À l’heure où les technologies de l’information et de la communication sont énormément sollicitées dans la chaîne de production musicale, les rappeurs congolais se sont réunis pour réfléchir sur la question de la commercialisation de leurs oeuvres sous format digital.
C’est sous l’impulsion de l’association Racine Alternative que le monde du hip hop congolais s’est retrouvé, le 17 juillet, à l’Institut français de Kinshasa dans le cadre d’une conférence-débat sur le « Modèle économique du hip- hop congolais ». À l’ordre du jour : discuter des problèmes liés à la rentabilité de cette musique urbaine. Pour les organisateurs, l’intérêt d’une telle thématique est justifié par le fait que beaucoup d’albums hip-hop sont produits chaque année, mais que, financièrement, les artistes n’en retirent rien. Les intervenants ont planché sur la consommation du hip-hop en RDC, l’apport et l’expertise de Baziks.net et Nassande.net, (deux start-up musicales congolaises), l’expérience béninoise du hip hop.
Les esquisses du hip hop congolais
Selon Yoka Lye Mudaba, directeur général de l’Institut national des Arts (INA), les premières esquisses du hip-hop congolais remontent aux années 1950 au Katanga. Cette époque a connu deux groupes de rappeurs, la Jecok (Jeunesse de la commune de Kenya) et la Jecokat (Jeunesse congolaise du Katanga). C’est un peu plus tard (dans les années 1970) qu’a commence à Kinshasa la toute première vague des chanteurs hip-hop avec Fatima CIA, puis le groupe PNB (Pensée nègre brute). À partir des années 1980, il y a eu une explosion du mouvement. Des jeunes gens s’intéressant au hip-hop étaient souvent traités par les adultes de distraits, rêveurs. Pour Yoka Lye Mudaba, la consommation de la musique hip-hop nécessite une économie créative. Il faudrait tout un ensemble de transactions commerciales concernant la production et la commercialisation des œuvres de l’esprit. Il reconnaît que la consommation du hip-hop en République démocratique du Congo souffre de plusieurs difficultés. Parmi elles, le fait que son public soit jeune et ne dispose pas de moyens substantiels pour faire face aux loisirs. L’autre obstacle est lié à la production même des disques. Ils sont piratés une fois sur le marché et les droits d’auteur n’existent pas car leur gestion collective est défaillante.
Cette musique bouscule un peu la tendance dominante de la musique congolaise et comme elle est souvent engagée, elle est marginalisée par les adultes. À ces difficultés s’ajoutent les conséquences. Les statistiques sont quasiment inexistantes en matière de production des disques en RDC. La chaîne classique de valeurs économiques est brisée à cause de l’influence de l’informel. Cette chaîne devrait idéalement comprendre la création, la production à la chaîne (l’industrialisation), la mise sur le marché et le marketing, la consommation par le public, enfin l’évaluation.
Vers une offre numérique
Le débat a également porté sur la question de la rentabilité du hip-hop à l’ère du numérique. Il s’agissait de démontrer à partir de leurs expertises respectives comment la commercialisation peut se faire digitalement. La crise que connaît aujourd’hui l’industrie du disque dans le monde n’épargne pas le continent africain reconnaît Narcisse Baya, concepteur de la start-up Baziks.net. Selon lui, les artistes devraient, en termes de modèle économique, miser à la fois sur la vente et la gratuité de leurs œuvres. Car « la gratuité permet à un artiste, lorsque ses chansons sont diffusées sur Internet, de faire le buzz, d’être connu assez rapidement et de voir de nombreuses personnes interpréter sa musique. » Le groupe peut, grâce à cette popularité sur la toile, organiser des concerts en tenant compte du nombre de « vues » par zone géographique et ainsi rentabiliser son travail.
L’expérience béninoise du hip-hop
« Nous la chance, à la base de ne pas avoir, contrairement au Congo, la rumba et le ndombolo qui bloquent. C’est-à-dire, une musique moderne d’inspiration traditionnelle béninoise qui domine. Quand le hip-hop est arrivé, les jeunes gens n’avaient pas d’autres références musicales fortes. Ils s’y sont adonnés avec bonheur», explique l’artiste béninois Tchaye Okio, producteur et propriétaire du label Mix My Wax. Face à l’offre abondante sur le marché, les musiciens sont des fournisseurs de contenu. « Celui qui maîtrise le contenu, tient le business », affirme-t-il. « Ma structure, comme tous les labels, fait signer un contrat à 360 degrés. Je m’occupe de tout : le management de l’artiste, sa promotion, sa production. En contrepartie j’ai un pourcentage sur tous ses revenus. » Malheureusement avec ce type de contrat, il faudrait que tous les maillons de la chaîne de production musicale (artistes, producteurs, diffuseurs,..) jouent la partition pour qu’on puisse arriver à un résultat qui permette à chacun de trouver son compte.