A la lecture des tracts des candidats, pas de doute : nul ne s’y attarde, c’est donc que l’exclusion a été éradiquée. Tous sont très verts et veulent plus de vélos et de bio.
Et renforcer la police. Mais nul ne parle des exclus, pas même ceux dont c’était «la grande cause de la mandature». Pourtant, les comptages et les 60 expulsions de migrants du nord de Paris en cinq ans (2 000 à 3 000 à chaque fois) confirment que le problème persiste. Alors que faire ?
D’abord compter, en effet. Mais plus et mieux. Il faut convaincre l’Etat de financer un recensement de l’Insee comme en 2002 et 2012. C’est cher (environ 500 000 euros selon l’Insee) mais très peu face aux dépenses nationales contre l’exclusion (plus d’1 milliard). C’est indispensable pour connaître cette population dont les besoins quantitatifs et qualitatifs et la manière d’y répondre ont beaucoup changé en dix ans.
C’est la responsabilité de l’Etat. Mais si on ne peut le convaincre, la ville de Paris doit, au-delà du décompte, analyser tous les changements survenus : d’une population d’abord composée de gens nés en France et dont l’exclusion est, en général, le résultat d’un processus long, on est passé à une population surtout née hors de France, avec des caractéristiques et des capacités d’intégration très différentes.
Grand Paris social
Travailler à l’échelle de la région, pas juste de la ville : coordonner tous les services sociaux (115, logement, assurance maladie, CAF, Pôle Emploi…). Si l’Etat ne le fait pas, il faut l’y pousser avec le maximum de partenariats ; réaliser le Grand Paris social en pratique, sinon en statut administratif : les exclus sont, à leur corps défendant, très mobiles, envoyés d’un département à l’autre au gré des expulsions, affectations d’hôtels du 115 et hébergements. A chaque passage de «frontières», tout est à redémarrer et, bien souvent, tous les droits lentement acquis s’effondrent.
Supprimer les hôtels du 115. C’est horriblement cher (pour deux parents et deux enfants en bas âge, 2 700 euros par mois pour deux chambres avec sanitaires sur le palier et interdiction de cuisiner) ; c’est aussi inadapté à cause de toutes les contraintes imposées aux personnes ; elles finissent par «craquer» ; le travail d’accompagnement effectué parfois depuis des années s’effondre. Cela ne peut se faire d’un seul coup étant donné le nombre très élevé de personnes ainsi hébergées. Raison de plus pour aller très vite et se fixer un échéancier précis et contraignant.
Le «logement d’abord» (c’est-à-dire passer directement au logement sans étapes censées familiariser les personnes au fait d’habiter), oui, mais sans dogmatisme ; il ne peut devenir exclusif : tous ne sont pas prêts au saut sans filet dans un logement. Il faut accompagner les personnes. Et ces logements sont à trouver dans l’ensemble de la région, pas juste en son centre. Ne pas expulser comme on le fait depuis des années. A chaque fois, on découvre les caractéristiques des familles concernées le jour de l’expulsion alors qu’elles sont suivies depuis des mois. On improvise alors les «solutions» d’hébergement.
Du coup, la majorité des personnes reviennent vite là d’où elles avaient dû partir. Cher pour la collectivité et rude pour les personnes ! On devrait, au contraire, mieux préparer ces expulsions, pas par gentillesse (l’humanité est pourtant essentielle) mais par intérêt bien compris : ce qu’on fait crée, pour demain, des cocottes-minute du désespoir des enfants face aux traitements subis par eux et leurs parents.
Tant que l’expulsion ne peut se faire intelligemment, mieux vaut sauvegarder le bidonville et lui donner le minimum de sécurité et d’hygiène (accès à l’eau, évacuation des poubelles, installation de toilettes) et accepter les scolarisations. Assurer les domiciliations : il est honteux que le simple accès à une adresse, porte d’entrée minimale, soit si inatteignable ; c’est obliger les personnes à rester hors de la société, des écoles, de l’emploi, des soins. Ce «pourrissement» de leur vie ne les poussera pas plus à retourner chez eux. C’est indigne et inutile !
Perte de dignité
Inutile de «pourrir» plus la vie des personnes à la rue : l’exclusion, même avec une réelle volonté politique (qu’on ne voit pas), ne disparaîtra pas d’un coup. Supprimer les bancs publics, ouvrir à tous vents les abribus, mettre ou laisser mettre un peu partout des dispositifs anti-SDF ne poussera jamais personne à reprendre un appartement ! Redonner de l’attractivité à l’espace urbain permet de redonner de la dignité aux personnes mais aussi de redonner la ville à ses habitants, sans-abri, vieux, amoureux sans bancs publics, femmes enceintes, sportifs qui se sont tordu le pied.
Sanisettes : il faut compléter leur plan d’installation en nombre (Paris en compte environ 200 ; beaucoup sont fermées et très mal réparties) et en accès (trop souvent encore ouvertes de 6 heures à 22 heures, et pas 24 heures sur 24). Anecdotique et trivial ? C’est pourtant quand on doit faire ses besoins dans la rue qu’on commence à perdre sa dignité.
Ce serait aussi une très nette amélioration de la vie du reste de la population, touristes, voyageurs, noctambules, fêtards, chômeurs allant à un rendez-vous.
L’accès au 115 doit être radicalement transformé : on ne peut certes accueillir tous ceux qui en ont besoin. En revanche, il est insupportable et humiliant de passer jusqu’à deux heures par jour au téléphone pour tenter d’obtenir le service. Avec plus d’opérateurs téléphoniques, on pourrait à défaut de loger les gens, au moins leur permettre de ne pas perdre leur temps.
Oui, l’exclusion est complexe ; c’est sans doute pour cela que nul ne l’évoque plus ! Mais Maurice Zundel nous donne une clé : «Vous verrez combien une foule se transfigure quand vous projetterez sur chacun des individus qui la composent le mystère de votre âme, et que vous estimerez ses besoins à la mesure des vôtres, en lui reconnaissant un droit égal d’y satisfaire.» Si on était capables, vraiment, de penser ainsi, c’est fou ce qu’on serait plus vite capables de trouver des solutions.