Les entreprises congolaises transformées en sociétés commerciales ont du mal à assainir leurs finances. Plusieurs d’entre elles sont créancières du gouvernement. Mais elles n’arrivent pas à recouvrer leur dû.
Depuis trois ans, la Régie de distribution d’eau (Régideso) réclame quelque 80 de millions de dollars à l’État. On estime à 3 millions de dollars la facture mensuelle pour la consommation d’eau des administrations publiques, des casernes militaires et des sites occupés par la police nationale. Selon une source proche de la Régideso, les arriérés des factures de l’État s’élèvent, depuis janvier 2012, à près de 80 millions de dollars. Chaque année, l’entreprise a besoin de 130 millions de dollars en termes d’investissement. Ses besoins globaux en investissement sont de l’ordre de 1,3 milliards de dollars sur une période de dix ans.
L’État doit faire plus pour redresser la Régideso
Révélés courant juillet au cours d’une rencontre sur le niveau d’évaluation de l’évolution institutionnelle sur le secteur de l’eau en milieu urbain, ces chiffres ont conduit la Banque mondiale à interpeller l’État pour plus de volonté politique en vue du redressement de la Régideso. Organisés par le comité de pilotage pour la réforme des entreprises du portefeuille (Copirep), ces travaux consistaient à faire la revue du processus de restructuration de la Régideso afin d’améliorer les performances opérationnelles et financières du secteur de l’eau.
Un autre son de cloche
Telle n’est pas la position soutenue par des cadres de l’entreprise qui mettent hors de cause les pouvoirs publics. S’ils reconnaissent une part de responsabilité de l’État dans la descente aux enfers de la société, ils affirment que la société devrait se soustraire d’abord à ses propres démons. À l’appui de cette thèse, ils signalent qu’aucune autre entreprise du portefeuille n’a été aussi portée à bout de bras que la Régideso. Ils citent aussi la contribution de l’État pour la construction des points de captage et de l’usine de traitement d’eau de la Lukunga (25 millions de dollars), la station de pompage de Ndjili (165 millions) et celle de Ngaliema (55 millions). En province, ils mentionnent, à titre d’exemple, l’usine de traitement d’eau de Lubumbashi. D’abord assuré par la Banque mondiale, l’approvisionnement en intrants ne pose aucun problème à l’entreprise qui est exonérée des droits et taxes à l’importation sur le chlore, le sel, le sulfate, etc. Par ailleurs, la Régideso s’est vue accorder des allégements sur les factures d’électricité dues à la Société nationale d’électricité (SNEL), figés à 100 mille dollars par mois. Malgré ce traitement de faveur, l’entreprise est incapable de recouvrer ses créances sur le réseau domestique. À la direction de Kinshasa-Ouest, ces dernières sont de l’ordre de 11 milliards de francs, soit plus de 11 millions de dollars. Un agent rapporte que, chaque mois, la société est abonnée au régime des découverts bancaires pour payer les salaires de ses 4 000 agents. Ceux de certaines provinces n’ont plus touché leur traitement depuis plusieurs mois. C’est le cas au Kasaï-Occidental, à Ilebo, où les travailleurs attendent une hypothétique rémunération qui ne vient pas depuis… 20 mois. Il en est de même à l’Équateur, dans le Bandundu… Le recours aux découverts bancaires entraîne des intérêts débiteurs exorbitants qui pèsent sur la trésorerie de l’entreprise. Pour l’ensemble de son personnel, la Régideso a besoin de 2 milliards de francs chaque mois.
Faiblesse des investissements
Selon un rapport du Copirep, entre 2006 et 2014, l’accès à l’eau par les réseaux publics a significativement baissé en RDC. Durant cette période, les investissements ont été faibles au regard des besoins et des prévisions de la Régideso et les performances techniques de l’entreprise se sont peu améliorées. La croissance de l’activité de la Régideso n’a pas été proportionnelle à l’augmentation de la population. Malgré l’évolution de certains indicateurs, les améliorations attendues de la Régideso n’arrivent toujours pas.
Raccordements promotionnels
Depuis janvier 2013, l’entreprise publique a procédé à l’opération dite « branchements promotionnels » qui consistait à raccorder les nouveaux abonnés à un prix abordable, « une offre exceptionnelle » fixée à 46 500 francs, alors que l’opération coûte, en exploitation, un montant variant de 115 000 francs à plus de 500 000 francs, en fonction du quartier où l’habitation est située et de la distance qui sépare cette dernière du lieu d’où l’on tire le raccordement. Cette opération a été un flop. Elle s’est traduite par un faible engouement des demandeurs de service. Pour accéder à un branchement promotionnel, le nouvel abonné devait se soumettre à toutes sortes d’exigences, notamment habiter une rue desservie par une canalisation de la Régideso, présenter un titre valide de propriété de la parcelle à raccorder, présenter un « avis de raccordement en eau » délivré par les services de l’urbanisme, remplir un formulaire de demande de raccordement, remplir un autre formulaire de paiement à la banque, fournir la preuve de paiement du montant et signer la police d’abonnement…
Découragement des abonnés potentiels
La longueur de la procédure pour obtenir les documents exigés, les difficultés pour s’en procurer, obligeant le demandeur à passer des jours entiers dans les différents services et le manque d’enthousiasme des agents de la Régideso à finaliser les travaux de raccordement (certains agents exigeant une « motivation ») ont eu raison du projet. Des abonnés potentiels ont également été découragés parce que leurs voisins, dont les dossiers étaient déjà prêts depuis des mois, n’ont jamais été raccordés. La RDC avait obtenu de la Banque mondiale un financement de 190 millions de dollars pour réaliser ce « Projet d’alimentation en eau potable en milieu urbain (Pemu) ». Celui-ci visait à accroître la desserte en eau aux populations non encore branchées au réseau de distribution, en raison de 25 000 branchements à Kinshasa, 10 000 à Lubumbashi et 5 000 à Matadi. À Kinshasa, on soutient que le projet aurait eu un impact certain si les communes et quartiers oubliés à l’instar de Kimbanseke, Kisenso, Maluku, Masina, Ndjili, Nsele, etc., étaient concernés par l’opération. C’est là que l’on ressent le plus les besoins en eau potable, car la population s’abreuve parfois avec l’eau souillée des rivières.