La «remigration», un concept qui essaime au-delà des identitaires

La candidature de Renaud Camus aux élections européennes risque de populariser encore ce concept clé de la pensée identitaire, désignant le retour massif et forcé d’immigrés dans leurs pays d’origine.

Le 9 avril, Renaud Camus, penseur de la théorie complotiste du «grand remplacement», a annoncé sa candidature aux élections européennes. Outre ses écrits sur le «grand remplacement», Camus a consacré ces dernières années à promouvoir l’idée de «remigration» comme remède à «l’immigration de masse» et «l’islamisation» qui séviraient en France.

Concept clé de la pensée identitaire française, la remigration est un nouvel euphémisme pour un phénomène ancien, à savoir le déplacement forcé de populations entières. Cette notion fait partie intégrante du projet idéologique de la mouvance identitaire et figure en bonne place dans sa littérature, comme en témoignent des titres tels que 30 mesures pour une politique d’identité et de remigration (éd. IDées, 2017). Jusqu’à récemment confiné dans les cercles fermés des colloques de cette mouvance, ce concept commence néanmoins à faire son chemin plus largement dans la fachosphère et même plus largement dans le discours politique français.

La candidature de Renaud Camus aux élections européennes accrédite l’idée que la remigration, ancrée dans une mentalité suprémaciste aux ramifications internationales, a une place légitime dans le débat électoral. Il y a quelques semaines, Emmanuelle Gave, candidate du parti souverainiste Debout la France aux européennes, s’est dite favorable à «poser la «remigration» sur la table». Si elle a depuis été exclue du parti après la diffusion de tweets racistes, la mention de la «remigration» par une femme politique issue de la droite souverainiste témoigne d’une dangereuse pénétration des idées de l’extrême droite ultraradicale dans l’espace politique français et d’un glissement sémantique de plus en plus souvent opéré par l’(extrême) droite souverainiste.

es figures de l’extrême droite française hésitent encore à employer l’expression de «remigration». Mais ils n’ont pas les mêmes précautions quand il s’agit d’évoquer le «grand remplacement» (et ses diverses variantes), qui participe pourtant d’une même vision victimiste du monde où les populations blanches européennes seraient menacées par l’arrivée de populations d’ethnicité différente, laquelle contient en germe la possibilité d’appels à des solutions radicales. Il y a quelques jours, Marion Maréchal déclarait dans l’hebdomadaire britannique The Economist que la théorie du «grand remplacement» «n’est pas absurde», tandis que Jordan Bardella, tête de liste RN aux élections européennes, évoquait une «substitution» des populations locales dans les banlieues.

Les données des réseaux sociaux récoltées par l’Institute for Strategic Dialogue, organisation de lutte contre l’extrémisme et la polarisation pour laquelle nous travaillons, soulignent à quel point les concepts de «grand remplacement» et de remigration se répandent en ligne. Ces notions sont reprises par les influenceurs d’extrême droite sur Twitter, au-delà de la simple mouvance identitaire qui les relaie. Au cours des deux dernières semaines, pas moins de 1 500 tweets en français contenaient le hashtag #remigration, touchant 2,1 millions d’internautes. Couplée à d’autres hashtags tels que #GiletsJaunes, l’idée de remigration se voit amplifiée sur les réseaux sociaux. Plus marginale sur Facebook, la remigration n’en est pas moins présente, comme en témoigne l’existence d’un groupe public appelé Remigration qui, avec ses 13 000 abonnés, dépasse de loin le nombre présumé de militants identitaires en France.

La pénétration des thèses identitaires dans le discours politique et sur les réseaux sociaux n’est pas un phénomène exclusivement français et reflète au contraire une inquiétante tendance européenne. Si l’inspiration idéologique du «grand remplacement» trouve ses racines en France, l’idée de remigration a connu un essor dans plusieurs autres pays, comme en Allemagne. Nos travaux d’observation de l’écosystème extrémiste en ligne nous ont permis de mettre à jour le lancement le 9 mars par le mouvement identitaire allemand d’une «campagne de remigration», accompagnée d’une pétition et de plusieurs opérations de communication, dont deux «mini-flashmobs» devant une mosquée et devant le ministère de l’Intérieur, réclamant le rapatriement des réfugiés syriens dans leur pays.

Comme en France, le thème de la remigration ne s’est pas arrêté à quelques manifestations de militants identitaires endurcis : l’extrême droite institutionnelle, l’AfD (Alternative für Deutschland) notamment, s’est emparée du sujet. Son programme électoral pour les européennes appelle ouvertement à la «remigration, au lieu de l’immigration de masse» : «Les millions de jeunes gens déterminés venus du «tiers-monde» en Allemagne et en Europe privent leur pays d’origine de ceux dont ils ont le plus besoin, peut-on y lire. […] Ce n’est pas la «réinstallation» […] qui est à l’ordre du jour, mais l’inverse : […] en Allemagne et en Europe, des programmes de remigration doivent être mis en place autant que possible.» Quant au Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), il lançait il y a quelques jours un «appel national à la remigration» sur le site web d’une de ses antennes locales.