Vendredi 20 novembre à l’aube, un groupe d’hommes armés a pris d’assaut l’hôtel Radisson Blu de Bamako, la capitale malienne. Les assaillants, au nombre de trois selon les responsables de l’hôtel, ont ouvert le feu dans le hall de l’établissement, connu pour accueillir une clientèle étrangère, avant de prendre en otages les 170 personnes présentes. Au moins trois otages ont été tués. Cette attaque survient dans un contexte sécuritaire encore très précaire au Mali, malgré l’accord de paix et de réconciliation conclu le 15 mai et le 20 juin entre le gouvernement et les groupes armés dans le Nord.
À l’heure des premières échéances du calendrier de l’accord de paix et de réconciliation issu du processus d’Alger, conclu entre le gouvernement malien et les groupes armés du nord du Mali le 15 mai et le 20 juin, un collectif soucieux du devenir du pays souhaite attirer l’attention des Maliens et de la communauté internationale sur les risques et les possibilités de ce moment. La signature de cet accord ne met pas un terme à la crise malienne, mais elle offre une opportunité pour refonder le vivre-ensemble et les modes d’association politique entre tous les Maliens.
Cet accord de paix, acquis difficilement, représente, comme tous les compromis, un certain point d’équilibre entre des percées positives vers un meilleur agencement du pouvoir au sein de la société malienne et des freins qui expriment encore les appréhensions du pouvoir central devant le besoin d’autonomie de toutes les populations. Les textes (accords de paix, Constitution, lois, décrets) ne sont jamais que des points d’appui pour les évolutions politiques et sociales. Ils peuvent susciter de nouvelles dynamiques, comme ils peuvent rester lettre morte. Il est dès lors indispensable que les annonces de changement se concrétisent au plus vite pour les Maliens. Rien ne serait plus grave que de retomber dans les arrière-pensées, les lenteurs et les promesses non tenues qui ont marqué l’application et le suivi des accords antérieurs (accords de Tamanrasset en 1991, pacte national en 1992, accord d’Alger en 2006).
La communauté internationale a déjà largement contribué à rendre possible cet accord. Toutefois, aucune solution durable n’est possible sans une réelle refondation de l’Etat et sans que l’initiative soit rendue aux populations.
« Germes d’une nouvelle crise toujours présents »
Durant les années qui ont précédé la crise, les dirigeants du Mali et leurs partenaires ont été complices pour présenter au monde le visage trompeur d’un pays en paix et d’un modèle de démocratie. Ils ont ainsi masqué la montée des périls et le dévoiement d’une décentralisation présentée comme la solution aux problèmes du pays.
Or les germes d’une nouvelle crise au Mali sont toujours présents. En dépit de la normalisation à Bamako et de la signature de l’accord, les causes du délitement de l’Etat, maintes fois décriées par les Maliens eux-mêmes, se perpétuent du sud au nord du pays. La corruption, l’affairisme autour des trafics et du détournement des ressources organisés aux niveaux local et national persistent à dominer la vie publique.
Les élections sont entachées par l’achat des voix, le bourrage des urnes et l’instrumentalisation des représentants de l’Etat. L’expérience démocratique malienne, inaugurée avec la Conférence nationale de 1991, apparaît dès lors bien dévalorisée quand faire de la politique n’est plus qu’un moyen de s’enrichir et de s’assurer l’impunité.
Un tel système agit en profondeur. Il détruit le lien social jusqu’au sein des familles et colonise les imaginaires. Il décourage l’exercice de la justice, dissuade les initiatives citoyennes et compromet les possibilités d’une paix durable.
Pour que les efforts consentis par les Maliens et la communauté internationale pour sortir de cette crise ne soient pas vains, il est indispensable que les responsables maliens et internationaux mettent fin à la fiction entretenue autour du système politique et institutionnel.
La mise en œuvre de l’accord créera-t-elle le contexte nouveau permettant de porter un coup d’arrêt à ces pratiques ? Permettra-t-elle de dépasser les discours incantatoires et stériles, de restaurer la confiance et de remettre enfin la responsabilité au centre de l’action politique ?
