Pour le directeur général de l’Agence congolaise de presse (ACP), Lambert Kaboyi, la prérogative de la publication des résultats du baccalauréat national ou de l’Examen d’État revient « exclusivement » au média public. « J’étais désagréablement surpris de voir que l’ACP ne publie plus les résultats de l’Examen d’État alors que c’est dans ses attributions. Au jour d’aujourd’hui, il n’y a que l’Agence congolaise de presse et le Journal Officiel qui ont la prérogative de publier les textes officiels », a soutenu le nouveau patron de l’ex-AZAP ; lui-même enfant de la maison.
Premier décret de Lumumba
« L’ACP est donc une maison officielle et tout ce qui passe par le support de l’Agence congolaise de presse, tant au niveau du bulletin quotidien que sur le site web est crédible, respectable et respecté par tout le monde », a-t-il renchéri, tout en rappelant le rôle historique de ce média public. « Le premier acte juridique signé en 1961 par le 1ER Ministre Patrice Emery Lumumba, rappelle-t-il, a été la création de l’Agence congolaise de presse dans le cadre de la décolonisation de l’information ». Jusqu’à la fin des années 1980, élèves et parents venaient en masse consulter les résultats de l’Examen d’État à l’ACP tant à Kinshasa que dans les bureaux provinciaux à l’intérieur du pays. Certains pays limitrophes comme le Rwanda, le Burundi et la Tanzanie où fonctionnaient les écoles autrefois appelées « zaïroises », des délégations d’enseignants, des préfets, d’élèves, etc., se rendaient à Bukavu pour consulter les planches de l’alors Agence zaïroise de presse sur le télex qui publiait les résultats en temps réel avant les journaux locaux.
Pour ce faire, il fallait avoir l’autorisation préalable de Landu Lusala Khasa, le PDG de l’époque. « Nous ne pouvons pas accepter de laisser la publication des résultats de l’Examen d’État entre les mains inexpertes », fonce le DG de l’ACP. « Nous ne disons pas que les entreprises de télécommunications font un mauvais travail. Mais nous, ACP, sommes un des supports officiels avec un site verrouillé qui ne peut pas être facilement piraté. Si l’État congolais accepte de remettre l’ACP dans ses droits, donc la publication des résultats de l’Examen d’État, toutes les pages de notre bulletin seront marquées du cachet sec pour certifier que ces résultats sont corrects, réels et proviennent du ministère de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel ».
Bulletins spéciaux
Il est vrai que des résultats publiés par les entreprises de télécommunications ont par moment été entachés de contradictions. L’internet et le SMS n’ont pas toujours publiés le même pourcentage. Comme du temps de La Revue de l’Inspecteur où l’on a retrouvé des noms des élèves de bio-chimie d’une école sur la liste de latin philosophie d’une autre école, a-t-on appris. L’Agence congolaise de presse mûrit déjà l’idée de publier des bulletins spéciaux pour la publication des résultats de la prochaine édition de l’Examen d’État.
L’ACP est soutenue dans sa démarche par le ministre de tutelle, celui de la Communication et des Médias, Lambert Mende Omalanga, très influent au sein de l’appareil de l’État, renseigne-t-on. Le DG de l’ACP soutient d’ailleurs qu’il a consulté le ministre de la Communication et des Médias qui lui a donné l’autorisation de saisir le ministère de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel (EPSP), Gaston Musemena. Lambert Mende a promis d’accompagner l’ACP dans ces démarches d’autant plus que ces dernières sont légitimes. « Nous attendons le feedback de cette action, rassure Lambert Kaboyi, étant donné que même les syndicalistes du ministère de l’EPSP, les parents et les élèves viennent en appui à l’ACP pour que les résultats de l’Examen d’État soient publiés par cette dernière. »
Affaire des gros sous
Mais de l’avis des analystes, derrière la prérogative dont se prévaut l’ACP, la publication de résultats de l’Examen d’État est aussi une affaire des gros sous. Tenez. Lors des épreuves préliminaires de l’Examen d’État 2018, début mai dernier, quelque 678 000 élèves finalistes ont été enregistrés par l’EPSP. Si l’on reconduisait les mêmes chiffres pour la session proprement dite, et sachant que des proches des candidats (admettons 4 seulement) à l’Examen d’État seraient également intéressés par la publication des résultats, quiconque rendrait public lesdits résultats réaliserait, au bas mot, 4 millions de dollars.
