Le débat se corse sur l’annulation des dettes africaines

Après le FMI qui a accordé un allègement immédiat de la dette des 25 pays pauvres dont 19 africains, Pékin a annoncé son intention de geler temporairement les paiements de la dette des pays africains dans le cadre d’un accord entre les principales économies du G20.

LA Chine est connue pour être l’un des principaux bailleurs de fonds du continent africain. Les chiffres parlent : la dette africaine envers la Chine est passée de 28 % en 2005 à environ 46 % du total en moyenne, en 2017, faisant de la Chine le détenteur de 14 % du stock de la dette de l’Afrique subsaharienne, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED). En dix ans, la dette publique africaine a doublé pour atteindre aujourd’hui 365 milliards de dollars, dont 145 sont dus à la Chine.

La Chine est réputée pour les conditions « très avantageuses » de ses prêts, avec des taux d’intérêts de 0 %, contre 2 à 3% comparés aux prêts concessionnels pays occidentaux. Cependant, cette générosité de Pékin fait l’objet de critiques classiques de Washington, qui dénonce régulièrement la diplomatie du chèque, et des institutions de Bretton Woods qui évoquent à demi-mots un « piège de la dette ». 

« Repas gratuit »

Par exemple, Christine Lagarde, la gouverneure de la Banque centrale européenne (BCE), avertissait : « Il ne faudrait pas que les pays africains aient l’impression de repas gratuit, plaidant pour des investissements plus collectifs et une gestion plus attentive. » D’après elle, « la dette est un excellent outil pour financer le développement des pays africains à condition qu’elle ne fragilise pas le budget des États ». En effet, depuis plusieurs années, la dette commerciale (dette privée) africaine est en train de se développer au détriment de la dette publique.

Après donc le Fonds monétaire international (FMI), après la Chine, les Africains restent profondément divisés sur la question de l’annulation de la dette des pays en développement, depuis le déclenchement de la crise sanitaire de Covid-19. 

La République démocratique du Congo fait partie de 25 pays bénéficiaires de l’allègement immédiat de la dette par le FMI. Les 20 millions de dollars au titre d’allègement accordé représentent moins de 1 % de la dette extérieure du pays. Fin 2019, la dette publique de la RDC était évaluée à 3.1 milliards de dollars, dont 3,081 milliards de dette extérieure et 89 millions de dette intérieure

Selon Augustin Matata Ponyo, ancien 1ER Ministre, le pays paye en moyenne mensuelle 20 à 25 millions de dollars dans le cadre du service de la dette extérieure. Et depuis 2018 aucun paiement n’a été fait dans le cadre de la dette intérieure. D’après Augustin Matata, l’annulation de la dette va soulager le budget de l’État. Ces fonds peuvent servir à renforcer certains secteurs : santé, éducation, infrastructures… 

Moratoire ou annulation ?

Pour l’économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé, la pandémie du coronavirus va avoir de graves conséquences économiques et sociales pour le monde, comparables à celles de la Grande Dépression des années 1930. En effet, selon le FMI, l’économie mondiale connaîtra une récession cette année, avec la baisse de 3 % de la croissance mondiale. En outre, elle perdrait quelque 9 000 milliards de dollars en 2020 et 2021. D’autres sources indiquent que cette perte pourrait avoisiner les 12 000 milliards de dollars ! De son côté, l’Organisation internationale du travail (OIT) prévoit des pertes d’emplois de 25 millions à travers le monde en 2020.

L’industrie aéronautique est frappée de plein fouet, avec la quasi-totalité des flottes clouées au sol depuis plusieurs semaines. Les projections indiquent qu’elle va subir des pertes de plus de 250 milliards de dollars. Un chiffre qui sera sans doute révisé à la hausse. Quant à l’industrie touristique, elle est également quasiment à l’arrêt, partout dans le monde.

Le commerce mondial va naturellement pâtir de ce marasme général, comme le souligne l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui prévoit une contraction sans précédent des flux commerciaux, allant de 13 à 32 %. Pour ajouter à ce tableau déjà très sombre, l’ONG Oxfam prévoit que quelque 500 millions de personnes – un demi-milliard de personnes – risquent de tomber dans la pauvreté !

C’est dans ce contexte général que des scénarios-catastrophes sont annoncés pour l’Afrique. D’après Demba Moussa Dembélé, étant donné la nature extravertie de la plupart des économies africaines, surtout leur grande dépendance à l’égard d’exportations de matières premières, il est alors aisé de comprendre l’ampleur des conséquences économiques et sociales de la pandémie pour l’Afrique. Tous les rapports faits par les institutions africaines et internationales prévoient une récession qui pourrait plus importante que celle de l’économie mondiale et des pertes considérables des revenus. Le FMI projette une récession, avec un recul du taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) de 1,6 %. Les projections de la Banque mondiale sont encore plus pessimistes, puisqu’elle prévoit un recul du PIB du continent compris entre 2,1 et 5,1 % en 2020.

Quant à la Commission économique des Nations-Unies pour l’Afrique (CEA), ses projections oscillent entre un taux de croissance positif de 1,8 % et un recul du PIB pouvant aller jusqu’à 2,6 %. Dans le même temps, elle projette des pertes de recettes d’exportations d’au moins 100 milliards de dollars. Toutefois, le Secrétaire général de la Conférence des Nations-Unies pour le commerce et le développement (CNUCED), le Dr. Mukhisa Kituyi, du Kenya, estime que les pertes de recettes d’exportations pour l’Afrique pourraient atteindre 500 milliards de dollars.

L’économiste sénégalais souligne que ces pertes seront aggravées par le recul des investissements directs étrangers, la fuite des capitaux et la baisse des envois des migrants africains. En ce qui concerne ces transferts, pour certains pays, comme le Sénégal, ils représentent plus de 10 % du PIB. À la lumière de ces projections, on mesure l’ampleur des défis du continent africain pour combattre la pandémie et relancer ses économies. Pour faire face à cette situation explosive, l’Afrique comptait en grande partie sur « l’aide » de la « communauté internationale », surtout sur le G20 et les institutions financières multilatérales. 

En réponse, voilà que « l’aide » du G20 se résume à un « moratoire » de… six mois sur le service de la dette africaine, en lieu et place d’un moratoire plus long, comme l’avaient demandé les envoyés spéciaux de l’Union africaine, voire d’une annulation de la dette publique, comme proposée par le président sénégalais et le Premier ministre éthiopien, demande appuyée notamment par le Pape François.

Demba Moussa Dembélé est d’avis que le moratoire n’est pas la réponse appropriée. Selon le communiqué des ministres des Finances et des gouverneurs des Banques centrales du G20, le moratoire de six mois, serait éventuellement reconduit pour six mois supplémentaires. Mais l’on peut se demander si le moratoire du G20 n’est pas le résultat de la position trop modérée de l’Union africaine. 

En effet, les quatre envoyés spéciaux choisis par le président Cyril Ramaphosa avaient co-signé une tribune le 11 avril, avec d’autres personnalités, pour demander un « allégement » de la dette de l’Afrique, sous la forme d’un moratoire du service de la dette pour deux ans. Pas une seule fois, le mot annulation n’a figuré dans leur texte. Et la feuille de route qui leur a été assignée par le président sud-africain reprend à peu près les mêmes termes et ne fait aucune allusion à l’annulation de la dette. Apparemment, Ramaphosa et ses envoyés spéciaux se sont contentés de reprendre, à quelques détails près, l’appel lancé par la Banque mondiale et le FMI, quelques jours auparavant.