Les élites politiques maliennes sont mises aujourd’hui devant leur pleine responsabilité. Leur aptitude à lutter contre cette gangrène et à gérer la nouvelle répartition des compétences entre le pouvoir et les collectivités locales, en associant étroitement les populations à l’exercice des fonctions de souveraineté, témoignera de leur volonté politique d’ouvrir une nouvelle page de l’histoire du Mali.
« En finir avec la complaisance »
Afin que le Mali soit au rendez-vous de l’Histoire, un soutien général de la communauté internationale est nécessaire. Mais, pour être utile, la communauté internationale ne peut faire l’économie d’une remise en cause des approches employées jusqu’ici dans les programmes de coopération politique, économique et militaire, dont l’échec patent a été mis en lumière par la crise de 2012. En privilégiant une approche sécuritaire, en focalisant son aide sur des objectifs qui reflètent ses préoccupations propres plutôt que les réalités et les intérêts du pays, en s’accommodant trop souvent de pratiques politiques et économiques mafieuses, la communauté internationale commet une erreur et encourage les forces centrifuges.
La relance du développement du Mali, envisagée lors de la Conférence de l’OCDE, le 22 octobre à Paris, devrait être l’occasion d’un vrai changement dans la manière d’opérer, depuis l’expression des problèmes à résoudre jusqu’à la mise en œuvre de solutions à apporter, en passant par le contrôle rigoureux et transparent de toutes les dépenses. En finir avec la complaisance des partenaires internationaux du Mali et amorcer une rupture pérenne avec les pratiques jusqu’ici dominantes dans le déploiement de l’aide sont deux piliers essentiels pour aider le pays à sortir durablement de la crise.
Les stratégies déployées au Sahel ont été conceptualisées selon les objectifs de la France, de l’Union européenne ou des autres partenaires bilatéraux. Elles doivent maintenant laisser place à une définition partagée d’objectifs ancrés dans les territoires et au plus près des populations.
La lutte contre le terrorisme international et contre les flux croissants de migrants aux portes de l’Europe n’est pas la priorité pour des populations parmi les plus pauvres de la planète, cherchant plutôt la satisfaction de leurs besoins de base ou la sécurisation de rapports apaisés avec leurs voisins. Le soutien aux armées nationales, l’augmentation des contrôles aux frontières ne peuvent, seuls, constituer des réponses appropriées. Particulièrement pour des populations historiquement très mobiles (avant tout à l’intérieur de l’espace ouest-africain et sahélo-saharien) et qui entretiennent des relations de méfiance vis-à-vis d’administrations et de forces de sécurité souvent vécues comme illégitimes parce que corrompues et non républicaines.
Pour soutenir efficacement le renouveau de ces rapports Etat-citoyens et renouer la confiance entre les bénéficiaires de l’aide et la communauté internationale, celle-ci peut s’appuyer sur des éléments locaux structurants. Des résultats positifs ont déjà été obtenus lors d’activités de développement local basées sur une approche adaptative et inclusive.
Celle-ci conduit en particulier à redécouvrir la vertu des « communs » (création d’un collectif autour d’intérêts ou de ressources communs pour assurer leur usage ou les préserver selon des règles définies collectivement) et des modes de gestion souples, intra et intercommunautaires des terroirs et de leurs ressources.
Les droits complexes émanant de l’évolution séculaire des sociétés locales s’avèrent, par exemple, porteurs d’innovation. Par les potentialités de coopération, de renégociation et la flexibilité dont ils font montre, ils sont à même d’offrir des capacités d’adaptation essentielles à l’activité humaine dans des milieux fragiles soumis aux aléas climatiques du Sahel.
