Pourquoi Mercy Corps se bat-t-elle avec autant de ferveur que d’ardeur pour retirer à Yme Grands lacs (YGL) la gestion du projet d’adduction d’eau dénommé « Extension Goma Nord/Système de gestion pilote » ou EGN ? L’affaire a pris l’allure d’un conflit. Oui, elle en est une parce qu’elle dépasse désormais le seul cadre de la province pour atteindre la sphère politique nationale.
Pour une fois, et c’est nouveau, le centre (Kinshasa) et la périphérie (province) sont sur une même longueur d’onde. Cette identité de vue rassure à Goma.
Genèse de l’affaire
Nous n’avions pas pu rencontrer dans cette ville le responsable du projet à Mercy Corps, Patrick Catain, ni le directeur exécutif de YGL, Jack Kahorha, les deux étant en mission de service. Il n’empêche, de quoi s’agit-il exactement? Le 7 mars 2014, la REGIDESO, représentée par son directeur provincial, Deogratias Kabiona Kizibisha ; l’ONG Yme Grands Lacs (YGL), représentée par son directeur exécutif, Désiré Ketu; et l’ONG Mercy Corps, représentée par son directeur en République démocratique du Congo, Mark Dwyer, ont signé une convention spéciale de la gestion des bornes fontaines. Ils ont convenu que les droits et les obligations réciproques de la REGIDESO, propriétaire et exploitant du réseau d’adduction d’eau de la ville de Goma ; de l’ONG Mercy Corps, coordinateur du projet de gestion ; et de l’ONG YME Grands lacs, gestionnaire auquel est confié la vente de l’eau au niveau de 27 bornes fontaines du projet Mercy Corps/REGIDESO financé par l’USAID, le DFID et la Commission Européenne. Parmi les 27 bornes fontaines, 25 ont été construites par l’ONG Mercy Corps et les deux autres ont été réhabilitées par elle.
Dans cette convention spéciale, il a été stipulé que la gestion de ces infrastructures devait se faire selon les principes et les modalités du projet Système de gestion pilote (SGP), lequel devait être mis en œuvre conjointement par Mercy Corps, Yme Grands lacs et la REGIDESO pour une durée d’au moins un an.
La SGP comportait deux phases : la phase dite d’amorçage qui devait entrer en vigueur au début du projet (durée prévisionnelle de trois mois) et la phase dite d’accompagnement. Soulignons que la convention spéciale portait uniquement sur la phase d’amorçage.
Au terme de cette convention, la gestion des bornes fontaines était placée sous la supervision des Comités d’eau de quartier (CEQ), notamment Katoyi, Majengo et Munigi, tous des bénévoles, avec le soutien technique de Mercy Corps. Tandis que le Comité de concertation de Goma (CCG) était censé arbitrer les conflits pouvant naître de l’application de cette convention, dont la version finale a été approuvée, pour la REGIDESO par Jean Pierre Engau Is’Eleza (secrétaire général) et Cheikh Fall (DDR) ; pour Mercy Corps, par Eric Mulimbi (PM) et Jules Le Golf (Water Governance Officer).
En fait, la REGIDESO, Mercy Corps et YGL ont convenu d’un « partenariat » pour la gestion des 27 bornes fontaines du projet situées dans les quartiers Katoyi et Majengo de la ville de Goma et dans le groupement Munigi du territoire de Nyiragongo (bornes 1 à 25 et 46 et 47). En vertu de ce partenariat, la REGIDESO confiait au gestionnaire YGL la charge de vendre de l’eau potable aux populations environnantes de ces bornes fontaines.
L’ONG YGL a été sélectionnée pour assurer la gestion des 27 bornes de l’EGN pour la durée de la phase d’amorçage du SGP, en raison de son expérience de gestion du réseau d’adduction d’eau et de sa qualité de partenaire du projet I-Wash. Selon cette convention, l’eau doit être vendue au prix fixé par l’autorité urbaine (Mairie de Goma) de 50 francs le bidon de 20 litres (TVA comprise). La capacité maximum autorisée est de 23.05 litres, soit un prix effectif de 2 169 francs par m3. Par ailleurs, YGL doit verser les recettes prélevées sur un compte de la REGIDESO, à l’exception d’une retenue de 30 % servant à financer les frais de gestion.
YGL s’est engagée à assurer le service de la vente moyennant paiement cash, à maintenir les bornes en bon état, à fournir un appui technique aux CEQ… tandis que Mercy Corps effectuera des contrôles aléatoires, fournira un appui matériel aux CEQ, mettra à disposition du gestionnaire deux motos pour la tournée de collecte, contrôlera la mise en œuvre effective de la convention (droit de regard sur les opérations techniques et financières de la REGIDESO liées à l’extension). La résiliation du contrat peut intervenir à tout moment si une des parties venait à manquer à ses obligations ou en cas de force majeure sans préjudice du délai de préavis de huit jours et sans indemnités.
Une seconde convention de gestion devait être définie à l’issue de la phase d’amorçage pour préciser les modalités de gestion dans la phase d’accompagnement.
La REGIDESO, Mercy Corps et Yme Grands lacs acceptaient d’exécuter de « bonne foi » cette convention, de se concerter pour tout amendement et de régler à l’amiable tout différend, tout litige découlant de l’interprétation ou de l’inexécution de cette convention.
Si le conflit persiste, il sera porté devant le CCG, à défaut soumis à l’arbitrage de la mairie de Goma.