Les effets de la transformation des conditions atmosphériques sur le rendement agricole et l’hydroélectricité ne sont pas encore sérieusement appréhendés. Si les comportements et les modes de vie actuels ne changent, le pays qui est tributaire à 75 % de sa forêt et de son hydrographie, court un réel danger.
Depuis plusieurs années, des experts ne cessent de tirer la sonnette d’alarme sur le changement climatique. Au début, ils étaient pris pour des illuminés. Les phénomènes naturels récents (tsunamis, cyclones, éboulements, marées…) ont fini par rapprocher les États et bon nombre d’organismes pour lutter contre ce fléau. À Kinshasa, plusieurs voix se sont élevées pour appeler à une prise de conscience et pousser les Congolais à protéger leur écosystème. D’autant plus que le Congo est tributaire à 75 % de sa forêt et de ses eaux. « Sans sa forêt et son eau, le pays ne vaut pas un penny. Nulle part au monde, un pays n’en dépend comme le Congo », affirmait, en août, Raymond Lumbuenamo, ancien directeur du Fonds mondial pour la nature. D’après lui, le pays pourrait subir le même sort que le Tchad dont le lac s’est drastiquement rétréci. Les gros poissons y sont devenus rares tandis que le menu fretin est pêché avec beaucoup de difficultés.
Les facteurs de vulnérabilité
D’après une étude de l’Institut français de l’agriculture, ce secteur est le principal moyen de subsistance pour 70 % de la population congolaise. La dépendance vitale et économique de ce secteur, à laquelle s’ajoute l’accroissement de la population, qui a triplé depuis 1960, sont des grands facteurs forts de vulnérabilité. Tant que les richesses minières du pays (tantale, or, diamant, cuivre, zinc, tungstène, étain…) ne seront pas davantage exploitées dans l’économie formelle, la part de l’agriculture dans l’économie restera très élevée comparée aux autres pays des Grands Lacs et de l’Afrique de l’Est (presque 43 %). L’étude de l’Institut français de l’agriculture tirait déjà la sonnette d’alarme sur la hausse des températures qui sera plus marquée que dans la région des Grands Lacs, entre 1 et 3°C dans la période allant de 2010 à 2020.
Selon cette étude, les modèles divergent sur l’évolution des précipitations au Congo, même si une large bande est du territoire, ainsi que la région de Kinshasa, devraient recevoir moins de pluie. Les pertes de rendement agricole se concentreront au nord de la frontière provinciale du Katanga. À l’inverse, des gains de production peuvent être espérés dans les provinces les plus occidentales. La production de manioc, essentiele à la sécurité alimentaire locale, devrait doubler entre 2010 et 2050, davantage grâce à un meilleur rendement qu’à une extension des surfaces mises en culture pour cette plante. Mais le Congo demeurera un importateur de manioc à cet horizon, tant la demande interne est forte. Pour le maïs, le potentiel d’amélioration des techniques de culture est tel que des gains de rendement de 70 % sont envisageables dans les quinze prochaines années. Mais cela ne suffira pas pour répondre aux besoins internes en maïs dès 2025. Ces progrès de production ne feront pas disparaître la sous-alimentation, notamment infantile, et seront obérés par l’accroissement démographique. Les couches urbaines défavorisées sont les plus exposées aux crises alimentaires (accessibilité financière, disponibilité, stabilité).
Ressources en eau
L’eau est également concernée. Les modélisations de l’IFPRI ne différencient pas assez « l’eau bleue », qui constitue les flux et les stocks des aquifères, des lacs, des cours d’eau utilisés pour les usages humains, et « l’eau verte », présente dans les sols, indispensable aux cultures sous pluie et aux écosystèmes. L’augmentation des précipitations risque d’accroître le ruissellement, donc les flux d’eau de surface (et les risques d’inondation). Elle pourrait ne bénéficier que de manière secondaire à l’humidité présente dans les sols, d’autant que la hausse des températures dans toute la zone d’étude va accroître l’évapotranspiration. Ainsi, malgré des modélisations conduisant à des précipitations moyennes plus élevées, l’eau effectivement utile pour l’agriculture sous pluie et les écosystèmes pourrait décroître (comme dans certaines parties du Kenya et de la Tanzanie).
