Le DÉPIT ! Le mot ne paraît pas si fort pour décrire le sentiment que l’on ressent lorsqu’on se rend, par exemple, dans une banque, une société de téléphonie mobile, une entreprise, un cabinet ministériel, etc. Au propre comme au figuré, on est tout simplement irrité. Une irritation due à un froissement d’amour-propre ou une aigreur due à la déception. Bref, l’amertume fend le cœur, le sentiment de rancœur, difficile à exprimer, envahit l’esprit pour longtemps encore.
Josué Kasanda vit en Europe. Il se souvient de ce qu’il a vécu dans un cabinet de ministre : « Ici, il faut montrer patte blanche pour être bien reçu. Peu importe que vous soyez tiré à quatre épingles ou pas, il faut sans doute parler en patois, donc la langue de la contrée du ministre, ou avoir une main généreuse pour être bien reçu. À l’époque, j’accompagnais à Kinshasa une délégation des investisseurs suédois qui voulaient monter une société de transport en commun. Avant de rencontrer le ministre des Transports de l’époque, ses collaborateurs exigeaient 5 000 dollars. En plus, le ministre lui-même exigeait une commission de 30 000 dollars et d’entrer dans l’actionnariat sans apporter le moindre dollar. C’est clair que ces investisseurs ne pouvaient pas marcher. On les a fait poirauter pendant deux semaines, et ils sont partis comme ils étaient venus. »
Ce que le public réclame
Hélène Sangara est femme entrepreneure. Elle raconte une anecdote en guise de calvaire que sa banque lui fait subir et aux autres clients : « Lorsque vous vous y rendez, oubliez toutes les autres courses de la journée. Chaque jour, on vous entonne la même rengaine : ‘il n’y a pas de connexion internet, il faut aller au siège’. C’est bondé de clients qui se lassent à force d’attendre d’être servis. Il n’y a pas assez de guichets… »
Justin Ekofo, cadre d’entreprise, estime qu’il faut lancer des débats entre clients et responsables des administrations et des entreprises afin de comprendre les attentes réciproques. « Quand on se rend dans un service public ou privé, il est assez pénible d’avoir à se demander si l’on sera bien reçu ou pas. Il faut prendre son mal en patience, surtout il ne faut pas péter les plombs », témoigne-t-il.
Séverine Munga est étudiante. Voici ce qu’elle dit : « Jamais dans un shop de société de téléphonie mobile, on passe moins de temps, même pour une simple réclamation… »
À entendre les gens parler de l’accueil ou du service à la clientèle, de leurs attentes, l’impression n’est même pas que les administrations et les entreprises satisfont mal leurs attentes mais tout simplement qu’ils perçoivent mal ces dernières. Il y a là un vrai problème.
Beaucoup de jugements et d’attentes du public se fondent sur de larges mécompréhensions. À y regarder de près, il y a comme un ressenti : la distance entre ce qui est fait par les administrations et les entreprises et ce qu’attend d’elles le public paraît un petit peu plus qu’abyssale. Il s’agit donc de se demander comment un tel écart a pu se creuser entre ce qu’elles disent et ce qu’est à même de vivre le public. Par exemple, les banques et les sociétés des télécoms sont soucieuses d’afficher leur modernité, de répondre à la demande à travers les outils digitaux mais le service à la clientèle laisse souvent à désirer. « Les chargés de l’accueil ou de la clientèle ne comprennent peut-être pas exactement encore ce que réclame le public : l’humanité », déclare Evelyne Luntala, cadre d’entreprise. Ce point est très important, explique Lambert Bosolo, sociologue. « Ce qu’on demande en fait d’humain, c’est surtout une considération, quel que soit le rang ou quelle que soit l’apparence de celui qui est en face. Un rapport d’égal à égal. Regardez comment les fonctionnaires et les agents de l’État sont traités dans les banques. Rien que du mépris ! », dit-il. Pour lui, les gens redoutent finalement l’indifférence caractérisée à leur égard, partout. « Il y a véritablement une peur du déclassement social dont les sociologues soulignent la prégnance dans notre société », souligne Lambert Bosolo. L’anxiété est donc forte mais comment la traiter, au risque de se retrouver en déphasage complet avec le public et de perdre toute crédibilité ? « La dimension humaine est d’abord un problème, tant les réclamations vers plus d’humanité se nourrissent inévitablement de mécompréhensions, d’attentes naïves et de vœux irréalistes », souligne Bosolo.
Donner la parole aux gens
Les administrations et les entreprises devraient donner la parole aux gens sur leurs rapports aux services, poursuit-il. Les mécanismes de la satisfaction de la clientèle sont connus des spécialistes : identifier les attentes et les exigences des clients, maîtriser les ressorts de la satisfaction du client, instaurer un climat de confiance, etc. Les techniques pour un accueil ou une prise de contact de qualité et pour une communication interpersonnelle réussie sont également connues. Les spécialistes conseillent d’éviter les jugements, de se mettre à la place du client pour mieux le comprendre…
En effet, le service à la clientèle est l’une des facettes, sinon la plus importante de de l’administration ou de l’entreprise. Il est le cœur même de toute organisation saine. « C’est l’endroit le plus visible au niveau opérationnel, et souvent celui dont on se rappelle lorsqu’on décide de devenir client fidèle ou pas », fait remarquer Isidore Nzau, expert en marketing. « Il s’agit parfois, dit-il, du seul point de contact direct entre les gens et l’organisation, d’où son importance cruciale. »
Dans tous les cas, poursuit-il, c’est la manière dont on accueille les gens qui renforce la confiance du public ou la fait perdre auprès des gens. « Une entreprise ou une administration sera plus à l’écoute si elle se sent elle-même écoutée. Malheureusement, au regard du volume du désamour avec le public, les administrations et les entreprises ne sont pas promptes à mettre en place un système de feedback en interne », fait remarquer le sociologue Bosolo.
Aujourd’hui, tous les spécialistes sont à peu près d’accord que le service à la clientèle est à la fois « le récepteur et le haut-parleur » de la voix du client. Les entreprises les plus performantes utilisent les critiques qu’elles reçoivent de leurs clients pour s’améliorer en continu. « Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Même si les critiques sont souvent difficiles à admettre, en tout cas, il est vital pour une entreprise ou une administration de donner la parole au public », poursuit ce sociologue.
Disposer d’un service à la clientèle performant devient alors un impératif pour les administrations et les entreprises. Car c’est le symbole d’une réelle valeur ajoutée commerciale. « On a comme l’impression que ce service est devenu le cadet des soucis des administrations et des entreprises. Il ressemble à un fourre-tout, relégué à l’arrière-plan », regrette Lambert Bosolo.