La digue a sauté. Le gouvernement, quoique prévenu, n’a pas vu venir la récente crise financière née de la baisse des cours des matières premières. Gouverner, c’est prévoir, dit-on, mais pourquoi l’État peine-t-il à mobiliser davantage de recettes nationales pour faire face aux défis de développement social et économique ? Il est que temps que le gouvernement se sorte de ce cercle vicieux pour entrer dans un autre, celui-là vertueux. Telle est la recommandation que bien des experts lui font en matière de politique budgétaire. Dans ce domaine, la situation de la République démocratique du Congo est une photographie instantanée qui se résume à ceci : l’État ne se donne pas les moyens financiers qu’il faut, pour mener à bien ses fonctions de souveraineté et sa mission de développement économique et social.
Les seuils tolérables
En d’autres termes, les recettes mobilisées actuellement sont en dessous du potentiel du pays, notamment les recettes en provenance du secteur des ressources naturelles. Il y a là un réel problème auquel l’État ne parvient pas ou ne veut pas donner solution. Avant la crise financière internationale actuelle, la RDC a exporté, entre 2010 et 2015, de plus en plus des matières premières de l’ordre de 10 milliards de dollars par mois, voire plus. Cependant, au vu de sa balance des paiements, elle ne fait que rémunérer les investissements directs étrangers (IDE), à hauteur de 3 milliards de dollars. Par ailleurs, les réserves en devises qui ont atteint 1,5 milliard de dollars (soit 5 semaines d’importation), début 2016, sont en lente régression (autour de 800 millions actuellement, soit moins de trois semaines d’importation). Les recettes nationales, quant à elles, arrivent à 13,5 % du Produit intérieur brut (PIB), soit 2 points de moins que la moyenne des pays les moins développés (15 %). Elles sont également en dessous de la moyenne de l’Afrique subsaharienne (autour de 20 %). Or le potentiel de mobilisation supplémentaire serait de 10 points de pourcentage du
PIB, venant essentiellement du secteur des ressources naturelles.
La RDC occupe la 16è place en termes de potentiel de la rente due au secteur des ressources naturelles dans le PIB, mais elle est à la 104è position en termes de recettes totales au PIB. Ce paradoxe montre également qu’il y a un problème imputable à plusieurs facteurs. Parmi ces facteurs, les analystes citent, d’abord, le code minier qui a des « dispositions généreuses en matière d’amortissement accéléré ». Cela était lié peut-être au contexte de l’époque (2002), vu la situation du pays. Mais, quinze ans après, ce code mérite d’être revu, surtout en ce qui concerne les avantages fiscaux accordés dans le seul but d’attirer les investisseurs. Autour de nous, des pays comme la Tanzanie, la Guinée et le Burkina Faso ont déjà revisité les leurs.
Administration forte, davantage de recettes
Ensuite, ces analystes reprochent à la RDC sa tendance à vouloir compter plus sur les apports extérieurs pour financer le développement durable. Ce qui est aux antipodes de la Conférence d’Addis-Abeba qui recommande aux pays de compter avant tout sur les recettes nationales. Enfin, ils reprochent à la RDC de ne pas faire des choix clairs sur les ressources principales à mobiliser davantage. Dans tous les cas, il faudra mettre en place une administration capable de mobiliser davantage de ressources, pourvu qu’elle soit dotée de moyens financiers et humains conséquents. Avis d’expert : dans le cas de la RDC, cet équilibre est encore sous-optimal. Puisque les moyens et les recettes sont insuffisants, l’administration ne pourra fonctionnement convenablement et serait dans l’incapacité d’appliquer les législations censées amener à plus de recettes.
Cet équilibre pourrait lancer un cercle vertueux dans lequel un État plus efficace parvient à mobiliser plus de moyens afin de mettre en place les réformes et les politiques porteuses de progrès.
Or la politique budgétaire actuelle du gouvernement consiste à maintenir les dépenses publiques dans les limites de ses ressources domestiques et externes. La méthode consiste à plafonner les dépenses, à travers des plans d’engagement et de trésorerie trimestriels. Le gouvernement s’est aussi engagé à ne pas recourir au financement monétaire de tout déficit budgétaire éventuel. Mais cette politique de stabilisation budgétaire ne pouvait tenir longtemps, font remarquer les mêmes analystes. Et cette politique de stabilisation budgétaire à court terme ne peut pas aller de pair avec les objectifs du développement durable.
