Depuis que le pays a renoué avec la croissance, le gouvernement cherche également à réinstaurer la primauté de la monnaie nationale sur les devises étrangères. Aux yeux de plusieurs économistes, la tâche n’est pas aisée et le processus risque d’être long.
Le franc va remplacer progressivement le dollar. C’est ce qu’a décidé la Banque centrale du Congo (BCC) depuis le 25 septembre. Selon le ministre du Budget, Daniel Mukoko Samba, l’objectif est d’inverser la courbe élevée de la dollarisation de l’économie nationale. « Malgré la baisse significative de l’inflation et l’inscription, dans la durée, de la stabilité du taux de change, le niveau de la dollarisation de l’économie demeure très élevé : 95 % », a-t-il reconnu devant les membres de l’Association congolaise des banques (ACB) et ceux de la Fédération des entreprises du Congo (FEC). Plusieurs responsables monétaires croient dur comme fer que le franc peut retrouver sa place dans l’économie nationale, y compris Jean-Claude Masangu, ancien gouverneur de la Banque centrale. « La situation qui obligeait le recours au dollar n’est plus de mise », avait-il déclaré, peu avant son départ de cette institution. Pourtant, certains économistes ne partagent pas ce point de vue. Face aux incertitudes politiques et économiques, les entrepreneurs et la population auront toujours tendance à se tourner vers le dollar, à en croire un économiste. Cette attitude est justifiée, selon lui, par la volonté de protéger leur pouvoir d’achat et de bénéficier de commodités et de la discrétion dans les transactions commerciales. De ce fait, décréter la dédollarisation sans augurer des lendemains politiques meilleurs ne séduirait pas grand monde, pense-t-il. La plupart des comptes en banque sont en dollar, soit 85%. Peu de Congolais épargne en monnaie locale. Leur demander de faire la reconversion de leurs épargnes ou de commencer à thésauriser en franc paraît une mission difficile. « Le gouvernement est allé trop vite en besogne ! On ne peut pas dédollariser l’économie du pays avec un décret. C’est un processus qui demande beaucoup de temps », indique Pico Mwepu Bilonda, spécialiste en économie du transport. D’après lui, le gouvernement devrait mener une étude approfondie avant de s’engager dans ce long processus. Car, dans la stabilité du cadre macroéconomique dont on parle aujourd’hui, cette devise étrangère a joué un grand rôle. Le gouvernement doit plutôt donner l’exemple en créant la confiance en la monnaie nationale.
Le chemin de la dépréciation du franc
Depuis la création du franc, son évaluation par rapport au dollar ne fait que se déprécier. Michel Nsomwe, ancien directeur à la Banque centrale du Congo et professeur de macroéconomie approfondie à l’Université de Kinshasa (UNIKIN) a, dans une réflexion, mis en cause la politique monétaire de la BCC. Il se demande pourquoi cette institution tarde, à ce jour, à organiser un marché monétaire, au sens propre du terme. Pour lui, l’émission monétaire repose sur deux principes : le contrôle quantitatif exclusivement orienté vers la répression de la demande et l’adaptation des valeurs faciales à l’évolution de l’inflation et du taux de change. Ainsi, lorsqu’à la BCC sur la pertinence de sa mesure de mise en circulation des billets à valeur faciale élevée, sa première réponse repose sur la commodité de transport et de la manipulation des billets de banque. « Aucune allusion aux économies d’échelle qui ont été la raison fondamentale du monopole d’émission accordé aux banques centrales. Aucune allusion à une quelconque version de la théorie de la demande de la monnaie pour jeter les bases crédibles d’un marché monétaire au cœur des enjeux économiques. Aucune allusion aux exigences de fonctionnement d’une économie d’endettement dont la RDC est un cas typique », insiste Michel Nsomwe. Il indique que le seul point de vue considéré par la BCC est le fantôme de l’inflation. Ce qui crée l’absence de la monnaie locale sur la quasi-totalité de l’espace national et des circuits économiques, qui sont tous dominés par le dollar ou d’autres monnaies. « Apparemment la mémoire trahit tous ceux qui se réjouissent du taux de change actuel. Il faut se rappeler que, entre la date de son lancement, le 30 juin 1998, et ce jour, le taux de change est passé de 1 dollar pour 1,3 franc à 1 dollar pour 935 francs, soit une dépréciation de 71 823,07 % », a-t-il fait savoir.
Noël Tshiani, fonctionnaire à la Banque mondiale, surenchérit : « le montant du franc qui équivalait à 100 mille dollars en 1998, ne vaut plus, en novembre 2013, que 53 centièmes d’un seul dollar. » La reconversion du franc, l’unique monnaie des affaires, ressemble à un long chemin parsemé d’embûches.