Tout était bien mesuré dans le propos du ministre des Finances, Henri Yav Mulang, lors de la cérémonie d’ouverture de guichets de réception de demandes d’agrément des sociétés d’assurances désireuses d’opérer en République démocratique du Congo, mardi 12 décembre, à l’Hôtel Pullman de Kinshasa. Signe évident que le secteur des assurances est un secteur qui ne doit être géré qu’avec parcimonie, prudence, confiance, professionnalisme et qui ne doit pas donc être laissé entre les mains des apprentis-sorciers.
En présidant personnellement cette cérémonie en présence d’un parterre de personnalités politiques (ministre d’État chargé du Plan, Modeste Bahati Lukwebo ; ministre des PME, Bienvenu Liyota Ndjoli ; directeur de cabinet du président de la République, Néhémie Mwilanya…) et du monde des affaires, le ministre des Finances a voulu en quelque sorte taire les critiques sur le retard pris dans l’application du nouveau code des assurances, qui institutionnalise la libéralisation de ce secteur. En tout cas, le ministre des Finances a fait siens les adages qui disent : « rien ne sert de courir, il faut partir à point » ainsi que « la fin justifie les moyens ». Dans tous les cas, le plus important, c’est de bien faire et le faire savoir.
Si ce n’est pas un contrat d’objectifs que le ministre des Finances enjoint au nouveau management de l’Autorité de régulation et de contrôle des assurances (ARCA), en tout cas, ça y ressemble fort. Jugeons-en plutôt. La libéralisation du secteur des assurances en RDC, rappelle Henri Yav Mulang, a été « voulue et impulsée personnellement » par le président de la République, Joseph Kabila Kabange, comme « l’une des stratégies importantes de la réforme de notre secteur financier ». En effet, pour le ministre des Finances qui a l’ADN du businessman dans son sang, la RDC, se voulant un pays « moderne » et « ouvert » sur le plan économique, ne pouvait continuer à asseoir son économie sur un système financier fondé, d’un côté, sur un secteur bancaire libéralisé et, de l’autre, sur un secteur des assurances, pourvoyeur partout ailleurs de ressources de financement à long terme, resté pendant longtemps dominé par le monopole d’une seule compagnie, dont le volume des primes émises est de loin inférieur au potentiel de la RDC. C’est ainsi que face aux nouveaux enjeux économiques de la RDC, il a fallu mettre fin au régime de monopole afin de tirer largement profit des opportunités qu’offre ce secteur en friches pour financer l’économie nationale. Selon des experts, la réforme est une bonne chose car quelque 500 millions de dollars par année sont en jeu. À l’horizon 2035, la RDC comptera 115 millions d’habitants, selon des prévisions démographiques. Par ailleurs, le dynamisme du secteur bancaire depuis une dizaine d’années commandait logiquement l’éclosion d’un secteur des assurances « susceptible de compléter efficacement le secteur bancaire dans le financement de l’économie ». Ne dit-on pas que la banque et les assurances sont sœurs jumelles ? Face aux enjeux d’aujourd’hui et de demain, avoir un secteur des assurances libéralisé et dynamique en RDC a tout son sens. Non seulement il va contribuer à la création d’emplois et de richesses, mais il va aussi contribuer à la protection des biens des personnes, à la sécurisation des investissements privés ainsi qu’à l’assainissement du climat des affaires.
Parcimonie et prudence
La mise en application de la libéralisation du marché des assurances requiert donc la prudence parce qu’il s’agit d’un secteur financier. C’est ainsi qu’après l’entrée en vigueur du nouveau code des assurances ou la loi 015/005 (le 17 mars 2016 après sa promulgation le 17 mars 2015) et la mise en place de l’ARCA (créée le 26 janvier 2016 par le décret 016/001), le gouvernement a pris plusieurs mesures d’application de la loi dont la principale caractéristique est de « doter notre pays d’outils modernes et conformes aux standards internationaux ».
Entre autres mesures déjà prises, la fixation d’un plan comptable spécifique du secteur des assurances (décret du 1ER Ministre du 21 août 2017) et des modalités d’indemnisation des préjudices subis par les victimes d’un accident impliquant un véhicule terrestre à moteur (neuf arrêtés du ministre des Finances du 29 août 2017). Cinq autres mesures, fait savoir le ministre des Finances, sont en examen à la Commission économique, financière et de reconstruction du gouvernement et seront « bientôt » soumises à l’approbation du Conseil des ministres.
Par ailleurs, le nouveau code des assurances a prévu des dispositions fiscales spécifiques, notamment les exceptions à l’article 508, en ce que la seule taxe imposable à une prime d’assurance est la taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Sauf pour les prestations de services relatives à la prime de l’assurance-vie, la prime de l’assurance-maladie, la prime d’une assurance directe à l’étranger (autorisée par le ministre des Finances) et à la prime de réassurance. Pour le ministre des Finances, l’étape de demande d’agrément par les sociétés désireuses d’investir dans ce secteur en RDC est sans doute la plus délicate. C’est pourquoi il n’est pas permis de rater le décollage. Certes, la mise en œuvre de la réforme aura été quelque peu « longue », voire « fastidieuse », reconnaît Henri Yav Mulang. Mais, pour le gouvernement, il était nécessaire de s’inspirer aussi des expériences des autres pays (Afrique du Sud, Nigeria, Kenya, Maroc, République du Congo, Angola…). « Ce temps était nécessaire car il fallait construire le nouveau marché national des assurances sur des bases solides, tout en veillant à ce qu’il soit conforme aux standards internationaux, qu’il protège au mieux les intérêts des assurés et évite les erreurs commises par d’autres pays », fait remarquer le ministre des Finances.