Ces pratiques originales sont à prendre en compte à l’heure où tous les Etats sont interpellés par la nécessité de faire face au changement climatique. Sur le long terme, une telle refonte des stratégies déployées au Sahel est susceptible de structurer des approches plus intelligentes des différents espaces (milieux urbains, péri-urbains, zones transfrontalières, terroirs agro-sylvo-pastoraux, voire halieutiques) et de modifier les comportements des acteurs de l’aide pour mettre fin aux stratégies de contournement (par les bénéficiaires) et de décaissement pressé (par les bailleurs) qui paraissent jusqu’alors se répondre.
Dans la période intérimaire ouverte par la signature de l’accord, un soutien adapté de la communauté internationale au Mali trouvera du sens dans la compréhension et la prise en compte des besoins concrets, urgents et à plus long terme, des populations locales (santé, éducation, soutien aux économies de subsistance), en particulier en zone rurale où vit la majorité des populations.
« Les populations ont un rôle essentiel »
Cet accord est une promesse de changement attendu par les populations du Mali. Les parties signataires ont la responsabilité de faire vivre ce texte en permettant aux populations de devenir les artisans du processus de paix.
Cela suppose en premier lieu que le gouvernement malien et les mouvements signataires de l’accord (Coordination des Mouvements de l’Azawad et Plateforme) cessent de diviser, de stigmatiser et s’attellent ensemble à restaurer la confiance, en laissant les populations locales s’exprimer librement.
Des réunions se sont tenues récemment à Anefis (région de Kidal) à l’initiative des anciens belligérants et des accords ont été trouvés. C’est une étape positive si ces réunions permettent aux populations de prendre à leur tour des initiatives de dialogue local. Il est en effet important de tirer les leçons du passé. Au-delà de la signature du Pacte national en 1992, les efforts fournis par des communautés épuisées et meurtries par la guerre pour se retrouver et dialoguer ont forgé le véritable processus de paix en 1994-1996. Ce précédent historique mérite d’être analysé. C’est dans cette voie qu’il faut s’engager.
Les parties signataires, assistées par la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali) et l’opération « Barkhane » se doivent de sécuriser les déplacements des populations à travers le contrôle des axes routiers et la maîtrise des armes, notamment. Mais les populations ont également un rôle essentiel à jouer dans ce retour à une vie paisible.
Par la conduite de leurs activités habituelles, par leur connaissance des réalités locales, par la circulation de l’information qu’elles favorisent, par leur fréquentation des marchés, des écoles et des centres de santé, elles contribuent à la sécurité de leur espace de vie. Le retour des réfugiés et des déplacés constituera à cet égard une étape cruciale vers la paix. Des mesures d’urgence et de confiance se mettent actuellement en place (échanges de prisonniers, missions d’évaluation des besoins, réouverture des écoles…). Ce sont autant de premiers signaux à même d’encourager leur retour volontaire.
Enfin, comme après tout conflit, le retour à la paix passe aussi par un travail de mémoire. Aujourd’hui, les récits s’opposent. Ceci entretient les peurs et freine la possibilité même pour des groupes ou des individus hier adversaires, de se réunir et de penser l’avenir ensemble. La Conférence d’entente nationale prévue par l’accord n’aura de sens que si elle constitue l’aboutissement d’un processus pleinement inclusif initié par les populations à l’échelle locale.
Si la confiance et la possibilité d’un vivre-ensemble connaissent dans le cadre de cet accord un début de réalisation rapide, alors il sera sans doute possible pour les populations du Mali d’entrer dans une nouvelle phase de leur histoire.Elles pourraient, une fois la libre administration expérimentée avec succès, aller plus loin en inventant des formes politiques intégrant au niveau de l’Etat la notion de pluralisme sociétal à travers une union politique des populations. Cette union serait non pas repliée en son centre sur un nationalisme étriqué, mais pourrait apparaître comme une structure souple permettant la reconnaissance des appartenances multiples des individus et des groupes, et revivifierait une Afrique de l’Ouest conçue comme un espace ouvert, générant une dynamique exemplaire au sein de l’Union africaine. Cela correspondrait à un second temps de la décolonisation sur les plans politique et juridique.