L’Afrique dans son ensemble est en train de devenir le continent de la classe moyenne, observent des spécialistes économiques. Effet d’époque ou nécessité économique, les classes moyennes vont-elles vraiment changer la face de l’Afrique ?
Le gouvernement a opté pour l’émergence d’une classe moyenne au Congo. Celle-ci passe par la promotion des petites et moyennes entreprises (PME). C’est dans cette optique que le ministère des Petites et moyennes entreprises a organisé à Kinshasa, du 18 au 21 novembre, un atelier national sur l’avenir de cette catégorie d’unités de production. Les participants à l’atelier se sont penchés sur l’épineux problème d’accès des PME aux crédits à des taux d’intérêt raisonnables, notamment entre 2 et 3 % l’an. Pour le ministre des PME, Pancras Bohongo, la classe moyenne que le gouvernement veut voir émerger ne doit pas seulement se développer dans le secteur bancaire, mais s’étendre à tous les secteurs de la vie nationale. De manière à permettre aux Congolais de vivre avec au moins 5 dollars par jour. « Sans l’appui aux PME, la classe moyenne ne peut pas se relancer dans notre pays. Cette classe moyenne existe, mais elle n’est pas structurée ».
Attirer les investisseurs
D’après lui, le développement du Congo passera essentiellement par celui des PME. La croissance qui s’installe dans le pays est captée par les PME étrangères au détriment des nationaux. « Pour que la croissance soit soutenue, elle doit être inclusive et captée par les PME », d’après Pancras Bohongo. Le gouvernement a prévu dans le projet de budget 2016 une ligne d’appui aux PME. L’émergence des classes moyennes attirera les investisseurs étrangers et favorisera, à terme, des changements politiques sur le continent africain, soutiennent les défenseurs de la classe moyenne. L’économiste Pascal Malamba wa Ntumba est de ceux-là. Il souligne que l’Afrique est en pleine mutation. « Presque partout, une urbanisation soutenue, une forte croissance démographique et des politiques économiques solides contribuent au développement d’une classe moyenne autochtone ». Comme lui, la plupart des économistes font remarquer que cette tendance intéresse clairement les entreprises multinationales qui espèrent accéder à un nouveau marché en pleine croissance.
« Par ailleurs, l’amélioration de la situation économique, en changeant les préférences des consommateurs, ainsi que l’émergence d’une classe moyenne pourraient consolider la démocratie dans la région, même si c’est de façon inégale sur le continent », insiste Pascal Malamba. Et de poursuivre : « Autrefois, quand des économistes évoquaient l’Afrique subsaharienne, ils ne s’intéressaient qu’à un seul et unique pays: l’Afrique du Sud. Il y a dix ans, c’était le pays le plus riche, pourvu des institutions les plus solides et du marché boursier le plus développé. Mais, au final, tout se résumait à ceci: l’Afrique du Sud possédait ce qui manquait à tous les autres pays subsahariens du continent: une classe moyenne conséquente ».
État des lieux au Congo
Quid de la situation du Congo ? Malamba répond : « Au Congo, par exemple, les activités économiques ont toujours été contrôlées, dans une large majorité, par les entrepreneurs étrangers (Européens, Asiatiques, etc.). La classe moyenne nationale est quasiment inexistante ». Dans ce domaine, le gouvernement se fixe pour objectif d’assurer l’émergence d’une classe moyenne d’opérateurs économiques congolais et de protéger l’exercice du petit commerce. Pour atteindre cet objectif, il est prévu de réformer et actualiser le cadre juridique relatif à l’exercice des activités économiques au Congo, interdire l’exercice du petit commerce et des petites activités aux étrangers, faciliter l’accès au crédit des PME et PMI, voire mettre en place un Fonds de garantie au bénéfice de celles-ci.
« Une décennie de croissance économique soutenue (en moyenne entre 4% et 7% par an en Afrique subsaharienne) se traduit par une augmentation du produit intérieur brut (PIB) par habitant et par celle des revenus discrétionnaires qui contribuent au développement d’une classe moyenne. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoyait une croissance de 5,5% en 2011 et de presque 6% en 2012 pour la région Afrique subsaharienne, mais les prévisions actuelles revoient cette croissance à la baisse, autour de 4% », fait remarquer Pascal Malamba.
