Le moins que l’on puisse dire est que la libéralisation du marché des assurances peine à se concrétiser en République démocratique du Congo. Pour gagner le pari, le pays ne peut que compter sur un allié sûr ayant une solide expérience dans ce domaine hautement stratégique, explique un expert du gouvernement. De ce point de vue, dit-il, la RDC a sollicité l’assistance de la coopération sud-africaine pour le renforcement des capacités institutionnelles et techniques de l’Autorité de régulation et de contrôle des assurances (ARCA). Selon cet expert du gouvernement, cet appui permettra de développer un marché intérieur. La question devait être abordée au cours de la 10è grande commission mixte RDC-RSA qui s’est tenue en juin (21-25) à Pretoria en Afrique du Sud. Mais elle n’a pas été retenue au menu des discussions.
Le point de la situation
Est-ce à dire que l’ARCA n’est pas encore en capacité de fonctionner ? Dans l’opinion, l’impatience est perceptible. Quelle est le point de la situation ? Le directeur général de l’ARCA, Eric Mboma, a récemment indiqué qu’au moins 16 sociétés sont intéressées à œuvrer dans le secteur des assurances en RDC. En tout cas, ce sont les seules, actuellement, qui ont manifesté leur intérêt à entreprendre dans le secteur des assurances libéralisé au pays. Jusque là, l’ARCA garde comme un secret d’État les noms de ces sociétés d’assurance et de réassurance qui lui ont adressé leurs lettres d’intention. Dans son agenda, l’ARCA avait prévu de leur adresser des demandes formelles et d’attribuer les licences d’exploitation au quatrième trimestre de cette année. Il faut dire que le processus a pris du retard depuis la promulgation du nouveau code des assurances. Ce qui laisse la place au doute, voire à l’incertitude.
Selon des experts, la libéralisation du secteur des assurances est une bonne pioche pour les investisseurs car le poids du secteur dans l’économie nationale est estimé à quelque 500 millions de dollars par année. D’où, la concurrence qui s’annonce déjà tous azimuts, ce qui pourrait être un moteur de croissance économique. Eric Mboma est convaincu que cela permettra au pays d’étendre son écosystème financier et créer le genre d’environnement dans lequel les investisseurs peuvent se sentir les bienvenus parce qu’on leur donne plus d’options. Face au contexte monétaire, l’ARCA se refugie derrière l’exigence de la loi qui astreint les compagnies d’assurances à tenir 25 % du total des primes en RDC. Néanmoins, le DG de l’ARCA met un bémol : pour que le processus aboutisse, le gouvernement devrait également, dans le cadre des mesures d’application, trouver de « nouvelles façons » pour les assureurs de déployer cet argent.
Rien à faire, il faut ouvrir le marché, créer les conditions et, en parallèle, commencer à ouvrir de nouvelles plates-formes pour les investisseurs, par exemple, une Bourse de valeurs très basses, expliquait Eric Mboma. C’est dire que les règles du jeu ne sont pas encore claires, fait remarquer un opérateur économique. Par exemple, le groupe Rawji qui a monté la Rawsur pour œuvrer dans le secteur face à la ruée des multinationales, approuve les prévisions de l’ARCA, mais elle estime cependant que les assureurs, les courtiers, le régulateur et le gouvernement devront tous jouer leur rôle pour la réussite de l’industrie nationale d’assurances.
Les observateurs pensent qu’après les mines, le prochain boom en RDC sera celui des assurances. Les nouvelles compagnies souhaitent exploiter le potentiel intact du pays caractérisé par un marché vierge avec une population de plus de 70 millions. Le gouvernement dit ne ménager aucun effort pour veiller non seulement à préserver les intérêts du peuple mais aussi à garantir un meilleur lancement de ce marché en RDC.
Pour rappel, le code des assurances, promulgué le 17 mars 2015, est officiellement entré en vigueur le 17 mars 2016. Il consacre l’ouverture de l’activité d’assureur et de réassureur à des opérateurs nationaux (en mettant fin au monopole de la Société nationale d’assurances, SONAS) et internationaux, pour autant que ces derniers établissent une filiale en RDC. L’ARCA a été créée le 26 janvier 2016 pour accorder l’agrément aux sociétés désireuses de fonctionner en RDC. Deux ans déjà, après la promulgation de la loi mettant fin au monopole de la SONAS, les acteurs de cette industrie se perdent en conjectures. Le président du conseil d’administration, Bienvenu Liyota Ndjoli (ancien ministre de l’Environnement dans le gouvernement Matata) passé entretemps ministre des PME, et l’équipe senior de l’ARCA, conduite par le directeur général, Eric Mboma, avaient choisi la matinée du 4 mars pour faire une annonce importante : l’exercice plein et entier de ses prérogatives légales, avec un chronogramme qui n’est pas respecté.
