La poste existe-t-elle toujours ?

A l’heure de l’Internet, du téléphone portable, du courrier électronique, des SMS, de Facebook et autres nouveautés, y-a-t-il encore de la place pour les anciennes pratiques ? La RDC a du mal à trouver le juste milieu. 

Le siège de la Société congolaise des Postes et Télécommunications à Kinshasa-Gombe.
Le siège de la Société congolaise des Postes et Télécommunications à Kinshasa-Gombe.

En ce jour ouvrable, il n’y a pas foule dans le hall principal de la poste centrale sur le boulevard du 30-Juin. Les rares usagers sont devant une agence de transfert d’argent Western Union. Derrière les vitres des guichets de franchise de la poste, des caissières se tournent les pouces. D’autres taillent bavette, les yeux rivés sur un poste téléviseur, suivent une série nigériane diffusée par une chaîne locale. Les meubles sont couverts d’une épaisse couche de poussière. Étrange ambiance que celle de la poste centrale de Kinshasa. Un agent explique que la Société congolaise des Postes et télécommunications (SCPT) est entrée depuis 20 ans dans un profond coma dont elle n’a aucune chance de sortir.

L’envoi du courrier pour Bruxelles, qui prenait trois jours, en prend actuellement sept au minimum au départ  de Kinshasa. Au niveau de plusieurs villes de l’intérieur du pays, le courrier est inexistant, voire hypothétique. Ce qui arrange des agences privées comme DHL.

Jadis, cette entreprise comptait parmi les plus grands services générateurs de recettes publiques. Aujourd’hui, elle marche au ralenti. Sophie Mayilu, guichetière de son état, attribue cette agonie progressive  à la concurrence des nouvelles technologies de l’information et de la communication que la SCPT n’a pas pu intégrer à temps. Ailleurs, les services postaux qui ont rapidement compris cette nouvelle donne ont résisté à la tempête. Ce repositionnement a permis de suppléer aux  activités aspirées par les NTIC (courrier, cartes postales, journaux…). Pour d’autres encore, c’est la faute des différents dirigeants qui ont été nommés à la tête de l’entreprise et qui n’ont pas pris les bonnes décisions à temps. « En Europe », explique un autre agent, « le courrier postal existe toujours, même s’il a baissé en volume. Tandis que chez nous, les carences de la poste traditionnelle l’ont condamné à disparaître. » Les seuls services postaux qui résistent encore sont les documents scolaires, souvent à la demande d’universités étrangères pour les candidats ayant fait leurs études au Congo, en vue de la mention « le cachet de la poste faisant foi » ; les documents judiciaires (convocations, jugements…) ; le courrier d’entreprise. Traduites en chiffres, estime un agent, les contre-performances de l’entreprise annoncent une faillite inévitable. Les statistiques disponibles montrent que, ces trente dernières années, le nombre de boîtes postales à Kinshasa est passé de 60 000 à 10 000. D’autre part, le nombre de bureaux de poste sur toute l’étendue du pays est passé de 350 à seulement 49 aujourd’hui. La plupart ont été spoliés ou réaffectés à d’autres services publics ou privés (police, quartiers, dépôts, boutiques commerciales). Par ailleurs, le volume du trafic du courrier et des colis est passé  de 20 tonnes par jour à 2 tonnes par mois. Dans une cave, un agent signale la présence de 10 tonnes de courrier, colis et paquets destinés à l’intérieur du pays. Ce qui représente un cumul de stock des trois dernières années non acheminé faute de correspondance. Les seuls partenaires de la poste qui assuraient le relais à l’intérieur sont tous soit liquidés, soit en baisse d’activité. Il s’agit de l’ONATRA, d’Air Zaïre, de la SNCC. « Tant que les sociétés nationales aériennes, ferroviaires, fluviales et maritimes auront des problèmes, l’envoi du courrier vers les points les plus reculés du pays subira toujours les contrecoups de la crise », estime un cadre en charge de la logistique. Selon l’Union internationale de la poste, celle-ci ne peut collaborer qu’avec des sociétés publiques. La vitesse du trafic a considérablement baissé. L’envoi du courrier pour Bruxelles (première destination européenne du Congo), qui prenait trois jours, en prend actuellement sept au minimum au départ  Kinshasa (le seul en fonction plus ou moins régulière). Au niveau de plusieurs villes de l’intérieur, le courrier est inexistant, voire hypothétique. Ce qui arrange des agences privées comme DHL. Le leader du courrier et des colis express a ouvert vingt nouveaux bureaux au Congo ces dix dernières années.

Fatalisme et désespoir

Quant à la vie de la société elle-même, la plupart des agents n’ont plus le moindre espoir. L’essentiel du personnel et des cadres est passé de 3000 à 300 agents. L’École de poste qui les a formés n’existe plus depuis des lustres. Ceux qui peuvent encore transmettre leur savoir à la nouvelle génération sont tous admissibles à la retraite et démotivés : ils totalisent plus de 200 mois de salaires impayés.


L’amertume des anciens

Le collectif des partants volontaires à la retraite de la Société congolaise des postes et télécommunications (SCPT) demande l’accélération du processus de mise à la retraite de plus de 250 personnes qui ont déjà dépassé l’âge légal du travail actif en leur faisant bénéficier de tous les droits reconnus aux retraités. Les concernés estiment que leur bonne foi a été trahie après qu’ils eurent accepté, en 2010, de partir volontairement à la retraite pour accélérer la restructuration d’une société à la dérive et au bord du dépôt de bilan, avec un personnel démotivé et vieillissant, ainsi qu’une production quasi nulle. La mise à la retraite était parmi les mesures indispensables pour sauver la SCPT. Un groupe de travailleurs, parmi les plus âgés, s’était porté volontaire sans conditions (indemnités de sortie, sécurité sociales et autres avantages). C’était, pensaient les intéressés, leur contribution au salut d’une entreprise qui leur a tout donné dans leur vie professionnelle. Mais, quatre ans plus tard, ces volontaires constatent amèrement que rien n’a bougé du côté de l’employeur. En attendant, ces agents ne perçoivent que le dixième de leur salaire, qui est payé de façon irrégulière. Selon le collectif qui représente leurs intérêts, chaque agent concerné par la retraite reçoit un forfait de 6 500 francs (7 dollars) quels que soient le grade, la fonction ou l’ancienneté. Une somme qu’il juge modique.  La direction générale a, dans un communiqué, juste reconnu la situation en invitant les agents à la patience. Ceux qui n’en peuvent plus veulent saisir la justice.