Le prochain sommet de Paris sur le changement climatique est prévu en décembre. Le continent africain en attend beaucoup, lui qui abrite le deuxième poumon écologique de l’humanité, le bassin du Congo.
Sans l’Afrique, affirment des écolos, la bataille ne vaut nullement un penny. Ce n’est pas un hasard si la ministre française en charge de l’écologie, Ségolène Royal, entreprend une tournée dans quelques capitales africaines au courant de ce mois. Elle va sans doute tenter de persuader les dirigeants politiques et les activistes de l’environnement de prendre une part active au sommet de Paris, objet de tous les enjeux environnementaux. Pour les africains, un dossier préoccupe au plus haut point : le marché carbone. Pour l’altermondialiste congolais, Lucien Mateso, l’heure du bilan a sonné avant la rencontre cruciale de Paris. « Plus de cinq ans après le démarrage du marché du carbone, les effets escomptés sur le développement sont loin de se réaliser en Afrique subsaharienne », tranche-t-il dans le vif. Selon lui, certains facteurs ne permettent pas l’implication des entreprises dans la réduction des émissions des gaz à effet de serre. « Le problème est réel en Afrique subsaharienne. Le Protocole de Kyoto, signé, en 1997, qui fixait l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à 5,2% à l’horizon 2012, par rapport à l’année de référence 1990, jette les bases du marché carbone. Ce marché repose sur un principe simple : la réduction des émissions de gaz à effet de serre a le même impact positif indépendamment de l’endroit où elle intervient ». Parmi les mécanismes de flexibilité permettant aux entreprises de réduire ces émissions de gaz à effet de serre, figure le Mécanisme de développement propre (MDP), réservé aux pays en développement. « Ce mécanisme permet à des entreprises des pays développés de participer au financement de projets dans les pays en développement et de générer des crédits carbone. En encourageant la participation à des projets dans ces pays, la finance carbone constituerait une nouvelle opportunité pour soutenir le transfert des technologies vers eux et le développement des entreprises », souligne-t-il.
Mais, plus de cinq ans après le démarrage du marché carbone, les effets escomptés sur le développement sont loin de se réaliser en Afrique subsaharienne. Premièrement, analyse l’altermondialiste, le MDP est inadapté aux économies africaines : «D’abord, les secteurs comme l’agriculture, la foresterie et autres usages des terres, qui représentent une grande part des économies africaines et offrent le plus important potentiel d’investissements carbones dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, ne sont pas inclus dans les systèmes des quotas». Pourtant, pour les États africains, la lutte contre la déforestation tropicale, par exemple, constitue une priorité dans les politiques visant la lutte contre le réchauffement climatique.
De plus, Lucien Mateso, le développement des projets MDP nécessite des capacités spécifiques concernant les aspects juridiques, financiers et techniques de ce type de projet qu’un grand nombre de pays hôtes n’ont pas : «L’identification des projets, l’analyse des opportunités de réduction des émissions de gaz à effet de serre, les procédures d’enregistrement et d’approbation de projets MDP auprès de l’autorité de régulation sont génératrices d’importants coûts de transactions. Ces procédures strictes sont nécessaires pour assurer l’additionnalité des projets MDP, garantir l’intégrité du système et éviter les incitations perverses de certains projets».
Les petites entreprises en prennent un sacré coup.
Ces coûts affectent considérablement la rentabilité des micros entreprises qui représentent plus de 90% des entreprises en Afrique subsaharienne et constituent un potentiel énorme de réduction des émissions de gaz à effet de serre. « Les investisseurs privilégient les projets de grande taille, principalement dans les pays émergents, déjà grands bénéficiaires des investissements directs étrangers (IDE) comme la Chine, l’Inde, le Brésil ». En 2008, ces pays ont représenté près de 80% des ventes des crédits d’émission contre 5% pour l’Afrique.
Deuxièmement, l’accès au financement demeure une contrainte majeure pour le développement des projets MDP en raison du risque. « Les sources de risque sont nombreuses : la technologie, le processus de validation, d’enregistrement et d’octroi de crédits, l’évolution du marché du carbone, les procédures (et les risques d’erreurs) de calcul des réductions des émissions de gaz à effet de serre, le manque de visibilité sur l’évolution du marché carbone au-delà de 2012, suite à l’accord minimaliste de Copenhague». Ces risques, insiste Lucien Mateso, sont un élément fondamental de la décision d’investissement : «L’implication du secteur financier est essentielle pour fournir des instruments de financement et d’assurance adaptés, en particulier pour le secteur des infrastructures, important vecteur de développement économique et humain». Or, le secteur bancaire africain est resté en marge dans le financement des projets MDP.
Troisièmement, l’instrument MDP est peu incitatif pour les entreprises africaines : «Pour être éligible au MDP, un projet doit démontrer qu’il est additionnel, c’est-à-dire entre autres critères, qu’il engendre une réduction d’émissions par rapport à un scénario de référence défini comme le scénario le plus probable en l’absence de projet». Les pays en développement sont éligibles au MDP en tant que pays hôtes et pas en tant qu’investisseurs. « Une entreprise d’un pays africain qui entreprend un projet engendrant des réductions des émissions de gaz à effet se serre bénéfiques mondialement, ne pourrait pas bénéficier des mêmes crédits. Dans la mesure où la réduction des émissions de ces gaz a le même impact positif indépendamment de l’endroit où elle intervient. Pour être incitatif, le système de calcul des crédits devrait être basé sur le même scénario de référence, quel que soit le promoteur du projet », conclut-il.