Le gouvernement débouté sur l’affaire de l’exploitation du gaz du lac Kivu

Le verdict de la Cour suprême de justice est tombé : suspension de la décision ministérielle d’adjudication du marché jusqu’à l’intervention de la sentence définitive sur la requête en annulation. 

 

Coup de théâtre. L’État congolais a perdu le procès sur le litige de l’attribution du marché d’exploitation du gaz du lac Kivu. La décision de justice a été rendue publique, en août, par le greffe administratif de la Cour suprême de justice (CSJ). Contrairement à l’information parue précédemment dans nos colonnes sur l’attribution de ce marché, le 2 juin, au consortium Engineering Procurement &Project Management (EPPM) SA/Swede Energy DRC/Transcentury par le ministre des Hydrocarbures, Aimé Ngoy Mukena, le président de la Cour suprême de justice, Charles Théodore Tuka Ika Bazungula, siégeant comme juge des référés, a, en effet, ordonné la suspension de cette décision « jusqu’à l’intervention de la décision définitive sur la requête en annulation ».

Enregistré sous le n° RA 1553, le dossier RDC et consorts Vs Kivu Lake Energy Corporation (KLEC) est encore loin de connaître son épilogue. Entre-temps, le Rwanda voisin est déjà en pleine production du courant (26 MW) à partir du gaz tiré du lac Kivu depuis mai 2016. Par sa requête déposée le 18 juillet au greffe de la Cour suprême de justice, la société KLEC a sollicité en référé-suspension la décision n°001/PPP/MGAZ/CGPMP/MIN-HYDRO/2017 du 2 juin portant attribution provisoire du marché relatif au recrutement d’une société pour l’exploitation du gaz méthane du lac Kivu en vue de la production de l’électricité et tout acte ou contrat pouvant en résulter au consortium EPPM-SWEDE.

Alexis Thambwe et Jérôme Kitoko

Selon l’ordonnance de la Cour suprême de justice dont un vent favorable a fait atterrir une copie sur la rédaction de Business et Finances, le juge des référés, Charles Théodore Tuka Ika Bazungula, a ordonné la suspension de l’exécution de la première attribution du marché dont question au même consortium par le même ministre, le 2 décembre 2016. Plus d’un mois après, Ngoy Mukena s’en est plaint, dans sa lettre n°M-HYD/ANM/644/CAB/MIN/2017, du 19 avril, adressée au ministre d’État en charge de la Justice, Alexis Thambwe Mwamba, en réservant copie au 1ER président de la Cour suprême de justice, Jérôme Kitoko Kimpele. Ce dernier a réagi à travers sa correspondance référencée 491/D7/PP/CSJ/LMND/2017 datée du 27 avril adressée au ministre des Hydrocarbures, dans laquelle il souligne : « Je vous rappelle que le juge des référés en matière de référé précontractuel des marchés publics statue en premier et dernier ressorts ».  À son collègue de la Justice, Ngoy Mukena a également fait observé ceci : « nonobstant la possibilité qu’offrent les dispositions de l’article 281 de la loi n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, de faire modifier cette ordonnance qui n’a pas prévu la durée de suspension du marché, en violation de l’article 282, j’ai décidé de réévaluer à nouveau les offres financières des candidats pour clore ce dossier, sauf avis contraire de votre part ». Ainsi, par sa lettre n° M-HYD/ANM/867/CAB/MIN/2017 du 2 juin, Ngoy Mukena a notifié à la société KLEC le résultat d’appel d’offres après réévaluation des offres financières. Une fois encore, KLEC vient en deuxième position avec 79,6 %, après le consortium EPPM-SWEDE avec 80,77 %.

Le 7 juin, la société KLEC a introduit une réclamation auprès de l’autorité contractante tout en demandant, lit-on dans l’ordonnance de la Cour suprême de justice, les vraies motivations du rejet de son offre. « Aucune suite n’ayant été réservée à cette réclamation, [KLEC] a introduit, en date du 14 juin 2017, un recours devant le comité de règlement des différends de l’Autorité de régulation des marchés publics. (…) Ce comité n’a pas examiné le recours dans le délai lui imparti », indique le président de la Cour suprême de justice dans son ordonnance. Et de poursuivre : « Ainsi, la demanderesse (KLEC) a introduit une requête en annulation, au principal, et une requête en référé-suspension, subsidiairement, devant cette Cour ». Aussitôt, les parties défenderesses composées du 1ER Ministre, Bruno Aubert Tshibala Nzenzhe ; de son ministre des Hydrocarbures, Aimé Ngoy Mukena ; et de l’État congolais, se sont levés contre cette requête à laquelle ils ont opposé cinq moyens pour que la Cour suprême de justice la déclare irrecevable.

