LAMBERT PUNGU OKITO : « Un partenariat avec le secteur privé est gage de développement agricole »

BEF : Au vu de la situation, quelles sont les stratégies qui vous paraissent appropriées pour développer une agriculture durable en RDC ?

LPO : La recherche et le développement (R&D) sont des facteurs clés pour développer une agriculture durable. Les nouvelles techniques innovatrices produisent des résultats palpables et incontestés dans la production et la distribution des produits agricoles.  Le ministère de l’Agriculture doit appliquer la stratégie de R&D en adoptant l’outil scientifique de pointe qui a permis de sortir certains pays de la crise agricole, la biotechnologie verte. Étant un outil indispensable dans l’amélioration des espèces végétales, la biotechnologie verte peut être adoptée par les autorités congolaises. 

L’utilisation de la biotechnologie doit être accompagnée par des règlementations telles que la biosécurité. Si cette structure est mise en place, il sera important de renforcer son application par l’usage de la législation et des lois sécuritaires.  Cependant, la biosécurité doit garantir la protection du personnel et l’écosystème. Une agence de gestion en biotechnologie et biosécurité doit diriger les travaux de recherches agricoles. Ces deux structures se complètent et peuvent créer une synergie pour l’amélioration et l’augmentation des denrées agricoles.

BEF : Dans votre mémo au président de la République, vous parlez d’agriculture innovatrice. Est-ce que c’est un nouveau concept ?

LPO : Elle consiste à apporter des nouvelles approches de la culture des denrées agricoles et de leur distribution. L’agriculture innovatrice fait évoluer les nouveaux modèles d’agriculture et de production agricole pour une amélioration définitive.

BEF : Vous y évoquez aussi l’agriculture traditionnelle…

LPO : Les activités agricoles (petits élevages, jardins, aquaculture…) urbaines et périurbaines ont toujours existé dans les villes ou à proximité pour des raisons pratiques d’approvisionnement alimentaire. Depuis l’antiquité, les villes ont aménagé des espaces d’habitation, d’artisanat (puis d’industrie) et d’agriculture. Avec la croissance démographique en RDC, les champs ont progressivement disparu du centre des villes, mais des parcelles plus petites et de très nombreux jardins occupent toujours une place significative de Gombe, le centre de la ville de Kinshasa et les environs. Le cycle court de production donne l’avantage à cette pratique. En Afrique subsaharienne, l’agriculture traditionnelle constitue l’une des solutions essentielles aux problèmes et préoccupations liés à la production et à la distribution des produits alimentaires. Ce qui nous amène à distinguer l’agriculture traditionnelle et l’agriculture conventionnelle. 

BEF : Qu’entendez-vous par l’agriculture conventionnelle ?

LPO : L’agriculture conventionnelle est une forme d’agriculture occidentale moderne qui a recours à une mécanisation poussée ainsi qu’aux pesticides et engrais chimiques. C’est l’agriculture qui est la plus répandue à travers le 

BEF : Quelles sont les autres stratégies que vous préconisez ?

LPO : L’amélioration des produits agricoles, le marché, et les opportunités pour la sécurité alimentaire ; la réduction de la famine en mettant l’accent sur la réforme des produits agricoles de base riches en protéine végétale, tels que le maïs, les haricots, les arachides… qui peuvent améliorer la nutrition, spécialement chez les femmes et les enfants ; la discussion et l’échange d’idées sur les nouvelles technologies et les produits agricoles pour l’intérêt de la population ; le renforcement de la résilience des communautés aux chocs ou désordres pouvant conduire à la famine et à des troubles politiques.

Par ailleurs, le développement agricole dépend également des infrastructures routières, telles que le transport routier, le chemin de fer, y compris les transports fluvial et maritime. Le transport de produits agricoles du milieu rural vers le milieu urbain pose un sérieux problème, c’est l’un des handicaps pour le développement agricole en RDC. Le chef de l’État dans son discours sur son Programme d’urgence des 100 jours a bien fait de mentionner que « l’agriculture sera la priorité des priorités ».

