La police turque fait des révélations sur la fuite de l’ancien patron de l’Alliance Nissan-Renault-Mitsubishi

Le succès de l’exfiltration de Carlos Ghosn s’est joué à Istanbul. La police turque a présenté ses conclusions au tribunal le vendredi 3 juillet. Suivez les suites de l’affaire Ghosn qui sont décidément aussi mondiales que son sujet.

JEUDI 2 juillet, le département d’État américain a annoncé avoir reçu la demande formelle d’extradition de Michael et Peter Taylor, les deux barbouzes qui ont exfiltré l’ancien président de l’Alliance du Japon en Turquie avant de finir au Liban. Le lendemain, à 4 000 km de là, le personnel d’équipage qui a assuré le transport de ce « colis » inhabituel s’est retrouvé devant un tribunal turc pour répondre d’accusations de violation des lois sur l’immigration de ce pays. Quatre pilotes, deux hôtesses de l’air et un cadre de MNG Jet Havacilik, le transporteur qui a effectué les deux vols d’Osaka à Istanbul puis Beyrouth, sont traduits en justice. Tous nient avoir eu connaissance de l’identité de leur passager. Okan Kösemen, le cadre de MNG accusé, affirme ainsi avoir agi sous la menace et sans savoir que Carlos Ghosn était son « invité-mystère ». « Le passager m’a dit une seule chose : les Japonais sont des gens méchants », a-t-il drôlement confié aux enquêteurs, rapporte le Wall Street Journal. La compagnie MNG, aux mains d’un des plus importants hommes d’affaires de Turquie, affirme aussi avoir été spoliée : elle n’aurait même pas été payée de l’intégralité de sa facture par son commanditaire.

Les Turcs plus diserts

Plus diserts que les procureurs japonais, leurs collègues turcs ont laissé fuiter dans les presses locale et américaine une bonne partie de leurs trouvailles avant l’audience de vendredi 3 juillet. À commencer par la fameuse « malle » dans laquelle a voyagé Carlos Ghosn pour sortir du Japon à la barbe de ses services d’immigration : retrouvée dans un hangar de l’aéroport Atatürk d’Istanbul, elle avait été percée de 70 trous afin de lui permettre de respirer. Pendant la procédure, les enquêteurs ont fait rentrer un employé de l’aéroport de la corpulence de Carlos Ghosn pour s’assurer qu’il pouvait y voyager. Une autre malle, contenant elle une enceinte, était aussi du voyage : selon des informations, elle a été présentée à l’immigration d’Osaka en premier comme leurre, afin de détourner leur attention.

Les enquêteurs turcs ont analysé des heures de conversation et de messages entre protagonistes afin de déterminer qui était dans la confidence de l’opération. 

Pour eux, Okan Kösemen est à la manœuvre ce jour-là. « Le colis important doit rester à l’arrière. Je le réceptionnerai à l’atterrissage », dit-il au pilote sur le point de décoller d’Osaka à 23 heures le 29 décembre 2019. À 5h21, Carlos Ghosn atterrit à Istanbul. Il redécolle à 5h50 avec Okan Kösemen à son bord. À 7h15, Carlos Ghosn est à Beyrouth. Libre. Okan Kösemen, lui, repart à Istanbul à 7h45. Dans les trois mois qui précèdent l’opération, l’homme avait déposé en douze fois 275 0000 dollars en liquide sur son compte en banque, ont découvert les enquêteurs.

Le donneur d’ordres serait un Libanais, Nicolas Meszaros, patron de Sky Lounge, une petite société de transport aérien basé à l’aéroport Rafi Hariri à Beyrouth. L’homme fait l’objet d’une procédure judiciaire séparée par la justice turque. Il a donné une interview au site web de luxe libanais « Seulement pour VIP » en 2019. À la question « À quel principe ne dérogerez-vous jamais ? », il a répondu : « L’honnêteté ». Le procès reprendra.

Le Japon a formellement demandé aux États-Unis d’extrader deux Américains soupçonnés d’avoir aidé Carlos Ghosn, l’ancien magnat de l’automobile, à fuir la justice nipponne dans des conditions rocambolesques fin 2019. Michael Taylor, 59 ans, un ancien membre des forces spéciales américaines reconverti dans la sécurité privée, et son fils Peter Taylor, 27 ans, sont en détention depuis leur arrestation le 20 mai à Harvard, dans le Massachusetts, à la demande de Tokyo. Conformément au traité qui lie les deux pays, le gouvernement nippon avait 45 jours après leur interpellation pour transmettre sa demande formelle d’extradition par les canaux diplomatiques. C’est désormais chose faite, a indiqué un procureur fédéral dans des documents joints la semaine dernière à la procédure. Leurs avocats ont demandé l’annulation de la procédure ou, a minima, leur remise en liberté provisoire, mais les procureurs estiment qu’ils présentent un « grand risque de fuite ».

Les deux hommes, ainsi que le Libanais George-Antoine Zayek, sont accusés par Tokyo d’avoir aidé l’ancien patron de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi Motors à échapper à la justice japonaise le 29 décembre dernier. Accusé de malversations financières, le grand patron qui dispose des nationalités française, libanaise et brésilienne, était en liberté sous caution, avec interdiction de quitter le Japon, quand il a été exfiltré de l’archipel caché dans un caisson pour instrument de musique. Carlos Ghosn est depuis réfugié au Liban qui n’a pas de traité d’extradition avec le Japon. Lors d’une conférence de presse très médiatisée, il s’est posé en victime d’un « coup monté » et a assuré ne pas avoir eu « d’autres choix » que de fuir une justice « partiale ».