À cette occasion, ils ont convié au Cercle (sportif) de Kinshasa les acteurs de l’industrie des assurances, les banquiers et les médias à une rencontre de « prise de contact » et d’« échanges », mais surtout à sceller « une collaboration fructueuse » entre l’ARCA et les opérateurs du secteur, premiers intéressés par ses activités. Au moins un meeting par mois, ont souhaité le président du conseil d’administration et le directeur général de l’ARCA. Tant, la problématique des assurances à travers le monde est importante. Et elle l’est davantage en RDC. Un pays aux potentiels impressionnants. Par exemple, sur le plan démographique, la RDC comptera 115 millions d’habitants à l’horizon 2035, selon les prévisions de plusieurs organismes sérieux, notamment onusiens. Par ailleurs, l’urbanisation apparaît aujourd’hui comme un phénomène dont la tendance ne va pas être inversée de sitôt. On estime que plus ou moins 50 % de la population congolaise vont habiter dans les villes à l’horizon 2035-2050. Et que Kinshasa sera classé parmi les 10 premières villes du monde les plus denses…
Sur le plan économique, la RDC est la 2è économie en Afrique centrale, mais en réalité elle est en tête, comme performeur de choix, en dépit du contexte difficile… Tout cela représente beaucoup en matière d’assurances. C’est pourquoi, la RDC est regardée avec optimisme comme une opportunité par les assureurs. Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, notamment la vision du chef de l’État, Joseph Kabila Kabange, sur le développement durable, un code des assurances (loi 015/005) a été promulgué le 17 mars 2015. Les animateurs de l’ARCA (établissement public créé en janvier 2016 par le décret 016/001), quant à eux, ont été nommés le 11 novembre 2016.
Professionnalisme et standards internationaux
La réforme opérée institue en RDC « une législation uniforme, moderne et complète », a soutenu Bienvenu Liyota. Elle prend compte « tous les engagements internationaux souscrits ainsi que les particularités de notre pays », a-t-il déclaré dans son adresse. Et la libéralisation du secteur des assurances s’inscrit dans la lignée des réformes courageuses des secteurs économiques et bancaires déclenchées par le gouvernement dans la perspective de l’amélioration du climat des affaires et de booster la croissance économique. Le nouveau code des assurances devait en principe sortir ses effets, le 17 mars 2016, une année (moratoire) après sa promulgation. Il devra s’appliquer aux opérations d’assurance et de réassurance réalisées en RDC, à l’exception des opérations d’assurance relevant de la sécurité sociale. Les acteurs de l’industrie sont désormais fixés. D’ici le 30 juin, ils auront la possibilité de déposer leurs dossiers de demande d’agrément à l’ARCA. Les conditions légales d’agrément sont également connues : verser une caution de 10 millions de dollars, avoir son siège en RDC et des fonds propres, obtenir l’agrément sur la vente des produits…
Depuis la promulgation de la loi, une dizaine de multinationales mais aussi des opérateurs locaux s’impatientaient et n’attendaient que le go ahead pour se partager les parts du marché congolais très porteur. La Fédération des entreprises du Congo (FEC) s’est félicitée de l’ouverture de ce secteur au libéralisme étant donné que l’économie nationale demeure fragile et est principalement tributaire du secteur minier. D’où la nécessité de diversification. La FEC y voit un créneau susceptible d’attirer davantage d’investissements dans l’avenir. La libéralisation est un pas de plus dans la bonne direction dans l’amélioration du climat des affaires. Sur ce plan, la FEC note des avancées législatives favorables aux opérateurs économiques. Est-ce cela qui justifierait cet empressement observé des majors des assurances et de la réassurance ?