BEF : La RDC a presque tout, mais qu’est-ce qui fait tant défaut ?

LPO : Les produits agricoles sont essentiels pour le développement économique d’un pays. L’autosuffisance alimentaire peut réduire la pauvreté et la malnutrition qui sont des barrières au développement économique. La RDC avec ses potentialités et ses ressources naturelles possède les moyens humains et naturels pour produire suffisamment les denrées agricoles afin de nourrir sa population et le surplus peut servir pour l’exportation. 

Cependant, les moyens de production sont limités parce que les fermiers manquent la technicité, des intrants, du matériel et des équipements appropriés. À cela s’ajoute un élément de grande valeur qu’est la formation des agriculteurs (éducation). Il y a moyen d’investir et améliorer le secteur agricole en encourageant le secteur privé, car il est souvent reconnu comme le moteur ou le garant du développement agricole.  

BEF : Donc, vous êtes pour un partenariat avec le secteur privé…

LPO : Le secteur privé joue un rôle important dans l’application des principes durables pour une économie comme la nôtre. L’investissement du secteur privé, un environnement commercial sain et un système du marché solide sont les éléments importants pour le renforcement de l’économie du pays en développement. Les Organisations Non Gouvernementales (ONG) agricoles peuvent travailler en étroite collaboration avec le secteur privé pour accélérer la croissance économique afin de promouvoir un marché agricole potentiellement rentable. Ces ONG peuvent adopter et enseigner aux paysans les innovations technologiques agricoles.

BEF : Vous recommandez aussi l’investissement dans la recherche et les innovations agricoles…

LPO : La recherche et les innovations agricoles sont la panacée pour la réduction de la malnutrition et la famine. Le pays doit investir dans la recherche scientifique et appliquée pour développer le secteur agricole, surtout dans un pays du Tiers Monde comme le nôtre. Il faudra développer les centres de recherches agricoles, tels que Yangambi, Bengamisa et des centres universitaires chargés de la recherche scientifique. Il faudra aussi développer des centres de formation agricole dans toutes les provinces du pays. Pour une réponse immédiate, il faudra développer rapidement les cultures de rente, la production des produits vivriers et légumes. 

Les cultures comme les céréales, le maïs, les arachides, les haricots, les bananes, les légumes… nécessitent une attention particulière à cause de leur valeur alimentaire, surtout la production des protéines végétales. Tous les aliments à base de viande, de volaille, de fruits de mer, de haricots, de petit-pois, d’œufs ; tous les produits à base de soja, de noix et de graines… sont considérés comme des éléments essentiels faisant partie du groupe des aliments à protéines.

BEF : À votre avis, qu’est-ce qui va garantir la résilience pour le futur ?

LPO : Pour garantir une sécurité alimentaire durable aux générations futures et réduire le besoin de l’aide humanitaire, parfois coûteuse, la création de structures agricoles provinciales permettra de combler le creux entre les efforts humanitaires et le développement. Cela peut aider les communautés et les régions vulnérables à renforcer leur résilience face aux risques de crise alimentaire.

BEF : Autre chose : que vient faire l’inflation dans le développement agricole ?

LPO : L’inflation est définie comme l’augmentation de la monnaie en circulation sur le marché. Lorsque le niveau de prix des denrées alimentaires augmente, la valeur monétaire diminue. Dans ce scenario, la population aura assez de liquidité pour faire le marché, et cela occasionnera une augmentation des prix des produits et services. Par exemple, 1 kg de sucre qui était vendu à 1 000 FC, passera à 1 200 FC. Autrement, ce qui est vendu moins cher sera plus coûteux. La valeur monétaire va donc diminuer, et les hommes d’affaires auront besoin de plus de liquidité pour importer leurs marchandises.