Le seuil à atteindre par tous
En 2015, le PIB moyen par habitant dépassera les 2 000 dollars dans 22 pays subsahariens, toujours selon le FMI. «Ce niveau est un seuil important car il représente le point auquel les gens commencent à vouloir des biens de consommation en plus de ce dont ils ont besoin pour satisfaire leurs besoins élémentaires. L’émergence d’une classe moyenne a d’importantes implications politiques. Elle porte en elle le potentiel pour transformer les gouvernements, encourager une plus grande responsabilité et pousser aux réformes», explique un autre économiste congolais, Rigobert Makengo Luyeye. «Dans la plupart des cas, la pression de la classe moyenne est peu susceptible de provoquer la réforme politique radicale de gouvernements autocratiques à court terme. Elle peut cependant déboucher sur un climat commercial plus accueillant, sur un meilleur accès au crédit et des services mieux assurés », pose-t-il. Et d’ajouter : « Les citoyens des classes moyennes, surtout les entrepreneurs qui ont un intérêt dans la réforme économique, sont les plus susceptibles de rejeter les monopoles d’État suceurs de revenus, la paperasserie excessive et la captation de l’industrie par l’élite».
Les pauvres sont trop occupés à simplement survivre et les riches ont souvent un intérêt dans le statu quo. Il arrive que certains groupes de classes moyennes soutiennent des politiques protectionnistes ou l’obstruction syndicale à des réformes nécessaires (comme dans le cas des syndicats du secteur public sud-africain), mais cela arrive aussi dans les économies les plus développées du monde, note, pour sa part, Emmanuel Lumingu Luyeye, sociologue. En général, dit-il, les intérêts de la classe moyenne galvanisent les réformes économiques et politiques bien plus efficacement que la pression exercée par d’autres pays, des donateurs et des institutions multinationales. Selon lui, une classe moyenne forte jouit aussi d’autres bénéfices politiques. Au mieux, elle motive la société civile et dans certains cas joue un rôle de contrôle du pouvoir exécutif, constituant un groupe d’intérêts qui pousse à la modération à des moments de stress politique intense.
« Avec le temps, une classe moyenne qui acquiert de l’importance, a de plus grandes chances de refouler la politique autocratique et corrompue qui caractérise la plus grande partie de l’Afrique depuis l’indépendance », pense Lumingu Luyeye. Selon un rapport de la Banque africaine de développement (BAD), plus d’un tiers de la population africaine (soit 313 millions de personnes) fait aujourd’hui partie de la classe moyenne. « La classe moyenne émergente d’Afrique est à peu près équivalente à celle de l’Inde ou de la Chine », souligne-t-on dans ce rapport. Cela compte – même beaucoup – comme l’exprime crûment ce rapport: « La classe moyenne est largement envisagée comme l’avenir de l’Afrique, le groupe crucial pour le développement économique et politique du continent ».
L’Afrique est un réservoir des consommateurs
Pour les entreprises qui cherchent à investir, les possibilités y sont dorénavant très intéressantes – l’Afrique est un réservoir de consommateurs, pas seulement une mine bien garnie de ressources naturelles. La demande de services y est très élevée et la nouvelle classe moyenne adopte rapidement nombre de luxes de la vie moderne. La recherche de la BAD se poursuit sur l’analyse de la corrélation entre classe moyenne et une foule de choses positives: un niveau supérieur d’éducation, un meilleur accès à Internet, une meilleure infrastructure et même une réduction de la taille moyenne des familles. Ce phénomène est un serpent qui se mord la queue: le rapport attribue l’augmentation des classes moyennes à la création de nouvelles entreprises privées destinées à servir, vous l’aurez compris, la classe moyenne. Mais les bénéfices de l’existence d’une classe moyenne ne se limitent pas au domaine de l’économie. Elle peut également s’avérer un important facteur de développement politique, explique pour sa part un autre économiste, Martin Kashala Mbengu. Il fait remarquer que ce n’est peut-être pas un hasard si les habitants de deux des pays comptant le pourcentage le plus élevé de citoyens appartenant aux classes moyennes – la Tunisie (89,5 %) et l’Égypte (79,7 %) – se sont rebellés contre les régimes corrompus. « La jeune génération d’hommes d’affaires, d’intellectuels et de dirigeants africains ne s’accommode plus de la marche du monde; ils ont bien trop de pain sur la planche. Le plus prometteur dans tous ces chiffres, cependant, est ce qu’ils nous disent la réalité de la future croissance de cette classe sociale », poursuit-il. La société est divisée en classe moyenne supérieure, classe moyenne inférieure et une nouvelle catégorie appelée « classe moyenne flottante ». Ce dernier groupe vient à peine de s’extraire de la pauvreté, et sa consommation quotidienne varie entre 2 et 4 dollars par jour. La classe moyenne flottante est aussi le sous-groupe qui a crû le plus vite ces dernières années, passant d’à peine plus de 10 % de la population en 1980 à plus de 20 % aujourd’hui. « Il faut voir ces chiffres comme un moyen de mesurer un potentiel futur: cette tranche de la société est appelée à juste titre la classe moyenne émergente car toute l’étendue de sa puissance de consommation et de son dynamisme économique ne s’est pas encore complètement révélée », poursuit l’économiste.