BRUNO Tshibala Nzenzhe, le 1ER Ministre, est retourné à l’Assemblée nationale le jeudi 25 octobre, pour s’exprimer à nouveau devant les élus. Mardi 23 octobre, il avait sollicité un délai des 48 heures, après la présentation de la loi de finances 2019 par son gouvernement, afin de répondre aux multiples préoccupations des députés. Sans surprise, le projet de budget pour l’exercice 2019 a été déclaré « recevable » par l’Assemblée nationale, quand on sait comment fonctionne cette institution, laisse entendre un député sur le banc de l’aile pure et dure de l’opposition.
Le projet de loi de finances 2019 adopté a été envoyé la commission économico-financière et de contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale pour un « examen approfondi ». Aubin Minaku Ndjalandjoku, le président de l’Assemblée nationale, a appelé les membres de cette commission à se surpasser pour permettre au Parlement de voter ce projet de loi dans le délai imparti.
Nerfs à vif
Selon un membre du gouvernement, le week-end du 20 au 21 octobre n’a pas dû être de tout repos du côté des ministères et de la primature. Les ministres étaient tenus de préparer le marathon qui a démarré le mardi 23 octobre à l’Assemblée nationale avec l’examen du projet de loi de finances 2019 en séance plénière. En effet, il ne reste, en principe, que moins d’un mois pour cette session budgétaire.
Cependant, le Parlement n’a pas encore examiné le projet de loi portant reddition des comptes pour l’exercice 2017. Conformément à la loi en vigueur, l’examen du budget est conditionné par celui de la loi portant reddition des comptes (rapport des états comptables). Certains députés de l’opposition disent tout haut ce que les autres pensent tout bas : le manque de sérieux dans le respect de la procédure et dans l’examen du budget de l’État.
Mais Jean-Luc Mutoka Mbali, le président de la commission économico-financière et de contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, met un bémol. Pour lui, les projets de loi portant reddition des comptes 2017 et du budget 2019 seront examinés et adoptés avant la clôture de la présente session parlementaire. D’après lui, le marathon ne pourra prendre qu’une semaine à l’Assemblée nationale.
Le budget 2019 en chiffres
Il n’empêche, le gouvernement va devoir parer la polémique née sur la taille, les dépenses et les recettes de ce budget… de transition démocratique, jugé « maigre » par les uns et « irréaliste » par les autres. La plupart des députés ont fait part de leurs inquiétudes sur le processus de décentralisation territoriale, l’impact de la révision du code minier de 2002 au regard de la remontée des cours des matières premières sur le marché international, ainsi que sur l’incidence de ce budget sur le sort des pauvres ou des gagne-petit.
Bruno Tshibala a présenté à l’Assemblée nationale mardi 23 octobre un projet de budget annuel chiffré à 10 352,3 milliards de nos francs (dix mille trois cent cinquante-deux milliards trois cents millions). Ce montage budgétaire est en équilibre en recettes (dont la majeure partie proviendra des impôts) et en dépenses. Aux dires du 1ER Ministre, le projet de budget pour l’exercice 2019 est en régression de 0,01 % par rapport à son niveau de 2018. La raison est bien simple : « la baisse substantielle des recettes extérieures et celle des budgets annexes ».
La moyenne de l’inflation est évaluée à 12,4 %, avec un taux d’inflation en fin période de 11,2 %. Le taux de change moyen, quant à lui, est fixé à 1 747,8 FC le dollar (contre 1 650 FC actuellement), avec un taux de change fin période de 1 790,3 FC. Le dollar, lui, aura cours légal dans toutes les transactions dans le pays, concomitamment avec le franc. Tel qu’il a été approuvé en conseil des ministres, le budget 2019 parie sur une croissance de 5,6 % du Produit intérieur brut (PIB, 54 milliards de dollars) pour l’année prochaine. Et ce, malgré la perspective politique sur fond d’élections générales. Jusque-là, ça n’est qu’un projet. Ce budget doit encore être adopté par le Parlement, qui, c’est sûr, va y apporter des modifications.
Question de point de vue
En attendant le vote du budget 2019, les ménages ne voient pas comment avec un « budget en régression », le gouvernement va tenir ses promesses d’amélioration du social de la population. Sur le front social, d’ailleurs, les professeurs d’université sont déjà entrés en grève sans attendre. Plusieurs autres secteurs menacent également de leur emboîter le pas.
De quoi agacer plusieurs soutiens de la majorité, tout comme de l’opposition. En tout cas, c’est une question de point de vue. Et tout laisse à croire que le texte qui sortira de la commission économico-financière et de contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale devra être âprement combattu par l’aile dure et pure de l’opposition.
Programmes électoraux
Normal qu’un membre de cette opposition dénonce un « budget de transition qui n’est pas réellement en faveur des classes moyennes ». Pour lui, les fonctionnaires et les agents de l’État ne verront pas de sitôt leur situation sociale changer. Tout l’inverse de Bruno Tshibala, qui assure être « le gouvernement qui se préoccupe de la situation des populations ». Qui a raison ? Un peu tout le monde, suivant les chiffres que chaque camp choisit de mettre en avant.
Un député de l’opposition accuse le projet de budget 2019 d’être en « déphasage avec les programmes électoraux ». L’évaluation des programmes électoraux des candidats présidentiables permet de s’en rendre compte. Globalement, ils se situent à deux, voire trois fois plus du projet de budget du gouvernement actuel.
