Au lendemain de la nomination de son successeur à la tête du gouvernement, un vieil ami de Samy Badibanga a l’amertume sur le cœur. « Nous voulions qu’il quitte la scène avec dignité et la tête haute », confie-t-il au téléphone à la rédaction de Business et Finances. Sous-entendu : « Samy a été humilié, d’abord au Palais du peuple, ensuite à son cabinet de travail ». « Avant, les gens l’aimaient bien, mais aujourd’hui ils disent qu’il a eu ce qu’il mérite pour avoir trahi Etienne Tshisekedi et l’UDPS. », poursuit ce « pote » de Samy Badibanga. C’est fort de café, son témoignage.
Dos au mur
En endossant ses habits de 1ER Ministre et chef du gouvernement (?), Samy Badibanga Ntita savait pertinemment bien qu’il était dos au mur au regard du contexte de sa nomination. L’ancien conseiller diplomatique d’Etienne Tshisekedi, en disgrâce à l’UDPS après les élections de 2011, savait également qu’il allait être farouchement combattu par l’opposition radicale ayant boudé les négociations politiques de la Cité de l’UA, dont il était l’émanation. Quand il pénètre dans le Palais du peuple pour obtenir l’investiture de son gouvernement par l’Assemblée nationale, Ntita réussit un joli coup en se faisant ovationner. Mais il était conscient que la tâche n’allait pas être de tout repos. En témoigne son discours d’investiture : « Notre responsabilité est multiple, elle a plusieurs facettes, toutes devant concourir à la paix de nos compatriotes. La première mission est celle de consolider la cohésion nationale, qui aujourd’hui, est mise en difficulté par les divergences de vues au niveau politique. Cependant, je crois en la foi inébranlable, des Congolais dans l’unité de notre pays, et dans l’amour de notre patrie. »
Issu de milieux d’affaires et de rangs de l’UDPS, le parti de l’opposant historique, son vieil ami, comme beaucoup, pensait que Badibanga avait le profil idéal pour tirer son épingle du jeu. Comme beaucoup, il trouvait que Badibanga pouvait rassembler. Comme beaucoup, il pensait que le soutien combien nécessaire de la Fédération des entreprises du Congo (FEC), dont son prédécesseur, Augustin Matata Ponyo, n’a pas bénéficié était un atout de taille pour lui. C’est dans les situations difficiles que l’on découvre un grand chef. Dommage que « Saks », pour les intimes, n’ait pas été à la hauteur de la tâche. « Je connais Badibanga. Il ne fallait pas aller le chercher », confie un cadre de l’UDPS, qui sourit d’aise.
Que retenir de son mandat ?
« En dehors de son discours d’investiture à l’Assemblée nationale, que retenez-vous de lui ? Pas grand-chose, sinon son passage éphémère à la primature », ironise-t-il. Pour quelle raison ? En effet, après avoir été nommé par le président de la République, Joseph Kabila Kabange, comme 1ER Ministre et chef du gouvernement, Badibanga a indiqué qu’il comprenait bien la tâche qui l’attendait en ce « moment précis de l’histoire de notre pays », et qu’il ferait tout pour « atteindre les objectifs » assignés à son gouvernement, c’est-à-dire consolider la cohésion nationale, organiser les élections et répondre à la crise économique et sociale. « Pour ceux des éléments de notre cohésion nationale qui apparaissent rompus, mon gouvernement et moi-même, allons travailler d’arrache-pied, et si nécessaire, ramer à contre courant, pour rassembler la société congolaise, autour des valeurs de la Nation », a déclaré Badibanga. Qui saluait en même temps les évêques catholiques auxquels Joseph Kabila venait de confier « la mission noble de médiation, qui, loin de laisser le goût d’inachevé, se poursuit, certainement pour des lendemains meilleurs. »
Par ailleurs, « malgré l’immensité de la tâche devant nous, nous travaillerons à la décrispation de la vie politique, à la pacification des esprits, afin d’éviter les pertes inutiles en vies humaines, tout simplement à cause des différences d’approches ou d’idées, et ce, face aux problèmes politiques qui nous divisent. » Explication d’un politologue : « En Afrique, quand un opposant traverse la rue et essaie de faire la démonstration de force ou de popularité, tout le monde sait qu’il a vendu son âme et sa conscience. Bref, il joue à la marionnette. » Pour ce politologue, Badibanga n’a pas échappé à cette implacable évidence : « plus personne ne le prend au sérieux. »
« Quand on donne le pouvoir à des gens qui ne s’étaient même pas préparés à l’exercer, il ne faut pas s’étonner du résultat », assène un membre influent du Rassemblement pro Tshisekedi-Lumbi. Badibanga n’était-il pas préparé à ce point pour assumer les charges de 1ER Ministre et chef du gouvernement ? Il avait promis de « promouvoir le dépassement de soi, pour nous faire tous converger vers les valeurs communes: l’amour de la patrie, la démocratie, la justice, la paix, le travail et la tolérance ». Il avait également promis d’encourager « le dialogue permanent, avec et entre toutes les couches sociales et politiques, et d’assurer à terme, la cohésion nationale ». Paraphrasant Henry Ford qui disait: « se réunir est un début, rester ensemble est un progrès ; travailler ensemble, c’est la réussite. »
Il y a même des gens qui se demandaient si Badibanga n’avait pas perdu la raison en se mettant dans la tête que c’est lui qui allait conduire les Congolais aux élections prochaines. « Nous avons négocié les termes d’un Accord, qui sans être parfait, a permis de trouver les solutions pour le règlement des problèmes politiques qui se posent au pays, et en premier, les élections. », a déclaré Badibanga. Qui s’est payé même le luxe en pleine séance plénière de l’Assemblée nationale de lancer à ses interlocuteurs, collègues députés : « Je connais vos attentes et celles de notre peuple, qui nous a élus ensemble. Voilà pourquoi, sans vouloir vous présenter un programme quinquennal, je me dois cependant, avec l’ensemble de mon gouvernement, dans un temps relativement court, de marquer nos empreintes sur des secteurs, aussi prioritaires que vitaux de la nation. » Sans doute, Samy Badibanga a-t-il au moins l’excuse de l’éphémère longévité de son gouvernement ? C’est en pleine cérémonie solennelle au Palais du peuple que le président Kabila l’a démis, avant même que ce dernier ne présente sa démission et celle de son gouvernement. En tout cas, les Congolais qui sont de plus en plus exigeants avec leurs hommes politiques, ont apprécié diversement.