LE RAPPORT 2019 du Fonds mondial pour la nature (WWF) donne à débat sur les origines de la pollution plastique, en se penchant notamment sur les défaillances dans la gestion des déchets plastiques. Mais avant même d’évoquer ces problèmes d’infrastructures, l’ONG internationale pointe d’abord le prix trop faible aujourd’hui du plastique vierge, « ce qui pousse à déresponsabiliser les industriels du plastique », selon Ludovic Frère Escoffier, responsable Océans à WWF France.
Depuis l’an 2000, l’industrie du plastique a produit l’année dernière autant de plastique que toutes les années précédentes combinées.100 millions de tonnes de plastiques se transforment en polluant terrestre ou marin chaque année. Et rien ne semble étancher la soif des industriels pour cette matière, constate WWF dans son nouveau rapport intitulé « Pollution plastique : à qui la faute ? ». « La production de plastique vierge augmente de 4 % par an depuis le début des années 2000, commence le rapport. En 2016, dernière année pour laquelle des données sont disponibles, 396 millions de tonnes ont ainsi été produites. Cela équivaut à 53 kg de plastique pour chaque habitant de la planète », peut-on lire dans ce rapport.
Créer des projets jetables
La production mondiale de déchets plastiques pourrait augmenter de 41 % d’ici 2030. Si rien ne change, l’industrie du plastique devrait augmenter sa production pour approcher les 550 millions de tonnes par an. Avec toutes les conséquences que cela comporte sur la faune, la pollution des écosystèmes naturels, mais aussi les émissions de gaz à effet de serre [lorsque ces déchets sont incinérés], font remarquer les experts du WWF. Car, c’est tout le problème du plastique, ou du moins de la façon dont nous l’utilisons aujourd’hui, pointe WWF.
Près de la moitié est utilisée pour créer des produits jetables dont la durée de vie est inférieure à trois ans. Ce sont notamment les emballages qui représentent aujourd’hui 40 % de la production plastique. Autrement dit, une grande partie des près de 400 millions de tonnes de plastique produits actuellement chaque année deviennent rapidement des déchets, dont une partie encore, parce que mal gérée, se transformera encore en polluant terrestre ou marin. WWF évalue ces fuites de plastique dans la nature à 100 millions de tonnes par an, dont plus de neuf millions environ dans les océans. Au rythme actuel, la croissance de la consommation de plastique dépasse celle de la capacité de gestion des déchets. C’est l’un des pans du problème pour les experts du WWF, qui soulignent que ces déchets mal gérés sont la conséquence directe d’une infrastructure de gestion des déchets sous-développés. Le défi est majeur dans les pays à revenu faible et intermédiaire, qui connaissent des taux de collecte faibles et des taux élevés de déversement à ciel ouvert et de mise en décharge non contrôlée, pointe le rapport.
Mais les pays à revenus élevés sont loin de rendre une copie parfaite. Même si les taux de collecte y sont généralement supérieurs, certains problèmes subsistent, regrettent l’ONG, comme le faible taux de recyclage et la préférence pour la mise en décharge et l’incinération de déchets plastiques pour faire de la valorisation énergétique.
Renchérir le coût du plastique ?
Il faudrait donc améliorer les collectes de déchets et augmenter la capacité globale des infrastructures de gestion des déchets. C’est l’une des huit actions que le WWF demande à tous les gouvernements de mettre en œuvre. Mais l’ONG déplore avant tout, dans ce rapport, le fait que le plastique n’est pas un produit suffisamment cher aujourd’hui. Son prix actuel ne prend pas en compte le coût de la collecte et du recyclage si bien qu’il est mis sur le marché sans aucune responsabilisation de ces fabricants de matières plastiques. Lorsqu’il fabrique des produits plastiques, un industriel a bien souvent tout intérêt aujourd’hui à utiliser de la matière vierge plutôt qu’à se tourner vers de la matière recyclée, constatent les mêmes experts.
Certains pays ont mis en place des dispositifs de « responsabilité élargie des producteurs », qui obligent les entreprises qui produisent et/ou mettent sur le marché des biens. Cela se traduit par une participation financière des entreprises à financer et/ou à participer à la collecte et au traitement des déchets que génèrent les produits qu’elles mettent sur le marché. Mais ces systèmes sont à ce jour complètement insuffisants.
Matières recyclées ou alternatives
Une autre demande forte du WWF, cette fois-ci autant à destination des États qu’aux industriels du plastique, est que soit engagée véritablement une chasse aux plastiques excessifs. En décembre 2018, par exemple, les États membres de l’Union européenne (UE) et le Parlement européen se sont mis d’accord pour interdire à l’avenir de nombreux produits en plastique à usage unique. Il s’agit de cotons-tiges, pailles, touillettes à café… Un texte doit être voté cette année pour une entrée en vigueur en 2021. Il reste à s’occuper des emballages. Certains sont utiles en effet, mais un grand nombre est aussi superflu.
Le Fonds mondial pour la nature demande aussi aux industriels et aux entreprises impliqués dans la production et la vente de produits plastiques de s’engager à utiliser des matières plastiques recyclées ou des alternatives durables au plastique et à investir dans ces dernières. Parmi ces préconisations – une vingtaine en tout dans son rapport – l’ONG en appelle aussi au grand public, lui demandant notamment de réduire sa consommation de plastique inutile mais aussi d’utiliser son pouvoir de consommateur, en récompensant par ses achats les entreprises les plus vertueuses. Qu’il s’agisse d’un sac-poubelle, de la moquette, d’un isolant de câbles électriques ou encore des vêtements polaires, tous sont conçus à partir de plastique. WWF s’inquiète de cette dépendance au plastique qui « pollue la nature, met en danger la vie sauvage, entre dans la nourriture que nous mangeons et l’air que nous respirons ». Le pire est que rien n’est fait pour mettre un terme à cette addiction.
Par exemple, l’ONG estime « qu’au moins un millier de tortues marines meurent chaque année des suites de l’enchevêtrement dans des déchets plastiques ». Et pas moins de 240 espèces animales ont déjà ingéré du plastique, ce qui peut entraîner « des brûlures internes, des occlusions digestives et la mort ». En disséquant de minuscules crevettes évoluant au fond d’une fosse du Pacifique, des scientifiques britanniques ont extrait des résidus de nylon, de polyéthylène, de PVC et de soie synthétique. « Les microparticules de plastique sont partout », déplore Alan Jamieson, expert en écologie marine. « À cause des défaillances systémiques de la filière plastique, il est moins coûteux de rejeter du plastique dans la nature que de le gérer efficacement jusqu’à la fin de sa vie », souligne le rapport de l’ONG.