Tous les moyens de Tshibala et consorts rejetés

Ces moyens jugés « recevables » quant à la forme ont été cependant déclarés « non fondés » par la Cour suprême de justice. Il s’agit d’abord de « l’irrecevabilité de la notification de la date d’audience en ce que l’heure de l’audience n’a pas été précisée ». Pour la Cour suprême de justice, ce moyen n’est pas fondé pour « absence de préjudice dans le chef des défendeurs ». En matière de référé-suspension, les parties sont, en effet, convoquées sans délai et par tous les moyens d’audience et qu’en l’espèce, les défendeurs ont tous été présents à l’ouverture de l’audience. Le second moyen de Bruno Tshibala et consorts a porté sur « la contestation » du président de céans au motif que le 1ER président de la Cour suprême de justice ne l’aurait pas désigné comme juge des référés ».

Faux, rétorque la  CSJ qui oppose l’article 279 de la loi organique n°16/027 du 15 octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif. Il dispose que « pour des litiges relevant de la compétence du Conseil d’État, le président de la section du contentieux est juge des référés ainsi que les conseillers qu’il désigne à cet effet ». Et l’ordonnance de la CSJ poursuit : « Nul ne peut être désigné, sur délégation, juge des référés, s’il n’a pas le grade de président ou en cas d’absence ou d’empêchement de celui-ci, de conseiller ayant au moins trois ans d’ancienneté dans le grade ». Or, le magistrat contesté est président de la CSJ et a été désigné pour officier comme juge des référés par ordonnance du 19 juillet du 1ER président de la Cour suprême de justice. Le moyen d’incompétence de la CSJ en ce que le marché des hydrocarbures serait une matière spéciale de la compétence de la juridiction arbitrale, soulevée par Tshibala et consorts a également été rejeté. La CSJ se fondant sur l’article 182 de la loi organique n°15/012 du 1er août portant régime général des hydrocarbures régissant les relations entre l’État et le contractant. La cour a notamment balayé d’un revers de la main le moyen selon lequel « l’inexistence de la décision attaquée au motif que la requête parle tantôt de la suspension de l’attribution provisoire, tantôt de celle de l’attribution définitive qui n’est pas encore intervenue ». De l’avis de la CSJ, la suspension sollicitée est bel et bien ordonnée et emporterait tous autres documents qui en seraient le résultat.

Le cinquième et dernier moyen de la partie composée de 1ER Ministre, ministre des Hydrocarbures et RDC a porté sur l’introduction de la requête en référé-suspension au lieu de la requête en référé précontractuel.

Le silence du 1ER Ministre

Il a été rejeté par la cour au motif qu’il ne s’agit pas de sanctionner le non-respect des règles de transparence, de publicité et de mise en concurrence à l’occasion de la passation des marchés publics, mais plutôt de suspendre une décision administrative qui relève bel et bien du référé-suspension.  Quant au fond, la société KLEC a allégué que le ministre des Hydrocarbures a violé sciemment et la constitution et la loi sur les marchés publics en décidant d’ignorer les injonctions de la Cour suprême de justice. Et qu’il a favorisé délibérément le soumissionnaire ayant présenté l’offre la moins avantageuse pour la population. La partie défenderesse a soutenu, par contre, qu’elle n’a fait qu’appliquer le principe de l’offre économique la plus avantageuse en fonction du prix proposé, du délai d’exécution, du coût de fonctionnement des matériels ou infrastructures proposées, du service après-vente, des conditions et du calendrier de paiement, de la garantie de la durée de vie et de l’impact environnemental. En réaction, KLEC a mis en exergue le rôle joué par le 1ER Ministre dans ce dossier dont l’approbation est une condition sine qua non en vue d’une attribution définitive.

Selon la loi régissant les marchés publics en RDC, Bruno Aubert Tshibala disposait, en effet, de 10 jours pour donner son approbation. Dépassé ce délai, son silence vaut acceptation. Ainsi pour KLEC, l’autorité contractante pourrait même avoir déjà signé le contrat d’exploitation du gaz méthane du lac Kivu en vue de la production de l’électricité avec le consortium EPPM-SWEDE. De l’avis de la Cour suprême de justice, le ministre des Hydrocarbures n’a pas respecté ses injonctions contenues dans son ordonnance du 15 mars. Par conséquent, c’est le retour à la case du départ.