Tenez : le candidat Freddy Matungulu Mbuyamu Ilankir avance un budget quinquennal de 52 milliards de dollars, soit 10.4 milliards par an. Sa vision repose sur trois axes : créer un contexte institutionnel et sécuritaire pour attirer de potentiels investisseurs, construire une économie à croissance inclusive et relever les défis sociaux et de la solidarité nationale.
Pour sa part, le candidat Martin Fayulu Madidi compte mobiliser 190 milliards de dollars sur une période de cinq ans. S’il est élu, il va d’abord s’appuyer sur le budget actuel évalué à quelque 5.9 milliards de dollars, ensuite s’appuyer sur une gouvernance intègre et une fiscalité responsable pour récupérer 12 milliards de dollars, favoriser les investissements évalués à 5 milliards de dollars et une coopération efficace et restructurée évaluée à 3 milliards de dollars.
Quant à lui, le candidat Seth Kikuni, envisage de mobiliser 12 milliards de dollars pour la première année, s’il est élu. Ce montant devrait résoudre les problèmes sociaux et économiques auxquels fait face la population congolaise, a-t-il dit. Seth Kikuni indique qu’une partie de ce fonds sera investi dans l’industrie et l’entreprenariat….
Bref, tous les programmes électoraux des candidats à la prochaine élection présidentielle font état des budgets en hausse. Démagogie ou réalisme ? En tout cas, de l’avis des experts et d’observateurs, le pays mobilise les recettes publiques largement en-deçà du potentiel.
Pour sa défense
Le 1ER Ministre a rassuré que toutes les réformes initiées par son gouvernement ont pour objectif d’avoir un budget qui reflète les potentiels fiscaux exigés. L’exécutif avait lancé en 2018 un pari (les 28 mesures économiques d’urgence) qui paraît encore difficile à évaluer. « On ne peut pas en observer les effets pour l’instant, c’est une réforme à long terme », explique ce membre du gouvernement. Le débat à l’Assemblée nationale promet donc d’être animé sur ce projet de loi de finances 2019.
Pour sa défense, le gouvernement a réparti le budget de la manière suivante : la dette publique et les frais financiers représentent 608.5 milliards de francs destinés au remboursement du principal et des intérêts aux différents créanciers de l’État ainsi qu’au paiement de la créance titrisée de la Banque centrale du Congo (BCC).
Les rémunérations représentent 3 565,4 milliards de francs congolais, comprenant, en sus de l’existant annualisé, l’augmentation de la rémunération accordée aux agents et fonctionnaires de l’État dans le cadre de la mise en application du barème convenu entre le gouvernement et l’intersyndicale de l’administration publique.
Pour Bruno Tshibala, cette enveloppe prend également en compte l’impact du recrutement et du dégagement des éléments de la police et de l’armée, de la mécanisation de nouvelles unités de la Fonction publique, de la Santé et de l’Enseignement primaire et secondaire ainsi que des actions salariales en faveur de différents services et corporations socioprofessionnelles du secteur public.
L’enveloppe des biens, matériels et prestations est de 1 192,5 milliards de francs, constitués, outre du fonctionnement courant des institutions et ministères, des dépenses sécuritaires, des charges communes ainsi que des charges à caractère social, notamment le financement des cantines scolaires dans le cadre de la gratuité de l’enseignement primaire, l’amélioration de l’offre et de l’accès de la population aux soins de santé de qualité, la lutte contre le VIH/sida et l’éradication des endémies et épidémies, telles que le paludisme et la maladie à virus Ebola.
Les transferts et les subventions représentent 1 206,1 milliards de francs, prenant en compte le fonctionnement des provinces et des entités territoriales décentralisées, la rétrocession aux administrations financières, la bourse d’études, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) remboursable et les interventions économiques, sociales et culturelles.
À cela s’ajoute la quote-part patronale à la Caisse nationale de sécurité sociale des agents publics de l’État (CNSSAP) et l’appui aux sociétés TRANSCO et Lignes Maritimes Congolaises.
Quant aux investissements (sur ressources propres et extérieures), ils représentent 2 622,4 milliards de francs pour le financement des projets du gouvernement central et des provinces ainsi que ceux financés par les bailleurs bi et multilatéraux de la RDC, y compris les dépenses de contrepartie. Les projets retenus sont la construction, la réhabilitation et l’équipement des infrastructures scolaires et sanitaires ; l’ouverture et l’entretien des routes hautement prioritaires ;
la poursuite de la mise en œuvre du Projet de transport multimodal (PTM);
la construction des bureaux pour abriter les gouvernorats et les assemblées provinciales dans les nouvelles provinces ainsi que la construction des tribunaux de paix en provinces ; l’implantation des parcs agro-industriels et l’entretien des voies de desserte agricole à travers les provinces ; la poursuite de la mise en œuvre du projet d’adduction d’eau et d’électrification en milieu rural et péri urbain ; l’implantation des incubateurs pour la promotion et la compétitivité des petites et moyennes entreprises ; le projet de stabilisation de l’Est pour la paix.
Les dépenses exceptionnelles représentent 410 milliards de francs pour le financement des élections sénatoriales, municipales, locales et des gouverneurs ainsi que la prise en charge des dépenses liées aux sinistres et calamités.