Croissance, bonne gouvernance, investissements… Pendant que le Maghreb fait la grimace, l’Afrique subsaharienne décolle. Des performances saluées par les experts du FMI et de la Banque mondiale, lors des assemblées générales de ces institutions.
Une fois n’est pas coutume : le 7 octobre, à l’occasion des assemblées générales annuelles du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, Olivier Blanchard, l’expert du FMI en matière de prévisions économiques, a parlé de l’Afrique subsaharienne lors de son tour d’horizon planétaire. Mieux, il n’a pas tari d’éloges, comparant ses résultats avec ceux d’une Europe morose et ceux de pays émergents moins dynamiques qu’autrefois. Un hommage inhabituel, alors que la région figure encore trop souvent à la rubrique « catastrophe » des médias. « Ses chiffres de croissance m’ont sauté aux yeux, confie-t-il à Jeune Afrique. Et ces bons résultats sont obtenus aussi bien par les pays qui exportent de l’énergie que par ceux qui en importent. Les États d’Afrique subsaharienne ont fait de réels progrès en matière de gouvernance, ces améliorations ont fini par susciter la confiance et attirer les investisseurs. » Comme en 2013, l’économie de la région devrait, selon le FMI, croître de 5,1 % cette année et même de 5,8 % en 2015. Cinq champions devraient dépasser les 8 % en 2014 : le Tchad (9 %), la RD Congo (8,6 %), la Côte d’Ivoire (8,5 %), l’Éthiopie (8,2 %) et la Sierra Leone (8 %)… à moins qu’Ebola ne la fasse chavirer. Quant aux «mauvais élèves», ils progressent en général de 2 % (et parfois moins) : le Soudan du Sud (en récession de 12,3 %), le Cap-Vert et la République centrafricaine (+1 %), l’Afrique du Sud (+1,4 %) et l’Érythrée (+2 %). Le rapport «Africa’s Pulse», publié le même jour par la Banque mondiale, moins optimiste, prévoit tout de même une croissance vigoureuse, de 4,6 % en 2014 et de 5,2 % pour 2015 et 2016. «Tout indique que l’Afrique subsaharienne sera l’une des trois régions qui croîtra le plus vite au monde et que ces vingt années de développement impressionnant se poursuivront», commente Francisco Ferreira, économiste en chef Afrique à la Banque mondiale. Si l’épidémie d’Ebola et les terroristes de Boko Haram sont contenus, bien sûr. Une performance que Ferreira attribue à l’amélioration de la gouvernance, à des choix macroéconomiques judicieux, à l’adoption d’une réelle discipline financière ainsi qu’à la bonne tenue des cours des matières premières, qui ont assuré à de nombreux pays de meilleures rentrées financières.
Le modèle des pays sans ressources
Tout indique que l’Afrique subsaharienne sera l’une des trois régions qui croîtra le plus vite au monde et que ces vingt années de développement impressionnant se poursuivront.
Francisco Ferreira
Mais pour Roger Nord, directeur adjoint du département Afrique du FMI, les ressources naturelles n’ont pas été déterminantes. «Depuis vingt ans, souligne-t-il, les pays qui ont le plus progressé (Ouganda, Tanzanie, Éthiopie, Mozambique, Burkina) n’en disposaient pas en abondance. Ce sont plutôt leur stabilité et leur bonne gouvernance, maintenues sur une longue période, qui ont rendu un grand nombre de pays africains plus attractifs aux yeux des investisseurs publics et privés. Ils ont pu ainsi sensiblement améliorer leur système social, la santé, l’éducation et l’espérance de vie de leur population.» Un cercle vertueux s’est donc amorcé. Pas question, toutefois, que cette Afrique qui progresse se repose sur ses lauriers, car ses fragilités demeurent. Tout d’abord, la structure de son économie n’est pas équilibrée. Si le secteur des services (cinéma de Nollywood, télécommunications, banques, négoce…) a dominé les années 1995-2012, la part de l’industrie et de l’agriculture, qui créent ou maintiennent potentiellement le plus d’emplois, a régressé. Pour reprendre le jargon des experts, cette croissance n’a pas été «inclusive», et les populations n’ont pas vu s’améliorer leur sort autant qu’elles auraient pu l’espérer. Un phénomène que Jim Yong Kim, le président de la Banque mondiale, résume en ces termes : «Le taux de pauvreté n’a pas diminué autant qu’on aurait pu s’y attendre compte tenu de la forte hausse du taux de croissance.»
