L’INTIME conviction de Lambert Pungu Okito est que l’agriculture congolaise est un secteur important de l’économie nationale. « Elle devrait contribuer à l’excédent commercial. Malheureusement, ce secteur a connu un retard considérable. Les conséquences de cette négligence augmentent le taux d’inflation, rarement stable, dans le pays », déclarait-il de passage à Kinshasa lors d’un entretien avec Business et Finances.
Pour lui, le pays a intérêt à moderniser l’agriculture pour augmenter la production. Et, par conséquent, la croissance économique va suivre. « En République démocratique du Congo, les données de production agricole ne sont pas matérialisées et ni publiées. La sélection des semences améliorées et la mécanisation agricole sont des axes importants pour améliorer la production agricole », soulignait-il lors de cet entretien. Et d’ajouter que pour une meilleure croissance de l’économie agricole, la recherche de nouvelles voies pour la santé des plantes (la biotechnologie et la biologie moléculaire) etles stratégies des partenariats de recherche pour améliorer la qualité des produits agricoles, de la semence à la récolte, et pour découvrir de nouvelles méthodes alternatives sont essentielles. Il en est de même pour la promotion de l’agriculture et des bonnes pratiques auprès des fermiers.
Redevenir le grenier
Le professeur Lambert Pungu Okito est convaincu qu’avec un minimum d’efforts, la RDC peut récupérer sa place de grenier de l’Afrique, grâce à ses ressources naturelles, ses forêts, ses eaux, mais aussi grâce à ses ressources humaines. Sous cet angle, le pays a l’avantage d’opportunités de production dans le secteur agricole : environ 135 millions d’ha de terres agricoles, soit 34 % du territoire national (source FAO), dont 10 % sont seulement mises en valeur (3 % en agriculture et 7 % en élevage). Ces terres comprennent des zones humides (56 %), des zones subhumides (20 %), des zones situées le long de cours d’eau (17 %) et des terres dont l’utilisation aux fins agricoles nécessite des aménagements peu importants (7 %).
Aujourd’hui, la RDC importe pratiquement tout ce qu’elle consomme, à commencer par la nourriture. Or, explique ce professeur, l’importation des produits alimentaires décourage la production locale des produits agricoles et occasionne le chômage. Dans sa théorie du « Triangle de la vie », Lambert Pungu montre la corrélation qui existe entre l’agriculture (orthocentre), l’économie, la santé et l’éducation. « L’intersection de ces trois disciplines est l’agriculture. La bonne santé se trouve dans la bonne cuisine. Ainsi le gouvernement congolais doit s’intéresser à améliorer la santé de la population par une alimentation équilibrée », faisait-il observer.
D’après lui, notre monde est face aujourd’hui à des enjeux capitaux : le changement climatique, l’explosion démographique, l’épuisement des énergies fossiles, le vieillissement et la santé, les inégalités croissantes et les déséquilibres socio-économiques, la perte de biodiversité… Pourtant, la biodiversité, c’est le tissu vivant de notre planète, l’ensemble des milieux naturels et des formes de vie. « Ces défis qui sont complexes et interdépendants, nécessitent l’alliance de nombreux acteurs, s’inscrivent dans le long terme et ne s’accommodent pas des réponses simplificatrices », disait-il. Et de poursuivre : « Il est certain que l’agriculture va jouer un rôle important dans de nombreux domaines malgré le changement climatique qui fait basculer les données climatologiques et météorologiques. »
Lambert Pungu estime que la RDC qui est le 2è poumon du monde en matière de forêt humide, n’a rien à craindre du changement climatique : « Évidemment, la RDC est un pays de référence pour lutter contre les phénomènes météorologiques qui menacent notre planète. Sa forêt équatoriale et sa biodiversité sont des atouts considérables pour lutter contre le réchauffement de la planète. »
« La force de l’économie congolaise sera basée sur les coopératives agricoles qui sont un pilier de l’économie. Ce sont des acteurs incontournables de l’emploi et de la formation parce qu’elles participent à l’innovation agricole et au rayonnement du pays en exportant les denrées agricoles. »
Par nature très dépendante du climat, faisait-il remarquer, l’agriculture doit s’adapter et élaborer des stratégies pour affronter ces nouvelles conditions. Par exemple, l’adoption de nouvelles variétés résistantes à la chaleur, aux maladies, aux insecte, l’utilisation des engins agricoles, la fabrication des engrais, et l’élevage de bovins, poulets, poissons, moutons et chèvres… peuvent contribuer à l’amélioration de l’économie du pays. « L’agriculture va devoir nourrir la population congolaise qui est en forte hausse.
