La surveillance des propriétés immobilières, des sociétés et la garde de personnes se développent de plus en plus. Mais quand on s’y penche, rien n’est simple. La principale caractéristique du secteur c’est que beaucoup d’opérateurs travaillent dans la plus grande illégalité. État des lieux.
L’époque où la sécurité des installations des entreprises était l’affaire du seul Corps de surveillance (CORSU) est bien révolue. La Société commerciale des ports et transports (SCPT), ex-ONATRA, et la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC) sont encore parmi les rares à utiliser leurs propres personnels pour le contrôle, la surveillance et le gardiennage. Aujourd’hui, les vigiles sont omniprésents dans tous les lieux publics (magasins, bureaux, restaurants…), ainsi que dans les propriétés privées. Beaucoup de jeunes désœuvrés ont pu, ainsi, trouver un gagne-pain. Il n’y a qu’à parcourir, par exemple, l’avenue du Commerce, à Kinshasa, pour se rendre compte que les magasins sans gardiens sont de plus en plus rares. En plus, les vigiles sont recrutés pour assurer le service d’ordre lors de certaines manifestations officielles comme les deuils ou les réceptions.
Tout semble régulier. En réalité, bon nombre d’entreprises de gardiennage et de sécurité fonctionnent dans l’illégalité la plus totale. Et elles sont inconnues à la Fédération des entreprises du Congo (FEC). Un responsable du bureau Fiscalité et commerce extérieur de la FEC affirme qu’à peine cinq entreprises du secteur sont enregistrées. Cela s’explique peut-être par le fait que la FEC exige de ceux qui veulent la rejoindre de ne rien devoir au fisc, d’être en règle avec l’administration, de payer régulièrement la cotisation patronale. Ils doivent par ailleurs être répertoriés au Registre de commerce et crédit immobilier, avoir une identification nationale… La plupart des sociétés de gardiennage et de surveillance ne pouvant remplir ces critères, préfèrent fonctionner de manière informelle. Les membres de la FEC qui sont en règle bénéficient de certains avantages : le certificat d’affiliation qu’on leur délivre après paiement des droits constitue un gage pour l’obtention d’un crédit bancaire ou d’un visa. En plus, la FEC, en tant que syndicat des patrons d’entreprises, garantit la défense des intérêts de ses affiliés.
Il y a des sociétés de sécurité et de gardiennage qui, tout en étant dans l’illégalité, n’hésitent pas à s’implanter à travers le pays en violation de la loi qui conditionne l’extension de leurs activités à l’obtention d’un permis d’exploitation et au paiement de la redevance annuelle. Cela a valu à certaines d’entre elles un rappel à l’ordre du ministère de l’Intérieur, en mars 2014. Pour éviter une anarchie qui était prévisible, un arrêté ministériel de mars 1998 exige pourtant la détention au préalable d’une autorisation de fonctionnement pour exercer.
La prolifération des entreprises est telle qu’il n’est plus facile de gagner un marché dans le secteur du gardiennage. Quelques-unes comme Magenya Protection, DSA, Groupe 4 Securicor (G4S), Escokin, New Protection, Securico, Kat Security SARL, Mamba, DDK semblent mieux résister que les autres. Celles auxquelles les grandes institutions s’adressent ne sont pas nombreuses. Les représentations diplomatiques et les organisations internationales sont très exigeantes dans le choix d’une société du secteur. C’est pourquoi l’ambassade des États-Unis, tout en préférant une société installée au Congo, exige qu’elle soit couverte par une assurance internationale. Le Centre culturel américain, par exemple, est gardé par des employés de G4S, un groupe belge leader dans la branche, avec un chiffre d’affaires évalué, en 2012, à 347 millions d’euros. Coté en bourse à Londres, notamment, il est présent dans plus de 120 pays du monde et emploie quelque 620 000 personnes, dont 5 700 en Belgique, et utilise plus de 900 véhicules. Les activités de G4S en République démocratique du Congo vont de la surveillance au gardiennage, en passant par la protection, l’intervention, ainsi que la sécurité des entreprises (institutions, industries) et même des particuliers. Les institutions internationales telles que les agences onusiennes ne lésinent pas sur les moyens lorsqu’elles doivent confier la surveillance de leurs sièges à des sociétés de gardiennage. Leurs critères sont la formation des gardiens, le matériel de travail et la renommée de l’entreprise. Contrairement à celles qui recrutent à tout-va, les sociétés qui ont pignon sur rue misent sur l’expérience, la présentation physique, la maîtrise de certaines langues…
Dans le monde du gardiennage et de la sécurité, quelques Congolais parviennent à tirer leur épingle du jeu grâce, surtout, à leurs carnets d’adresses. Mais, face à une concurrence plus que rude, ils ne font pas la fine bouche lorsqu’il s’agit de signer un contrat. Pour la surveillance et la protection d’ambassades, de banques et d’organisations internationales, il faut environ 300 dollars par gardien. Surveiller et protéger des hôtels, des bureaux, des magasins et des résidences ne coûte pas plus de 200 dollars. À en croire un gardien, seuls Congo Futur, Magenya Protection et Likonzi Protection sont, chez les Congolais, les seules entreprises à rémunérer à peu près correctement et de façon régulière leurs employés. Dans l’une de ces sociétés, un gardien touche 85 dollars au recrutement. En devenant chef de service ou superviseur, il sera payé entre 135 et 150 dollars. Tout cela de la main à la main : dans un très grand nombre d’entreprises congolaises ou étrangères établies au Congo, tous secteurs confondus, les employés travaillent au noir. La sécurité et le gardiennage n’y échappent pas.
Si certains gardiens qui surveillent des bureaux et immeubles au centre-ville ont des guérites où s’abriter contre les intempéries, tel n’est pas le cas des autres qui veillent dans des résidences ou des succursales de certaines banques et magasins à la cité. Telle est la situation de José Mangala, jeune gardien affecté à Kintambo Vélodrome pour la surveillance d’une résidence. « Lorsque la pluie s’annonce la nuit », explique-t-il, j’ai toujours été triste parce que c’est debout que je l’affronte, bien trempé.» Un de ses collègues poursuit: « Cela fait quatre mois que je ne suis pas payé. Père de deux enfants, je marche de Mbudi jusqu’ici.» Il est venu remplacer José Mangala, José Mangala qui vient de faire deux jours durant. Sans ration, ni moyen de transport, les agents de certaines entreprises broient du noir.