MARDI 2 juin, Éric Ngalula Ilunga, l’élu UDPS du territoire de Lupatapata dans la province du Kasaï-Oriental, dépose au bureau de l’Assemblée nationale une question écrite adressée à Pascal Nyembo, le directeur général du Centre d’expertise, d’évaluation et de certification des substances minérales, précieuses et semi-précieuses (CEEC). Il veut obtenir des « éclaircissements » sur la vente publique des diamants produits par la Société Anhuit-Congo d’investissement minier (SACIM Sarl) en novembre 2019 ainsi qu’en janvier et mars 2020.
Éric Ngalula Ilunga écrit ceci : « Par voie de presse, j’ai appris qu’aux mois de novembre 2019, janvier et mars 2020, vous avez supervisé et/ou accompagné la vente publique de milliers de carats de diamants bruts de la SACIM Sarl. Ces transactions ont été faites en exécution d’un protocole d’accord de coopération de septembre 2019 entre la République démocratique du Congo et le Royaume de Belgique. Puis-je avoir en réponse à la présente une copie du susdit protocole d’accord ? Quelle est la nature des rapports qui existent entre la SACIM Sarl et la Bourse anversoise ? Si les rapports sont contractuels, puis-je avoir la communication de la convention signée à cet effet ? Quels sont les produits miniers marchands de la SACIM Sarl ? Quels sont les résultats obtenus de la vente publique de novembre 2019 et janvier et mars 2020 de produits miniers marchands de la SACIM Sarl ? Accepteriez-vous de me transmettre les procès-verbaux établis à l’occasion? » Selon le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, le directeur général de la CEEC a dix jours pour répondre après la réception de la correspondance.
La bulle du député
Depuis le mois de février dernier, la SACIM Sarl est dans le viseur du député Ngalula. Au mois d’avril, il demande à Jeannine Mabunda Lieko, la présidente de l’Assemblée nationale, que soit mise en place une commission d’enquête parlementaire pour plonger dans les casseroles de la SACIM Sarl qui exploite le diamant à Tshibwe dans la province du Kasaï-Oriental. L’élu de Lupatapata soupçonne la « fraude fiscale » et le non-respect des droits humains.
En outre, constate Éric Ngalula, après 7 ans d’activités dans la province, rien n’a été fait en faveur du développement communautaire (agro-industrie, bitume sur la route Tshibwe-Mbuji-Mayi, électricité à partir des centrales hydroélectriques de Movo et Tubitubidi, construction de l’immeuble du CEEC, etc.) dans le territoire de Miabi. « Cette société n’a construit aucune infrastructure scolaire, sanitaire ou routière au bénéfice de la population locale. Tout ce qui l’intéresse, c’est l’exploitation et l’exportation des diamants en ignorant les droits locaux comme le prévoit la législation congolaise en la matière… », fait remarquer à la présidente de l’Assemblée nationale le député Ngalula. Qui dénonce par ailleurs que la SACIM Sarl emploie les Chinois (320 travailleurs) « bien rémunérés » tandis que les nationaux (652 travailleurs) ne sont pas « bien traités ». Et de s’interroger sur « l’entêtement des responsables de cette entreprise ». En tout cas, Éric Ngalula y voit une « main noire ».
On s’en souvient, début avril, le député Ngalula avait saisi le procureur général près la Cour de cassation pour les mêmes motifs : fraude fiscale et maltraitance des travailleurs congolais par la SACIM Sarl. Et par la même occasion, il avait adressé une question écrite à Clément Kwete Nymi Bemuna, le ministre du Portefeuille, sur la gestion de cette entreprise.
