Le secteur des télécommunications connaît depuis 2000 un taux de croissance très élevé en République démocratique du Congo. De même sa contribution au budget de l’État et à la formation du Produit intérieur brut (PIB) ne cesse d’augmenter. Il est dommage de constater que le développement de la téléphonie mobile ne s’accompagne pas de celui de la téléphonie fixe et de l’Internet. Bien qu’abritant le siège de l’Union panafricaine des télécommunications, la RDC ne dispose pas d’un réseau de téléphonie publique. La Société congolaise des poste, téléphone et télécommunications (SCPT) est devenue l’ombre d’elle-même, par la faute des politiques. Les dirigeants qui ont tenté de la faire renaître de ses ruines, ont été défenestrés sans autre forme de procès, alors que l’ex-OCPT revêtait des habits neufs pour son redécollage. Les nostalgiques de l’époque coloniale racontent que les PTT rapportaient dans les caisses de l’État autant des recettes que le mastodonte GECOMINES.
Sous le régime de Mobutu, ce secteur, longtemps sous le contrôle de l’État, n’était pas économiquement compétitif. Face à la présence dominante des privés sur le terrain de la téléphonie mobile, la SCPT a misé, logique, sur la téléphonie fixe et l’Internet grâce à la fibre optique. Il faut dire que l’Internet a fait son apparition, timide, en RDC vers le milieu des années 1990, grâce à des initiatives privées de quelques cybercafés. Et, depuis, l’Internet est encore un luxe pour la grande partie de la population congolaise dont le revenu est faible. Pourtant, la RDC s’est engagée à entreprendre plusieurs projets de technologies de l’information et de la communication (TIC).
Le programme gouvernemental procède du potentiel dans ce secteur et de l’étendue du marché et des besoins, présents et à venir, des entreprises congolaises encore sous-exploités. Pour accroître la contribution des télécommunications à la croissance, à l’emploi et au budget de l’État, le gouvernement s’est fixé comme objectifs de construire une infrastructure nationale moderne des télécommunications (téléphonie mobile et Internet à haut débit) par le biais d’un partenariat public-privé ; d’améliorer le taux d’accessibilité aux services des télécommunications et des nouvelles technologies ; et de renforcer la libéralisation et la compétitivité du secteur pour attirer les investissements privés.
Zéro réussite à l’échéance 2016
En 2016, il fallait porter la télé-densité à 40 lignes de téléphone fixe ou mobile pour 100 habitants ; poser 5 000 Km de câble de fibre optique sur toute l’étendue du territoire national (réseau national de fibre optique ou back bone); connecter environ 30 millions de lignes fixes et mobiles (réseau métropolitain) ; informatiser l’administration publique et les services spécialisés de l’État, ainsi que les postes frontaliers. Pour atteindre ces objectifs, il était prévu d’améliorer la gouvernance et la concurrence dans le secteur, par l’assainissement du spectre des fréquences ; mettre à jour le cadre légal et réglementaire des télécommunications et de renforcer les capacités de l’Autorité de régulation des poste et télécommunications au Congo (ARPTC) ; accroître le taux d’investissements public dans le secteur et favoriser les partenariats public-privé ; finaliser les travaux de construction de la station d’atterrage de Moanda en vue d’assurer la connexion du réseau de transmission par câble à fibre optique avec le câble sous-marin du consortium WACS ; assurer l’exploitation commerciale de la première phase du Back Bone national entre Moanda et Kinshasa ; poursuivre la construction du Back Bone entre Kinshasa et Kasumbalessa ; finaliser le passage de la télévision analogique à la télévision numérique (TNT) ; restructurer les opérateurs publics, le Réseau national de télétransmission par satellite (RENATELSAT) et la SCPT.
Tous ces projets n’ont pas été menés à leur terme en 2016. Conséquence : la RDC est encore à la traîne des pays africains en matière d’initiatives via les services en ligne ou le téléphone portable. Mis à part le système de publication des résultats de l’Examen d’État, l’équivalent du baccalauréat, et le paiement via le mobile, plus rien ou presque. Pourtant, la plupart des pays d’Afrique subsaharienne ont un ministère de l’Économie numérique et investi dans les infrastructures télécoms et le développement de services en ligne ou via le téléphone portable. Par exemple, après avoir lancé de nouvelles négociations pour l’attribution des licences 4G aux opérateurs de téléphonie mobile, le Togo a inauguré dans plusieurs localités du pays un dispositif permettant d’offrir aux populations un service de communication à prix réduit baptisé « Wi-Fi Public ».
