Par rapport à d’autres pays du continent, la création de services d’envoi et de réception d’argent grâce à la téléphonie mobile en RDC est encore toute récente. Mais son potentiel est énorme pour les opérateurs qui devront beaucoup investir pour en profiter.
La révolution du Mobile Money a commencé en 2012, à l’initiative de l’opérateur indien Airtel avec un service baptisé Airtel Money. Vodacom lui emboîte ensuite le pas avec M-Pesa. Ils seront suivis par Tigo, avec son Tigo Cash, et le français Orange. Pour le moment, Vodacom et Airtel dominent le marché avec, respectivement 40 000 cash-points pour le premier, et 32 000 pour son concurrent. L’utilisation du service est facile pour toute personne qui sait manipuler un téléphone portable. La souscription d’un abonnement est gratuite. Une fois abonné, l’utilisateur obtient un e-compte qui lui permet de recevoir et d’envoyer de l’argent à n’importe quel moment.
Frais de transaction et commission
Chaque opérateur a ses tarifs, comme l’explique une propriétaire d’un point de vente à Binza-Delvaux, dans la commune de Ngaliema : « Selon que l’abonné est un utilisateur du service M-Pesa de Vodacom, Airtel Money ou encore Tigo Cash, le client ne paye pas la même chose. S’il s’agit d’un retrait d’argent d’une valeur équivalente à 5000 francs, le client Airtel paye 250 francs de frais de transaction. Pour la même opération et le même montant, un client Vodacom déboursera 400 francs de frais de transaction et 600 francs pour un abonné Tigo. » Lorsqu’il s’agit de transfert d’argent entre abonnés d’un même réseau, l’opérateur fait payer des frais de transaction. Chez Airtel Money, pour tout transfert d’argent inférieur à 50 000 francs, le client ne paiera aucun frais. C’est seulement à partir d’un montant supérieur à cette somme que les frais sont exigés et ils s’élèvent à 300 francs pour 70 000 transférés.
Vodacom facture tout transfert d’argent entre abonnés à partir d’une somme comprise entre 1000 et 10 000 francs. L’abonné paye 100 francs. Pour une somme en dessous de 20 000 francs, il faut payer 150 francs et 200 pour un montant supérieur à 20 000 francs et inférieur à 50 000 francs. Pour ce qui concerne la commission de l’agent revendeur des services M-Pesa et M-Falanga d’Airtel, la revendeuse explique : « Je touche une commission sur chaque opération que le client effectue que ce soit un dépôt, un retrait ou un jeton cash (transfert d’argent de Vodacom vers un autre opérateur) qui varie entre 75 et 930 francs pour un dépôt et entre 140 et 1 850 francs pour un retrait. Cette commission, je la reçois automatiquement après la transaction et elle s’ajoute au solde disponible dans mon téléphone. Avec Airtel Money, la commission est payée à la fin du mois.»
Des défis à relever pour les agences de transfert de fonds
En 2013, InterMedia, un groupe de conseil spécialisé en évaluation et recherches appliquées, a réalisé pour le compte de GSMA ( une association créée en 1995 qui représente les intérêts d’environ 800 opérateurs de la téléphonie mobile et quelque 250 sociétés ainsi que les entreprises qui se consacrent à soutenir le déploiement et la promotion du système de téléphonie mobile GSM) une enquête à Kinshasa, dans le Bas-Congo, le Katanga et le Nord-Kivu) intitulée ‘L’argent mobile dans la République démocratique du Congo : étude de marché sur les besoins des clients et les opportunités dans le domaine des paiements et services financiers’. Il en ressort que « compte tenu de l’importance de la base d’utilisateurs potentielle et de la faible pénétration des services financiers, la République démocratique du Congo (RDC) semble offrir une opportunité commerciale significative pour l’argent mobile. À 17, 5 %, le taux de pénétration de la téléphonie mobile dépasse celui des services financiers, avec seulement 4 % de la population titulaire d’un compte auprès d’une institution financière formelle. Toutefois, le marché de la RDC souffre de problèmes de sécurité, d’une instabilité économique et politique, d’infrastructures minimales et d’une population dispersée. » L’étude ajoute qu’ « à la différence d’autres marchés de l’argent mobile, la RDC possède un solide réseau de sociétés de transferts de fonds locales et internationales avec des frais abordables et une clientèle satisfaite. Par conséquent, les opérateurs se trouvent confrontés à une lutte difficile à court terme pour arriver à faire passer les clients à un nouveau mode peu familier. »
Malgré ce contexte difficile pour les opérateurs de téléphonie mobile, la situation n’est pas figée. Et certains n’hésitent pas à saisir l’opportunité qu’offre l’argent électronique. C’est le cas de Jérôme, utilisateur du service Airtel Money : « Je vends du poisson fumé en provenance de Lodja. Chaque semaine je dois commander la marchandise. Je dois donc faire des transferts pour qu’on me l’achète sur place. Avant j’envoyais de l’argent via une agence dont les frais de transfert me coûtaient cher, sans parler des heures de fermeture de l’agence en fin de semaine qui me compliquaient la tâche. Avec l’arrivée des services de transfert d’argent par téléphone portable, je peux envoyer de l’argent à partir de mon lieu de vente pour presque rien. Quand j’envoyais par exemple 50 000 francs via l’agence, elle prenait une commission de 7 %, c’est-à-dire 3 500 francs. »
Un autre utilisateur, William Ilunga, ne cache pas sa satisfaction. « Mon bailleur se trouve au Katanga. À la fin de chaque mois, je lui envoyais de l’argent par le canal d’une agence. Pour 100 dollars, je payais 5 dollars de frais de transfert. Aujourd’hui, c’est moins d’un dollar que je paie pour la même somme en recourant au service d’Airtel Money», explique-t-il. Dans leurs conclusions, les auteurs du rapport notent que « la RDC est un marché difficile. Le manque d’infrastructures et une population dispersée, qui dispose de faibles revenus et parle plusieurs langues, signifient que tout opérateur mobile qui souhaite pénétrer le marché devra bien le comprendre et envisager des investissements significatifs pour bien positionner son service et arriver à le gérer de façon efficace. Pourtant, avec plus de 70 millions d’habitants (…), la RDC recèle d’énormes opportunités commerciales. La téléphonie mobile joue un rôle essentiel pour élargir l’accès aux services financiers dans un pays où moins de 4 % de la population est titulaire d’un compte dans une institution financière formelle. »