Dans une interview accordée au mois de mai au média en ligne 7sur7.cd, Éric Ngalula a notamment souligné qu’en exécution de l’accord conclu le 13 mars 2013, l’État s’est associé à une société chinoise dénommée AFEEC pour l’exploitation de la mine de diamant de Tshibwe à 45 km à l’Ouest de Mbuji-Mayi dans le périmètre minier de la Minière de Bakwanga (MIBA). Pour rappel, l’exploitation de cette mine était confiée au début des années 2000 à la Sengamines, une joint-venture entre la MIBA et des particuliers de diverses nationalités. Et du partenariat fifty-fifty RDC-AFEEC est né la SACIM Sarl pour le développement de la mine avec une production mensuelle de plus de 500 000 carats. Par exemple, selon des sources recoupées, la SACIM Sarl a produit 392 000 carats de diamant en juin 2019, grâce à l’acquisition des 60 camions bennes basculantes, 20 pèles chargeuses et 6 laveries de grand gabarit. Selon ce partenariat, précise-t-il, le retour sur l’investissement chinois se fera par les diamants produits. « Malgré la bonne santé de l’entreprise, la SACIM et AFEEC peinent à remplir l’essentiel des obligations qui sont les leurs en exécution de l’accord et des lois de la République », fustige Éric Ngalula Ilunga.
Ce n’est pas tout : le député Éric Ngalula avait adressé une correspondance à Sylvestre Ilunga Ilunkamba, le 1ER Ministre pour « solliciter » l’évaluation du partenariat avec l’AFEEC et un audit sur la SACIM Sarl. D’après Éric Ngalula, la MIBA produisait entre 400 000 et 500 000 carats par mois au prix de 12 dollars le carat. Tandis que la SACIM Sarl produit plus ou moins 400 000 carats (70 000 carats au début de la production) vendus entre 22 et 25 dollars le carat. En RDC, l’exploitant minier peut vendre ses produits aux clients de son choix à des prix librement négociés. L’État via le ministère des Mines n’intervient que pour autoriser ou non les exportations des minerais à l’état brut.
Mauvais procès ?
La compagnie minière crie à l’acharnement. Elle proteste contre une « campagne d’intoxication et de dénigrement » du député Éric Ngalula à travers les médias. Biduaya Tshidibi, l’avocat conseil de la SACIM Sarl, fait remarquer : « La SACIM Sarl note une mauvaise foi doublée d’une intention de nuire dans le chef de l’Honorable à son égard… » Depuis 2015, SACIM Sarl a été exemptée de toute obligation fiscale et douanière (droits, redevances, taxes et impôts). Il s’agissait, en fait, des facilités au titre de partenariat stratégique sur la chaîne de valeur, conformément au décret n°03/049 du 6 octobre 2013 (exonération des droits de douane et suspension de la TVA à l’importation et sur les produits intermédiaires ou finis ainsi que sur les prestations des services produits par l’entreprise). Autre facilité : allègement des coûts de la rémunération de certaines prestations dans le cadre institutionnel conformément au décret susmentionné.
Dans le cas de la SACIM-Sarl comme dans d’autres dans le secteur minier, le constat est que les minings (multinationales) ne respectent pas ou peu les contrats miniers passés avec l’État. Un avocat d’affaires souligne que la plupart des investissements dans les mines congolaises sont « très controversés ». Il appelle les dirigeants du pays à un « sursaut éthique » et propose que la plupart des contrats miniers soient remis à plat pour plus de transparence. Surtout, insiste-t-il, les contrats qui suscitent souvent polémiques et controverses.
« L’investissement SACIM Sarl fait partie des contrats ou partenariats explosifs souvent critiqués par les ONG, qui dénoncent un non-respect des clauses par des multinationales en position de force », explique cet avocat. « Il est temps que l’on tire les leçons du désastre minier, environnemental et social de l’exploitation des ressources naturelles de la RDC », préconise-t-il. Pour un autre expert, les dirigeants du pays « ont intérêt à devenir responsables et éthiques, en faisant attention à ce que disent les ONG du secteur en particulier et la société civile en général. En scrutant les dénonciations des ONG, la législation nationale devrait insister sur le « devoir de vigilance », qui impose de nouvelles règles aux multinationales pour surveiller leurs activités. Les entreprises minières doivent être encouragées à contribuer de façon durable au développement du pays.