C’est fait ! Le royaume du Maroc a officiellement retrouvé sa place au sein de l’Union africaine (UA). Au-delà de la controverse autour du retour de « l’enfant prodige » dans la grande famille africaine, ici et là, le débat se corse sur les motivations profondes du Maroc à vouloir réintégrer l’UA hic et nunc. Des observateurs avisés avancent que le moment est bien choisi car cela fait plusieurs années que le Maroc et son souverain, Mohammed VI, étaient en train de tisser la toile de la conquête du leadership africain. Selon eux, il y a bien une crise de leadership en Afrique. Le Nigeria et l’Afrique du Sud qui sont considérés comme les « grandes puissances » économiques du continent accusent des signes d’essoufflement. Or la nature a horreur du vide. Le Maroc a fait sien cet adage en adoptant une stratégie de lobbying économique et culturel auprès des gouvernements africains.
Un lobbying payant
C’est ainsi que, malgré le front de refus avec en tête l’Algérie, la réintégration du Maroc à l’UA est passée comme une lettre à la poste, grâce au soutien majoritaire de trente-neuf pays. Il faut souligner que le président zimbabwéen Robert Mugabe et le président sud-africain Jacob Zuma, qui ont exprimé des réserves de circonstances pour faire plaisir à Alger, ont été rappelés à l’ordre par quatre chefs d’État. Le Sénégalais Macky Sall, le Gabonais Ali Bongo, l’Équato-Guinéen Obiang Ngema et le Congolais Sassou-Ngesso ont pris la parole pour leur faire comprendre que l’heure était à une attitude sérieuse, constructive. Normal que ces quatre chefs d’État prennent la défense de Rabat. Des intérêts économiques et culturels marocains sont bien présents dans leurs pays comme on va le constater plus loin.
Dans les coulisses du 28è Sommet de l’UA, on met en relief, en effet, l’influence envahissante d’Alger qui considère l’organisme panafricain comme « sa forteresse impénétrable », où il peut décider ce qu’il veut. Des experts de la Commission africaine laissent entendre qu’Alger s’est réparti la tâche avec l’Afrique du Sud, aimant comparer ces deux pays au rôle décisif et moteur dévolu à l’Allemagne et à la France à l’intérieur de l’Union européenne (UE).
Mardi 31 janvier, cette supposée influence décisive de l’Algérie sur les instances de l’UA a montré ses limites au point que la presse pro-Polisario, chose inédite, a critiqué les dirigeants algériens, leur reprochant de ne pas avoir réussi à contrer l’offensive marocaine et de ne pas « avoir payé pour acheter des voix ». Le temps des mallettes bien garnies de petits billets verts est sans doute révolu et que c’est avec de nouvelles armes, économiques, que le souverain shérifien a conquis le continent.
Une vision sud-sud mais pro-africaine
Depuis son accession au trône en 1999, le roi Mohammed VI multiplie les voyages en Afrique subsaharienne. Au total, quarante-six déplacements dans vingt-cinq pays. À chaque voyage, Mohammed VI avait des projets structurants pour l’enracinement continental du Maroc et une coopération résolument Sud-Sud. Un geste fort apprécié : lors du sommet Afrique-Europe, en 2000, le Maroc a annulé l’ensemble des dettes des pays les moins avancés (PMA) africains et supprimé les barrières tarifaires en provenance de ces pays. Dix-sept ans plus tard, le Maroc, pays sans pétrole ni gaz, est devenu le deuxième investisseur dans le continent. « Cela ne s’improvise pas mais se construit patiemment avec conviction, détermination et pragmatisme », a expliqué un diplomate marocain en poste à Kinshasa. À la tribune de l’UA à Addis-Abeba, Mohammed VI est venu vendre l’image de son pays : « Un Maroc généreux, un Maroc qui partage ce qu’il a », tel a été son argumentaire de campagne. Pour les spécialistes, c’est de la bonne com politique à l’attention de ses pairs. « C’est cette vision du partage qui va certainement conférer au Maroc et à son roi le leadership continental », a souligné l’un d’eux. Étant donné que la vision africaine de Mohammed VI repose sur « l’économie comme levier de développement ». Le roi se fait accompagner par des hommes d’affaires de son pays dans ses voyages à travers le continent. C’est une façon pour lui de montrer l’intérêt particulier qu’il accorde à l’investissement et à l’économie en Afrique.