Avec 13,5 % du PIB des dépenses et 13,5 % du PIB des recettes, la marge de manœuvre pour dégager un espace budgétaire avec une meilleure gestion des dépenses est assez réduite. La conséquence est que les dépôts de l’État auprès du système bancaire ont diminué de 237,8 milliards de francs en 2015 (selon les données de la Banque centrale en 2016), équivalent à environ 0,8 % du PIB, ce qui suggère un déficit d’une magnitude équivalente. Les recettes intérieures de l’État ont augmenté de 3,1 %, bien en dessous des projections initiales (14,5 %) et en net ralentissement par rapport à 2014. Ainsi, les recettes de l’État, hormis les dons étrangers, n’ont pas dépassé 12,4 % du PIB, contre 13,3 % en 2014.
Ce ralentissement des recettes est en partie dû à la faible mobilisation des recettes pétrolières. En effet, les recettes pétrolières (essentiellement provenant des pétroliers producteurs) baissent depuis 2013 et ont décliné successivement de 1,4 % du PIB (2013) à 1,1 % (2014) et ont baissé de 48 % (2015). Au même moment, les recettes issues de la TVA qui constituent le quart des recettes intérieures mobilisées n’ont pas dépassé 3,5 % du PIB au cours des trois dernières années de sa mise en application. Les recettes issues de la TVA ont même régressé de 9 % en 2015 par rapport à 2014.
Cependant, et au-delà du choc conjoncturel, les recettes publiques, et surtout celles provenant du secteur minier, restent bien inférieures à leur potentiel. La mobilisation des recettes à moins de 14 % du PIB est restée globalement bien en dessous de la moyenne des pays de l’Afrique subsaharienne qui était de 20 % en 2014 (selon les données du FMI, 2016) et prouve qu’il y a encore une marge importante pour l’élargissement de la base d’imposition. En augmentant les recettes, par exemple à 18-20 % du PIB, le gouvernement augmenterait en même temps les dépenses tout en maintenant un budget équilibré. Ce qui constituerait un changement important, surtout si le supplément des recettes est affecté aux infrastructures et aux secteurs sociaux de base.
Ceci est d’autant plus vrai que près de 55 % de l’économie congolaise est informelle (selon les données de l’Institut national de la statistique, INS 2013). En outre, la mobilisation des recettes dans le secteur minier reste faible au regard de la nature rentière des revenus dans ce secteur, selon les rapports de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE). Les revenus tirés du secteur minier ont atteint 3,7 % du PIB en 2014, dont 58 % sont allés au budget, ce qui représente 16,3 % du total des recettes nationales du Trésor (ITIE, 2014).
De plus, l’ensemble des prélèvements sur le secteur minier ne dépassait pas 12,2 % de la valeur des exportations minières. Ceci souligne à quel point le potentiel fiscal des mines reste inexploité. Le gouvernement a encore plusieurs pistes à exploiter, notamment au niveau des impôts sur le revenu des entreprises et des personnes physiques qui se situaient chacun à 1,7 % du PIB en 2014 (IMF, 2015) contre des moyennes en Afrique subsaharienne de 2,9 % et 3,7 %, respectivement (selon l’USAID, 2013).
Au vu du contexte actuel, il sera difficile pour le gouvernement de financer les dépenses nécessaires à la fourniture des services publics à la population, et même au fonctionnement normal de l’administration. La rémunération du personnel civil et militaire de l’État a été contenue à moins de 5 % du PIB.
Cette part de rémunération peut atteindre 95 % du total des dépenses sur ressources intérieures pour des ministères tels que ceux de l’éducation et de la santé. Cela laisse peu de marge aux dépenses d’investissement et d’équipement, souvent prises en charge par les partenaires techniques et financiers extérieurs, et aux dépenses sur biens et services. Par conséquent, les ménages continuent à soutenir une grande partie de la dépense sociale, soit 39 % du total contre 15 % par l’État dans la santé, et 73 % contre 23 % dans l’éducation. Les dépenses exceptionnelles ont baissé à 0,7 % du PIB en 2015 contre près de 2,0 % en 2014, en raison du report des élections provinciales, municipales et locales.