Dérive
Ce décalage s’explique notamment par le développement en trompe l’oeil généré par les industries extractives (hydrocarbures et mines), nombreuses en Afrique. Très mécanisées et automatisées, elles ne créent pas en quantité les emplois non qualifiés qui seraient adaptés au savoir-faire de la main-d’oeuvre locale. Faiblement taxées, elles injectent peu de richesse dans les économies des pays producteurs. Dernier défaut de la croissance subsaharienne, elle ne profite pas équitablement à tous. «Le FMI a réalisé des études qui confirment qu’elle a bénéficié aux plus pauvres partout en Afrique, explique Roger Nord. Mais elle a surtout profité aux classes les plus riches et les inégalités se sont creusées. À terme, et si les gouvernements n’y prennent garde, cela posera un problème, car l’aggravation des inégalités ne favorise pas une croissance durable, bien au contraire.»
Le salut par l’impôt ?
Pour lutter contre cette dérive, les gouvernements peuvent recourir à l’impôt, mais la puissance redistributrice de celui-ci est limitée, en Afrique, en raison de la faiblesse des recettes fiscales. «Les gouvernants ont plus de latitude qu’ils ne le croient pour combattre ces inégalités, nuance Roger Nord. Par exemple, en Ouganda, les plus pauvres ont été les plus avantagés, car ils se trouvent dans les zones rurales où une politique agricole dynamique a diffusé plus de richesse. Et puis, l’amélioration des systèmes publics de santé ou d’éducation profite surtout aux plus défavorisés, qui ne peuvent pas se soigner ou étudier dans des établissements privés.»
Afrique du Nord : au bord des larmes
L’Afrique noire sourit ? L’Afrique du Nord, elle, est au bord des larmes. La grande déception du Printemps arabe est passée par là… La Libye s’effondre, avec une récession de 19 % en 2014, selon le FMI, qui espère un fort mais hypothétique rebond à +15 % l’an prochain. Tandis que la Mauritanie fait la course en tête, avec des prévisions de 6,8 % en 2014 et en 2015, le reste du peloton obtient des résultats moins brillants : l’Algérie avec 3,8 % cette année et 4 % en 2015, le Maroc (3,5 % et 4,7 %), la Tunisie (2,8 % et 3,7 %) et l’Égypte (2,2 % et 3,5 %). «Il n’y a pas de mystère, constate Shantayanan Devarajan, économiste en chef pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à la Banque mondiale. Les troubles politiques font fuir les investisseurs, dans les États touchés mais aussi chez leurs voisins, comme le Maroc et l’Algérie.» À chaque pays ses soucis. Il n’empêche, «les maux à l’origine du Printemps arabe perdurent, poursuit-il. Le chômage des jeunes reste impressionnant, les services publics sont souvent en faillite et, entre les classes moyennes et la catégorie des super-riches, les inégalités ne cessent de se creuser. Certes, la Tunisie et l’Égypte ont confisqué les avoirs des prédateurs qui les gouvernaient, mais elles n’ont pas rompu avec leur capitalisme de copinage, qui étouffait l’emploi. Ces pays ont fait leur révolution politique ; il est temps qu’ils passent à la révolution économique et en finissent avec ces situations de rente. J’ai bon espoir qu’ils s’y attellent».
Multinationales
Du nord au sud du continent, la principale préoccupation des grands argentiers africains reste le financement des réformes et des infrastructures. Les objectifs que prépare l’ONU pour succéder après 2015 aux Objectifs du millénaire seront ambitieux, et la lutte contre le réchauffement climatique promet de coûter cher. Où l’Afrique trouvera-t-elle les fonds pour y participer, alors que l’aide des pays riches décroît et que la libéralisation du commerce mondial supprime les recettes douanières ? Sera-t-elle obligée de se tourner vers les marchés pour financer ses efforts, au risque de se surendetter, voire de se retrouver en faillite, comme dans les années 1980-1990 ?
À Washington, le 9 octobre, les ministres des Finances des pays d’Afrique francophone ont attiré l’attention du G20, de l’OCDE, du FMI et des bailleurs de fonds sur cette menace. Par la voix de Patrice Kitebi, ministre délégué aux Finances de la RD Congo, ils leur ont demandé de les aider à modifier les règles internationales pour obliger les multinationales installées sur leur territoire à s’acquitter de l’impôt. Une entreprise de longue haleine, indispensable pour qu’une croissance vigoureuse perdure en Afrique.