l’espace de deux mois avec son navire de 40 mètres, le Phoenix.
Grâce à ce partenariat avec MSF, l’équipage de 20 personnes comprendra désormais deux médecins et un infirmier qui pourront traiter les coups de soleil, les déshydratations et l’hypothermie, mais aussi des maladies chroniques comme le diabète.
Cette opération conjointe de sauvetage en mer et de secours médical sera menée de mai à octobre et couvrira l’itinéraire dit de la Méditerranée centrale, entre l’Italie, Malte et la côte nord de la Libye. Des points de débarquement seront déterminés par les gardes-côtes italiens. Le Phoenix sera équipé de nourriture, d’eau et de couvertures ainsi que de bateaux pneumatiques ultrarapides et de drones de surveillance.
« C’est une goutte d’eau dans l’océan, mais nous espérons encourager d’autres bateaux à se lancer dans le sauvetage en mer et pousser l’Union européenne à revenir sur sa décision de suspendre les opérations de secours », a dit Hernan Del Valle, directeur des Affaires humanitaires de MSF Amsterdam, la branche de l’organisation qui dirige cette initiative.
MSF considère l’itinéraire de la Méditerranée centrale comme le plus dangereux, non seulement à cause du risque de périr en mer, mais aussi en raison des violences extrêmes souvent endurées en chemin par les migrants et les demandeurs d’asile. En Sicile et à Lampedusa, les équipes médicales de MSF soignent souvent des migrants qui ont subi des violences et des actes de torture de la part de leurs passeurs. « MSF sera essentiel pour nous permettre de concentrer nos efforts sur les soins médicaux post sauvetage », a dit Martin Xuereb, directeur du MOAS.
Les hommes d’affaires allemands Harald Höppner et Matthias Kuhn sont, quant à eux, en train d’organiser une initiative de sauvetage privée de moins grande ampleur. Leur bateau de 21 mètres patrouillera au large des côtes nord-ouest de la Libye pendant trois mois, à partir de la mi-mai. M. Höppner et M. Kuhn ont autofinancé les dépenses initiales du projet, mais ils espèrent le maintenir grâce à des dons.
Pour Jean-François Durieux, directeur du programme de droit relatif aux réfugiés de l’institut international de droit humanitaire de Sanremo, les initiatives privées comme celle-ci représentent une tentative novatrice de pallier le manque de réponse coordonnée de la part de l’UE. « Ce n’est bien sûr pas la solution. Avec tant de petites embarcations traversant la mer, ce n’est pas un unique bateau privé qui résoudra le problème. Mais leur aide est extrêmement bienvenue », a dit M. Durieux à IRIN.
« Il n’y aucune raison que les États [membres de l’UE] soient les seuls à mener des opérations de sauvetage. Le message important ici, c’est que le secteur privé a une grande responsabilité, car l’obligation de sauvetage en mer vaut pour tous les bateaux. » Même si ces initiatives vont sans aucun doute sauver des vies, « cela ne suffit pas à résoudre le problème », a ajouté M. Durieux. « Cette initiative atteste d’un désir de maintenir cette question à l’ordre du jour : elle montre que des gens ont besoin d’aide, que nous pouvons aider et que les États doivent assumer leurs responsabilités. »
Compenser les sociétés de transport maritime
En 2014, 800 navires de commerce ont dévié de leur itinéraire pour sauver quelque 40 000 migrants en mer, principalement en Méditerranée. En mars, lors d’une réunion organisée à Londres par l’Organisation maritime internationale (OMI) sur la migration mixte par voie maritime, les armateurs ont déclaré avoir du mal à faire face aux coûts et aux dangers de ces opérations de sauvetage.
D’après le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), les sociétés de transport maritime changent désormais leurs itinéraires pour éviter les zones dans lesquelles leurs navires risqueraient de croiser des bateaux de migrants. L’une des propositions présentées en mars par le HCR est de compenser les armateurs privés pour les pertes encourues lors des sauvetages de migrants en mer. Selon l’agence, un tel mécanisme avait été mis en place par l’OMI lors de l’exode du Vietnam dans les années 1980 et pourrait être réactivé.
Si les programmes de réinstallation dans l’UE étaient élargis, les réfugiés auraient moins besoin de s’embarquer dans des bateaux de passeurs. La contribution actuelle de l’Europe à la réinstallation reste faible : les États membres n’accueillent que neuf pour cent de la totalité des réfugiés réinstallés dans le monde.
En 2014, le chiffre total pour tous les États membres n’était que de 7 525 réfugiés réinstallés. L’Allemagne a toutefois admis 10 000 réfugiés syriens pour motifs humanitaires. L’OMI et cinq ONG ont lancé une campagne exhortant l’Europe à offrir 20 000 places de réinstallation par an jusqu’en 2020.
Externaliser
Pour répondre à la crise, plusieurs ministres de l’Intérieur de l’UE ont proposé d’externaliser le filtrage et le traitement des demandes d’asile dans les pays d’Afrique du Nord. Le gouvernement italien est allé encore plus loin en proposant que les patrouilles en Méditerranée soient externalisées dans des pays comme l’Égypte et la Tunisie. Les migrants « rescapés » seraient débarqués dans leurs ports et les clandestins seraient renvoyés dans leur pays d’origine.
Une telle initiative aurait « un véritable effet dissuasif et de moins en moins de migrants seraient prêts à mettre leur vie en danger pour atteindre les côtes européennes », avance la proposition italienne.
Les spécialistes des migrations ne sont cependant pas de cet avis. Ruben Andersson, de la London School of Economics, a écrit dans un article pour IRIN que ce genre de collaborations avec les États africains crée des incitations perverses qui contribuent aux maltraitances envers les migrants, alimentent le trafic des migrants et font de la crise migratoire une « prophétie autoréalisatrice ».
Les demandeurs d’asile et autres migrants optent de plus en plus pour les traversées maritimes, car les frontières terrestres sont devenues infranchissables. En 2012, la Grèce a érigé un grillage le long de sa frontière avec la Turquie et d’autres pays ont suivi son exemple. La Bulgarie a elle aussi clôturé sa frontière avec la Turquie l’année dernière et l’Espagne a pratiquement condamné les frontières de Ceuta et Melilla, ses enclaves en Afrique du nord.
Outre les clôtures, les gardes-frontières de plusieurs pays se trouvant aux frontières de l’UE ont été accusés de refouler les migrants et de leur refuser l’accès à l’asile. Selon de nombreux groupes de défense des droits de l’homme, dont Human Rights Watch, réduire les contrôles aux frontières plutôt que les renforcer et créer des voies d’accès à l’UE sécurisées et légales sont les seules solutions durables à l’aggravation de la crise en Méditerranée.