Hélas, le partenariat conclu en 2008 entre le gouvernement à travers son ministre de l’EPSP et la firme Vodacom n’a jamais été rendu public. Mais selon des inspecteurs de l’EPSP, l’État n’aurait guère prévu de mécanisme de contre-vérification sur les recettes réalisées par la firme GSM. L’an dernier, Vodacom avait chiffré à 740 000 dollars, les recettes générées par la publication de l’Examen d’État pour le compte du gouvernement congolais à partir des services de messagerie SMS sur les 5 dernières années. Curieusement, ces fonds ont été directement gérés par l’entreprise des télécommunications.
En pratique, l’Inspection générale de l’EPSP propose à Vodacom un projet scolaire à financer et la firme apprécie et donne son accord pour l’exécution. Selon le ministre de l’EPSP, Gaston Musemena, le contrat signé entre Vodacom et son prédécesseur fait mention d’« un partage équitable des revenus », soit 50 % pour chaque partie. « Le montant perçu est versé pour le compte de l’Inspection générale de l’EPSP en vue de la réhabilitation de ses infrastructures. Cet argent sert également à moderniser les imprimeries et le centre de correction des copies de l’Examen d’État.
Si vous allez à l’Inspection générale, vous remarquerez qu’on est en train de construire un bâtiment à deux étages et le financement provient principalement de là. Mais Vodacom ne donnait pas suffisamment de l’argent », a confié Musemena à Actualité.CD.
Par contre, l’Inspection générale de l’EPSP s’est toujours refusée de s’exprimer sur le sujet, voilà 10 ans. Mais, ici, l’on se vante toutefois des réalisations du partenariat avec Vodacom dont la réhabilitation et la modification d’un bâtiment en étage de 14 bureaux équipés, appelé « Novemus ». Vodacom a aussi acheté trois minibus en 2008, 2010 et 2014.
Deux de ces bus datent d’avant la signature de ce contrat. Mais des limiers de l’EPSP ont découvert, a-t-on appris, que Vodacom tournait l’Inspection générale en bourrique et réalisait en réalité des bénéfices de 400 % à chaque publication des résultats de l’Examen d’État. Alors qu’un SMS revient à moins de 5 unités.
Et Vodacom a perçu dans cette transaction 25 unités par SMS. Avril 2017, le ministre de l’EPSP décidé d’ouvrir le marché de publication des résultats de l’Examen d’État aux autres entreprises des télécommunications. Vodacom aurait posé un chapelet des conditions notamment que les autres concessionnaires GSM se greffent à elle en vue d’une exploitation commune. La décision de Musemena a été appréciée autant par l’Assemblée des comités des parents d’élèves que par la mouvance syndicale des enseignants. Le président national du Syndicat des enseignants du Congo (SYECO), Jean-Pierre Kimbuya, à l’époque, avait toutefois recommandé au gouvernement d’être davantage regardant sur la qualité de prestation des opérateurs de téléphonie mobile.
Mais voilà que, soutenu par un influent membre du gouvernement, en l’occurrence, son porte-parole et ministre de la Communication et des Média, Lambert Mende, l’ACP a manifestement ouvert un front contre le ministre de l’EPSP, Gaston Musemena. Lui qui est déjà en froid avec son chef, le 1ER Ministre, Bruno Aubert Tshibala Nzhenze. Accusé d’« insubordination » dans un dossier relatif à l’enseignement technique, Musemena a été « sévèrement mis en garde » par Tshibala à travers une correspondance dans un style cahoteux. Le ministre de l’EPSP devrait répondre à l’ACP avant le 2 juillet, donc avant la clôture officielle de l’année scolaire 2017-2018.