Niveau des mers
Autre crainte : les infrastructures. Celles situées en zone littorale sont menacées par la hausse du niveau de la mer, qui pourrait atteindre 70 cm d’ici 2070. Plus que la submersion, les évènements extrêmes tels que les cyclones constituent le risque majeur rattaché à l’élévation du niveau de la mer, qui étend l’aire de vulnérabilité aux événements extrêmes. Ainsi, des cyclones toucheront des zones et des infrastructures qui n’étaient pas auparavant exposées à ces risques. Des dommages à la zone portuaire de Dar es Salam pourraient avoir de fortes conséquences économiques en Tanzanie (95 % du commerce international du pays y transite) et sur les approvisionnements des pays enclavés des Grands Lacs. Les complexes touristiques de Mombasa se situent sur le littoral et sont exposés à la montée des océans. Des événements extrêmes menacent également la continuité de services essentiels (eau, électricité, santé…), à l’image des crues du fleuve Tana, au Kenya, en 2009 qui avaient privé de soins médicaux plus de 100 000 personnes.
Production d’énergie
Jusqu’à présent, les conséquences du changement climatique sur la production hydroélectrique en Afrique n’ont fait l’objet que de rares travaux, en particulier sur les bassins fluviaux situés dans les régions subhumides. Mais l’Institut français de l’agriculture donne un exemple des simulations du changement climatique pour la station hydroélectrique de Batoka Gorge, sur le fleuve Zambèze. Celles-ci prévoient à l’horizon 2080 une évolution significative du régime fluvial (avec une diminution du débit mensuel moyen de 3,21 km à 2,07 km) et une réduction de la production d’électricité (diminution de la production mensuelle moyenne de 780 GWh à 613 GWh). Dans la région des Grands Lacs, le changement climatique compliquera l’exploitation et le fonctionnement optimal des barrages hydroélectriques. À cause de fortes sécheresses connues en 2005 et 2006, la production d’hydroélectricité tanzanienne a été divisée par deux. Ces mêmes années, la baisse du niveau du lac Victoria (-1,5 m) a diminué de 40 % la capacité de production de l’Uganda Electricity Generation Company. Conséquence : des pluies plus concentrées ne pourront pas forcément être stockées dans un lac-réservoir, et ne compenseront donc pas l’allongement du nombre de jours consécutifs sans pluie.
Les pays couverts par l’Observatoire des Grands Lacs sont en proie à une extrême vulnérabilité climatique en matière de production d’énergie. La grande partie de l’électricité kenyane provient de barrages dans le bassin du fleuve Tana. De fortes sécheresses, à l’instar de celles de 2011, sans précédent depuis une soixantaine d’années, menacent directement la fourniture d’électricité sur la quasi-totalité du territoire. De même, le niveau des lacs Kivu et Tanganyika aura un impact direct sur la capacité de production d’électricité au Rwanda, dans l’Est du Congo et au Burundi.
Guerre de l’or bleu
L’Institut français de l’agriculture met en garde contre la multiplication des projets hydroélectriques qui, s’ils se concrétisent, pourraient conduire à des modifications des débits des cours d’eau, soit en les différant dans le temps (entre saisons, voire d’une année sur l’autre), soit en les réduisant (évaporation due aux lacs de retenue, réservoirs servant également à des projets d’irrigation…). Si les barrages contribuent à amortir les effets des épisodes climatiques extrêmes (utilité des lacs de retenue en période sèche, lissage des inondations), ils ont des impacts sociaux et environnementaux. Il est en ainsi des projets hydroélectriques éthiopiens sur l’Omo, qui pourraient modifier durablement l’environnement naturel et humain du lac Turkana, dont les caractéristiques (alcalin, salinité) le rendent particulièrement vulnérable à des variations quantitatives de ses sources. De plus, le changement climatique accentuera les conflits entre les usages énergétiques et agricoles de l’eau. Le calendrier des lâchers d’eau pour produire de l’hydroélectricité pourra ne pas coïncider avec le calendrier des besoins en eau pour l’agriculture. Les arbitrages politiques pour la répartition de la ressource en eau (entre énergie et agriculture principalement) s’annoncent ainsi plus complexes et plus fréquents.
Selon les experts, cette concurrence entre usages de l’eau se déroulera à l’échelle interne ou régionale. Des perspectives sombres pour le fonctionnement des centrales thermiques, dont le refroidissement dépend d’importants volumes d’eau à une température maximale donnée, pourrait également être affecté à la fois par la baisse des débits d’étiage et par la hausse des températures (ce qui aura une incidence sur la température des cours d’eau). De même, ils disent craindre les perspectives de croissance de l’usage des hydrocarbures (électricité, chaleur) dans la région qui pourraient être limitées, au moins de manière saisonnière ou plus ponctuelle, par les conditions climatiques. Au regard de l’accroissement démographique en Afrique de l’Est et au Congo, l’usage quasi généralisé de la biomasse pour l’énergie accentuera la déforestation (particulièrement en Ouganda, au Kenya, au Burundi…).