Un ancien cadre de la SONAS à la retraite espère que…
…le nouveau code des assurances évitera au pays une vaste escroquerie. À la seule condition qu’il offre aux opérateurs économiques et aux consommateurs un cadre libéral, attractif, juste, exigeant et sécurisant. Il est censé organiser les conditions d’une saine concurrence destinée à aboutir à une optimisation des choix et des coûts pour les assurés. D’après cet expert des assurances qui se prépare à exercer comme consultant, la nouvelle loi devrait offrir aux acteurs les garanties d’une grande impartialité et d’un interventionnisme étatique réduit à sa plus simple expression. Le président du conseil d’administration a rassuré les opérateurs du secteur que « l’ARCA respectera et fera respecter le cadre législatif mis en place » et « se conformera aux principes de base en matière d’assurances en tenant compte des normes internationalement reconnues ».
Équité et intégrité
D’après le directeur général de l’ARCA, les mesures d’application sont en train d’être finalisées. Elles vont offrir aux acteurs de l’industrie un contexte qui leur permettra d’opérer efficacement. L’ARCA s’engage à offrir des services aux standards mondialement reconnus. Elle ne sélectionnera que les acteurs qui sont à la hauteur du défi de la mondialisation et qui ont la robustesse financière. Selon des observateurs, l’ARCA devra veiller sur les règles en rapport avec la solvabilité des compagnies postulantes et sur la transparence totale des flux financiers. L’origine des fonds d’établissement doit être clairement identifiée. Il faut éviter de tomber dans le piège de la prédation, du blanchiment d’argent et du terrorisme.
Avec la démonopolisation du secteur des assurances, nombreux sont ceux qui voudront vendre les produits d’assurance, mais ils devront proposer aux consommateurs une gamme plus large et répondant à leurs besoins. Les produits et les services proposés ne sont pas toujours en adéquation avec les besoins locaux. Pour y arriver, les investisseurs sont appelés à connaître les spécificités du marché. Chaque entreprise devrait mettre en place son réseau de distribution. Dans l’esprit de la nouvelle loi, seules les sociétés anonymes ou les mutuelles sont habilitées à exercer dans ce secteur. Toutefois, elle aura effet sur les opérations d’assurance directes et de réassurance souscrites par des entreprises agréées en complément et après préavis de garantie accordée par la sécurité sociale.
Le dépôt et la réception des lettres d’intentions des acteurs désireux d’opérer dans ce secteur sont en soi une étape qui matérialise l’ouverture du marché des assurances en RDC. Selon l’avis de manifestation d’intérêt, l’ARCA invite les potentiels opérateurs à présenter brièvement leur projet d’implantation en RDC ainsi que les stratégies de développement prévues. Sur la base des réponses au à l’appel à manifestation d’intérêt, l’ARCA va établir une liste des potentiels acteurs sur le marché congolais et reprendre ultérieurement contact avec les sociétés qui auront émis leur souhait d’opérer en RDC. La sélection finale se fera sur la base de l’analyse des dossiers complets, conformément aux conditions d’agréments qui seront publiées sur son site officiel, communiquait l’ARCA à la 4è édition de la Semaine française de Kinshasa.
Par ailleurs, la direction générale de l’ARCA précisait que les manifestations d’intérêt devraient être déposées à travers un formulaire disponible sur son site www.arca.cd (onglet : Agrément/Manifestation d’intérêt). Les sociétés demandant l’agrément ont l’obligation de remplir au préalable quatre critères préliminaires, à savoir : être une société anonyme, avoir un capital minimum de 10 millions de dollars, avoir son siège social basé en RDC et être demandeur d’un agrément pour la vente des produits d’assurance vie et non-vie. Les autres opérateurs auxquels le nouveau code des assurances s’intéresse sont les intermédiaires d’assurances ou de réassurances. Les assureurs et réassureurs ne sont en effet pas les seuls à pouvoir, par le biais de leurs employés, prospecter le public et récolter de nouvelles souscriptions. S’y ajoutent les personnes physiques ou morales immatriculées au registre du commerce et du crédit mobilier (RCCM) et agréés par l’ARCA en tant que courtiers, les personnes physiques ou morales titulaires d’un mandat d’agent général d’assurances et les personnes physiques, agissant en tant qu’indépendants mais rémunérés à la commission. L’employeur et le mandant répondent de la faute de leurs préposés et mandataires au titre de la responsabilité civile. Les agents généraux et les courtiers doivent, afin d’obtenir l’agrément préalable à l’exercice de la profession, répondre à des exigences d’honorabilité, de capacité et posséder la qualification et l’expérience professionnelle.