Commandeur des croyants en Afrique
Outre la composante économique, l’islam modéré promu par Mohammed VI, commandeur des croyants, a considérablement contribué à marquer la présence du Maroc en Afrique. La Tidjania est la confrérie soufie la plus répandue en Afrique subsaharienne. Le mausolée de son fondateur, Ahmed Tidjani, se trouve à Fès et constitue le lieu de pèlerinage le plus prisé des musulmans en Afrique subsaharienne après la Mecque. La capitale spirituelle du royaume a facilité l’établissement des réseaux et cercles d’influence entre le Maroc et un grand nombre de pays de l’Afrique de l’Ouest. Conscient du rôle de la formation des imams dans la lutte contre le radicalisme et les extrémismes, Mohammed VI a inauguré l’Institut qui porte son nom pour la formation des imams prédicateurs et prédicatrices en 2015. Cet institut, capable d’accueillir 1 200 étudiants, les forme dans les domaines de l’imamat et de l’orientation religieuse. Ils viennent des pays comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire, le Mali, la Guinée ou encore de pays européens.
L’approche humaine
L’autre aspect de la composante culturelle de la vision africaine du Maroc, c’est ce costume de « Terre de transit en direction de l’Europe » qu’il veut enfiler. Le Maroc se transforme souvent pour ceux qui rêvent d’une vie meilleure au Nord de la Méditerranée en terre d’accueil. Mohammed VI a donné ses instructions pour la régularisation des sans papiers subsahariens. Quelque 25 000 personnes ont été régularisées en 2014 et une deuxième vague de régularisations a été annoncée en 2016. Le Maroc qui compte de nombreux émigrés en Europe, ne peut être insensible au sort des migrants africains. Mohammed VI a précisé dans un discours, le 20 août 2016, que « le Maroc compte parmi les premiers pays du Sud à avoir adopté une politique solidaire authentique pour accueillir les migrants subsahariens, selon une approche humaine intégrée, qui protège leurs droits et préserve leur dignité ».
Cette approche a été très appréciée dans les pays africains. Elle rompt avec la brutalité de certains pays d’Afrique du Nord qui ont lancé une chasse aux noirs.
À Addis-Abeba, Mohammed VI a expliqué que le retour historique du Maroc au sein de l’UA profitera à l’Afrique. Que le retrait de l’OUA en 1984 était nécessaire car il a permis de recentrer l’action du Maroc dans le continent, de mettre aussi en évidence combien l’Afrique est indispensable au Maroc, et vice-versa. Le Maroc a développé les relations bilatérales de manière significative depuis les années 1980 avec le Zaïre. Entre le président Mobutu et Hassan II, il a existé une complicité. D’ailleurs, le maréchal déchu du pouvoir en mai 1997 a été enterré en septembre à Rabat. Bref, avec la RDC, la coopération est tous azimuts. Des échanges commerciaux existent. Air Royal exploite la ligne Kinshasa-Casablanca. Le Maroc est devenu une destination médicale pour de nombreux malades congolais. Et la communauté étudiante congolaise est l’une de plus importantes au Maroc.
Depuis 2000, le Maroc a conclu, dans différents domaines de coopération, près d’un millier d’accords avec les pays africains. Entre 1956 et 1999, 515 accords avaient été signés, alors que depuis 2000, il y en a eu 949, c’est-à-dire près du double. Le transfert du savoir-faire marocain est l’autre engagement africain du Maroc. Ainsi, des ressortissants africains ont pu poursuivre leur formation supérieure au Maroc, grâce aux milliers de bourses qui leur ont été accordées.
Le Maroc a pris le pari des projets stratégiquement et multilatéralement avantageux. Point d’orgue de cette stratégie, le projet de gazoduc africain Atlantique, initié en partenariat avec le Nigeria. Ce projet permettra naturellement l’acheminement du gaz des pays producteurs vers l’Europe. Mais, au-delà, il bénéficiera à toute l’Afrique de l’Ouest. Il contribuera, en effet, à structurer un marché régional de l’électricité, et constituera une source substantielle d’énergie au service du développement industriel, de l’amélioration de la compétitivité économique et de l’accélération du développement social.