La perspective de la confrontation, en juin, avec les épreuves sanctionnant la fin de l’école secondaire met les élèves sens dessus dessous. Les moins rassurés ressortent la vieille recette de « maquis », pourtant officiellement interdit.
La session de l’Examen d’État 2015 se profile à l’horizon. Le compte à rebours a commencé. Focus sur un maquis dans la commune de Ngiri-Ngiri, à Kinshasa.
Seize collégiens, filles et garçons, sont hébergés depuis une semaine dans une bâtisse encore en chantier. Pas de portes ni de fenêtres. Ils étudient dans une école protestante située dans la commune de Bandalungwa, à 1 km de là. Leur promotion compte 35 finalistes.
Malgré l’ambiance bruyante des moulins à maïs dans le voisinage, mêlée au gazouillis du marché, les élèves se font philosophes : « Nous sommes juste de passage. Nous n’en avons que pour quelques jours. Ces vacarmes prennent généralement fin l’après-midi, c’est alors que nous nous plongeons dans la révision des cours », déclare Moïse Angwezi, 21 ans, leader du groupe.
Il est 6h00. Après une prière collective adressée à Dieu, les maquisards se précipitent à la douche. Désolé, il n’y en a qu’une, à peine entretenue. Il faut entrer à tour de rôle. Galanterie oblige ! Les six filles ont l’honneur de se laver avant les dix garçons. Certaines, impatientes, y vont à deux. « Ici, clament-elles, on ne se gêne pas entre gens de même sexe ». À 7h00, tout le monde est prêt. C’est le départ pour ceux qui sont en ordre avec les frais exigés à l’école. Les insolvables, eux, garderont le maquis.
Chacun avait reçu l’aval de ses parents
Selon Moïse, le groupe est organisé. Deux personnes sont chargées l’une de discipline et l’autre de la caisse.
Avant de se joindre à l’équipe, chaque élève avait reçu l’aval de ses parents mais pas le quitus de l’école. « Le préfet des études, dit-il, nous a conseillé d’attendre encore deux semaines avant les épreuves pour nous accorder gratuitement un local au sein de l’établissement. Mais, comme nous étions en train de dépenser petit à petit l’argent collecté, nous avons décidé de chercher un autre site ».
Pourquoi, sur trente-cinq finalistes, seize seulement ont préféré le maquis ? « Certains étudient à domicile tandis que d’autres n’ont pas réuni suffisamment d’argent pour nous rejoindre », confirme Moïse, qui ajoute que « chacun a payé 30 dollars, soit un total de 480 dollars. Ils ont payé au responsable du chantier 160 dollars de loyer pour un mois. Les provisions leur coûtent 250 dollars. « Nous avons privilégié le menu familial type. Ici, on n’est pas venu festoyer. La différence est gardée pour de multiples usages : primes des répétiteurs, premiers soins, achat matériels didactiques. Toutefois, chacun garde un peu d’argent de poche.
Comment vit-on dans un maquis mixte, cauchemar des parents ? Réponse d’une fille : « pour éviter d’éventuels dérapages, nous avons scindé l’habitation en deux compartiments. Les filles n’entrent pas chez les garçons et vice versa. Mais ce sont elles qui s’occupent de la cuisine et de la vaisselle tandis que les garçons s’emploient à d’autres tâches ménagères ».
L’enseignement : plus en lingala qu’en français
Le règlement des maquisards est affiché au mur. Le responsable du chantier en garde copie. Le planning horaire est quasi invariable, à quelque chose près. Réveil à 5h30 et coucher à 22h00. Le non respect du règlement vaut, selon le cas, une exclusion temporaire ou définitive du maquis. « Jusqu’à présent, ils sont sages hormis les débats enflammés, le soir, autour du football », témoigne le responsable du chantier qui occupe un studio dans la concession.
Selon le programme, de lundi à samedi, dès le retour de l’école, le déjeuner est partagé ensemble. Après la sieste, de 16h00 à 18h00, vient la répétition des notes. Les plus brillants du groupe expliquent aux faibles. Au besoin, un répétiteur est appelé au secours. La particularité ici, c’est que l’enseignement se donne plus en lingala qu’en français. « C’est pour une meilleure compréhension », affirment tous les élèves. De 18h00 à 21h30, c’est la détente : chacun se livre à son hobby, en évitant de déranger le groupe. À 22h00, c’est l’heure de la prière qui précède le coucher. Le dimanche est déclaré journée de visites.
Un pied de nez à l’autorité
Interrogés sur le bien-fondé, ou non, de la pratique du maquis, les parents sont partagés. Les uns estiment que la préparation à l’examen d’État commence dès le premier jour de la rentrée scolaire. Pour eux, on ne finance pas la réussite, mais on la prépare. Ils craignent qu’au regard de l’affaiblissement de la morale à Kinshasa, autoriser le maquis soit la pire des décisions. Les autres banalisent la question : « au lieu d’incriminer les enfants, le mieux serait de les encadrer pendant cette période cruciale ».
Sur cette question, les chefs d’établissements scolaires n’émettent pas sur la même longueur d’ondes. Nicolas M., préfet d’une école privée, pense que se retrancher volontairement de son environnement habituel développe une attitude favorable au succès. « Même au lycée Bosangani, l’une des meilleures de la capitale, les élèves sont internées pendant cette période », affirme-t-il. Pour sa part, Romain S., superviseur d’une école chrétienne, le maquis doit être interdit parce qu’il « contribue à la propagation des antivaleurs ».
À titre de rappel, le gouverneur de la ville de Kinshasa avait décrété, en 2013, l’interdiction des maquis pour les finalistes du secondaire et promis des sanctions aux récalcitrants. La réalité, sur le terrain, fait un pied de nez à l’autorité.