Vivement des structures d’appui
La production brute actuelle (moins de 800 kilocalories/jour par habitant) est pour le moment considérée comme insuffisante pour nourrir cette population. Nous pouvons créer des structures d’appui telles que la chambre de l’agriculture et les coopératives agricoles », insistait-il.
Ce professeur qui vit aux États-Unis, soutient que la chambre de l’agriculture s’occuperait du transfert d’innovations de la recherche vers les acteurs de terrain parce que le monde agricole est confronté à des défis majeurs et complexes (adaptation au changement climatique, érosion de la biodiversité, recherches d’alternatives aux pesticides…), et que les attentes sociétales sont de plus en plus fortes. La chambre de l’agriculture se chargera également de la mutualisation des connaissances. L’objectif principal de la Chambre sera de rendre accessible l’ensemble de ces connaissances pour améliorer les conseils agricoles apportés aux agriculteurs, ainsi que pour leur permettre d’accéder de manière simple aux données et ressources via une plateforme.
Et que dire de la coopérative agricole ? « La création d’une coopérative agricole est impérative parce que c’est une entreprise qui appartient aux agriculteurs. C’est une entreprise créée par les agriculteurs, collectivement, et qu’ils gèrent eux-mêmes sur la base du principe démocratique : 1 homme = 1 voix. La coopérative agricole valorise les produits agricoles, collecte et transforme les productions (céréales, fruits et légumes, lait et viande) des agriculteurs-coopérateurs. Elle contribuera à booster l’économie locale », argumentait-il.
D’après lui, la coopérative agricole se situerait dans des zones rurales : « Chaque territoire aura une coopérative, ce qui créera des activités économiques et des emplois pour la jeunesse déscolarisée. La RDC compte 145 territoires, ce qui fera le total de 145 coopératives. On peut imaginer les coopératives dans tous les secteurs de l’agriculture et de l’agroalimentaire. » Et de poursuivre : « Elles peuvent être de toutes les tailles, mais la grande majorité d’entre-elles sera des petites et moyennes entreprises. La force de l’économie congolaise sera basée sur la coopérative agricole qui est un pilier de l’économie. C’est l’un des acteurs incontournables de l’emploi et de la formation parce qu’elle participe à l’innovation agricole et au rayonnement de la RDC en exportant les denrées agricoles. »
En conclusion, Lambert Pungu constate que le pays jouit de conditions naturelles particulièrement favorables aux activités agricoles : précipitations, réseau hydrographique important, fertilité des sols… Il se caractérise également par sa taille et la diversité de ses conditions climatiques et géologiques. Ce qui a l’avantage d’une grande diversité des cultures et donc d’éviter toute dépendance excessive à l’égard d’une monoculture.
La RDC a aussi l’avantage de consommation : c’est avant tout un vaste marché intérieur des consommateurs de produits transformés mais aussi de l’avantage d’opportunités pour les cultures pérennes et d’exportation. Enfin, le pays peut encore jouer un rôle important sur les marchés internationaux pour un certain nombre de produits, notamment le café, le coton, le thé, l’hévéa, les huiles de palme, le cacao, le quinquina, la papaïne. Les perspectives de développement des filières café et cacao sont excellentes en RDC et la filière palmier à huile répond très bien aux marchés locaux, conseillent des experts à tous ceux qui veulent créer une entreprise en RDC.