Professionnalisme et confiance
La longue attente a fini par refroidir les ardeurs des assureurs et des réassureurs qui se bousculaient pourtant au portillon de l’ARCA. Cependant, Henri Yav se veut rassurant : « D’ores et déjà, en plus d’un marché régi par un cadre légal et réglementaire moderne et par un code aux standards internationaux et contrôlé par un régulateur autonome et transparent, le gouvernement garantit aux différents candidats assureurs un potentiel de développement en matière d’assurances et de réassurance à l’heure actuelle peu ou pas exploité ». En revanche, « en ouvrant les guichets de l’ARCA à ceux des opérateurs économiques privés qui veulent investir et opérer, aux côtés de la compagnie publique, le gouvernement attend qu’ils se montrent efficaces, performants et développent des produits et services attractifs pour les assurés ». Concrètement, le nouveau code des assurances rend obligatoires six assurances importantes en RDC. Il s’agit de l’assurance responsabilité civile automobile, l’assurance des risques de construction, l’assurance responsabilité civile des transporteurs aériens, l’assurance responsabilité civile des transporteurs maritimes et fluviaux, l’assurance incendie pour les immeubles à usage industriel, commercial, administratif, culturel, sanitaire, scolaire, les salles de spectacles, les immeubles de rapport et l’assurance des facultés à l’importation. Outre ces six assurances, il y a le code de la sécurité sociale qui impose à chaque employeur la prise en charge de la totalité des frais de santé de tous ses employés. « Le gouvernement attend de nouveaux assureurs qu’ils proposent des produits d’assurance santé, adaptés aux besoins des travailleurs et de l’ensemble de la population congolaise », insiste le ministre des Finances.
C’est à l’aune du « professionnalisme », de l’« abnégation », de la « probité » et du « patriotisme » que sera évalué le nouveau management de l’ARCA. Ainsi Henri Yav a-t-il voulu responsabiliser le conseil d’administration présidée désormais par Baudouin Kabisi, en remplacement de Bienvenu Liyota nommé ministre des PME, ainsi que la direction générale avec à sa tête Alain Kanyinda. Pour ce faire, le ministre des Finances exhorte le management de l’ARCA à « travailler résolument à la mise en place progressive d’une industrie des assurances moderne, en cherchant à faire revenir dans notre pays toutes les primes d’assurance actuellement payées à l’étranger ». D’après lui, « le président de la République et la nation tout entière ont désormais les yeux braqués sur son travail. En effet, dit-il, la réussite attendue de la libéralisation du marché des assurances dépendra des capacités des dirigeants de l’ARCA et de leur sens élevé des responsabilités dans la gestion du secteur, dont l’un des éléments clé demeure le choix et le suivi des compagnies d’assurances appelées à opérer en RDC.
Les agréments attendus entre avril et juin 2018
C’est dans cette perspective, rappelle-t-il, que le gouvernement a pris toutes ces mesures appelées à « favoriser la naissance de cette nouvelle industrie ». C’est dire que le travail a bel et bien commencé pour l’ARCA et le plus dur reste à faire.
En ce qui concerne l’opérationnalisation de l’ARCA, le premier trimestre de 2018 est consacré à la réception et à l’examen des demandes d’agrément. Et les premières décisions interviendront au courant du deuxième trimestre. Les conditions légales d’agrément sont connues : une caution de 10 millions de dollars, avoir son siège en RDC et des fonds propres… Les nouvelles compagnies d’assurances qui seront sélectionnées devront « placer au maximum des provisions sur le territoire congolais » afin de contribuer au financement de l’économie, « recourir le plus possible à l’expertise et à la main-d’œuvre congolaise », « innover dans le règlement des sinistres » en respectant les délais et « en indemnisant proportionnellement » les sinistres, « respecter leurs obligations fiscales » vis-à-vis du Trésor public.
Sur les appréhensions du secteur privé et de l’opinion (crainte d’escroquerie et d’interventionnisme étatique…), le ministre des Finances promet qu’il veillera personnellement au grain pour que la régulation et le contrôle ne souffrent d’aucune défaillance dans le secteur des assurances, à l’instar du secteur bancaire. C’est dans ce cadre qu’il est prévu l’organisation prochaine des campagnes de vulgarisation du nouveau code des assurances afin d’« expliquer à la population et aux entreprises l’importance des assurances et de les informer des changements intervenus, notamment sur les six assurances rendues obligatoires par le législateur ». Il est également prévu l’« éradication des courtiers clandestins qui, sans payer des taxes au pays, détiennent une bonne partie du portefeuille de grands risques localisés en RDC ».
À l’issue des campagnes de vulgarisation du nouveau code, il est aussi prévu des contrôles auprès des assurés pour « faire respecter le code des assurances et notamment pour rapatrier les primes souscrites à l’étranger ».
C’est justement sur ce registre que le nouveau management de l’ARCA est très attendu. « Le gouvernement veillera, à ce sujet, au respect rigoureux de l’article 286 du code des assurances qui interdit strictement d’assurer, en dehors d’un assureur agréé par l’ARCA, dans un pays étranger un risque concernant une personne, un bien ou une responsabilité localisé en RDC », martèle Henri Yav.
Et d’annoncer qu’« une transitoire sera, à cet effet, fixée par arrêté ministériel pour obliger toutes les personnes physiques ou morales prestant en RDC à se préparer à ne plus assurer leurs risques à l’étranger ou auprès d’une société non agréée par l’ARCA ».
Ferme dans son propos, le ministre des Finances souligne qu’« une batterie de mesures visant à mettre fin à cette importante fuite des capitaux, opérée à travers des primes d’assurances souscrites à l’étranger, est en préparation ». Ces mesures seront appliquées avec le concours des régies financières ainsi que d’autres services compétents de l’État.