« Il y a plusieurs aspects pour lesquels le numérique est pertinent. Le premier est lié aux objectifs de croissance », explique un expert. Le Togo ambitionne de devenir une plateforme régionale sur le plan portuaire, aéroportuaire et financier. « Dans ce contexte, il est important d’avoir des infrastructures de télécoms. Le numérique, qui représente environ 10 % du PIB, permet donc de soutenir la croissance du Togo évaluée à 5,4 % en 2015 », poursuit-il.
Avec le ministère de l’Agriculture, le ministère de l’Économie numérique du Togo a lancé AgriPME, un dispositif utilisé par plus de 25 000 agriculteurs. AgriPME (contraction d’agriculture porte-monnaie électronique) permet de distribuer des subventions aux agriculteurs par paiement mobile. Au départ du projet, le ministère de l’Économie numérique a identifié ceux qui étaient les plus fragiles, les plus vulnérables du pays (76 522 ont été recensés), et leur a donné une carte SIM dotée d’un crédit, dont la valeur correspondait au montant de la subvention à laquelle ils avaient droit.
Sur son téléphone, l’agriculteur a reçu ensuite un code qu’il devait présenter à son distributeur d’engrais équipé d’un terminal. L’agriculteur qui n’avait pas de téléphone, présentait simplement cette carte SIM analysée par le système. Le distributeur entrait ensuite un code qui permettait de connaître le montant de la subvention en engrais qu’il devait verser à l’agriculteur. Le paysan pouvait payer le reste de ses engrais virtuellement, s’il avait au préalable crédité son compte, ou en liquide dans le cas contraire.
Ce système a permis une très grande traçabilité de l’utilisation des subventions agricoles et de connaître précisément la demande de chaque localité en engrais. AgriPME est intéressant pour le secteur privé car il permet de connaître la demande exacte d’engrais à distribuer dans une préfecture. C’est l’État qui, de façon très précise, aura communiqué cette information. Grâce au projet AgriPME, le Togo est le premier pays francophone à distribuer des subventions par paiement mobile. Le Togo développe aussi un projet d’e-village qui va concentrer 4 400 chefs de village et chefs de canton. L’idée est simple.
On leur fournit un crédit mensuel, un téléphone et une carte SIM. Tous les mois, ils perçoivent un crédit qui doit leur permettre, par exemple, de prévenir leur préfet d’un danger, d’un accident grave ou de lui signaler la présence d’individus potentiellement dangereux puisque les frontières sont poreuses. Les maires ne peuvent plus dire : « Je n’avais pas de crédit » puisque celui-ci est versé chaque mois et doit servir dans certaines situations. Pour les épidémies de méningite, par exemple, ils ont le devoir d’alerter dès qu’une personne tombe malade de façon suspecte. Les chefs de village se sentent ainsi reconnus puisqu’on leur a donné un outil de travail. Des données GPS ont aussi été relevées au sein des villages pour différentes études.
D’autres pays africains, comme le Rwanda, le Ghana, le Kenya, le Cameroun, la Côte-d’Ivoire, le Nigeria, etc., ont développé plusieurs systèmes dans les domaines de la santé, de l’éducation, du commerce… Le Rwanda a beaucoup investi en matière de nouvelles technologies. Ce pays développe notamment un système de drones capable de porter des poches de sang dans des endroits difficilement accessibles. Le Kenya est très développé en systèmes de paiement mobile… L’accueil a été mitigé au départ, mais l’adhésion populaire à tous ces projets est souvent rapide.
En Afrique, l’absence de statistiques et de données pèse souvent sur les décisions économiques. Les systèmes numérisés permettent d’obtenir des données très précises. Ils peuvent apporter des données économiques intéressantes et donc booster la croissance. Mais attention, il ne s’agit pas de contrôler la population comme d’aucuns le laissent entendre. Il est plutôt question que le service public se mette au service des citoyens, fait remarquer le même expert. D’après lui, l’économie numérique suppose investir massivement dans les infrastructures de la fibre optique, pour relier notamment les administrations, les écoles publiques, les hôpitaux… Bien des pays ont voté une loi supprimant la TVA et les taxes douanières sur le matériel informatique afin d’obtenir une baisse des prix et faciliter l’accès à l’informatique.
L’accès à Internet pour tous est au cœur de nos préoccupations. Ils revoient tout le réseau informatique des universités et des administrations publiques pour mettre du Wi-Fi et intensifier le signal. Il ne suffit pas de poser de la fibre optique, il faut aussi développer des systèmes qui permettent de soutenir concrètement la population. « Il faut que l’État se considère comme une entreprise, qu’elle connaisse ses citoyens comme ses clients », poursuit cet expert. Convaincu que le numérique est un véritable levier de croissance… plus que jamais. Mais, au-delà de cela, il y a ce que les populations sont en droit d’attendre. Dans la plupart des pays d’Afrique, 75 % de la population ont moins de 35 ans. Il y a donc une vraie demande pour être connecté une fois que les premiers besoins sont assurés.