Veut-on une société faite de miséreux et de dominants ou préfère-t-on suivre le chemin d’une sobriété pour tous ? La France, le Monde sont devant un choix de société. Le premier terme de l’alternative est une simple continuation du mode de vie actuelle des Occidentaux en l’étendant, par diffusion ou à l’aide de divers moyens de coercition, au reste du monde : plus de technologies, plus d’inégalités, la transformation des démocraties en ploutocraties, une vie de vibrions-communicants, des ovocytes congelés aux enchères sur leboncoin.fr, des familles composées, recomposées, décomposées, des odes aux tout friendly sauf les pauvres, des besoins démesurées de sécurité qui permettent de transformer de simples rebelles en terroristes, des robots tueurs mais intelligents pour exterminer tout ennemi…
Le tout numérique est alors mis en avant comme l’incontournable horizon de cette néo-modernité : il permettra un afflux massif de chômeurs plus ou moins occupés par des petits boulots allant de la délivrance à domicile de pizzas jusqu’à vigile intérimaire en zone rurale. Les Hommes deviennent des outils animés par les possesseurs de richesses, l’argent étant la seule valeur reconnue par tous et partout. La modernité prônée par une heureuse sobriété est tout autre. Elle prône un mode de vie consistant à réduire volontairement sa consommation en la choisissant avec soin pour ses qualités, le respect des producteurs, la réduction des impacts nuisibles pour l’environnement…
Mettre en place le futur basé sur les technologies, ne pose pas de problème particulier puisque ses fondements existent depuis toujours même si les efforts des Lumières et de leurs successeurs ont essayé d’y mettre un terme. Suivre tout au contraire une règle de vie faite de simplicité et de réflexion est possible mais semble difficile. Saint François d’Assise vécut dans la joie et la pauvreté… mais seul ou presque. Il est peut-être illusoire de vouloir demander à un peuple, une population, une société, de se conformer à une restriction volontaire et intelligente de sa consommation : la démarche individuelle peine à fonder un collectif. Sur le marché français par exemple, 1 véhicule neuf sur 4 est un 4×4 urbain alors que chacun est invité à modérer ses consommations de carburant depuis des décennies. Le besoin de montrer, de se montrer, l’emporte presque toujours sur la sagesse.
Il existe cependant quelques exemples de sociétés sobres
Après une tentative infructueuse de débarquement à la baie des Cochons en 1961, les États-Unis mirent en place un sévère embargo économique de Cuba. Cet isolement conduisit à une sobriété forcée des habitants durant plus de 50 ans. Les 11 millions de Cubains consomment peu d’énergie : environ 10 fois moins par habitant que les Américains mais le produit intérieur brut (PIB) par habitant à Cuba est presque 8 fois moins important qu’aux États-Unis. La Jamaïque peut peut-être fournir une comparaison plus judicieuse que les États-Unis. C’est une monarchie qui fonctionne sur les bases du système parlementaire britannique. La Jamaïque produit moins de « richesses » par habitant que Cuba et l’espérance de vie des Cubains est supérieure 4 ans à celle des Jamaïcains.
Par contre, beaucoup de libertés, dont la liberté de la presse, sont bien plus contrôlées à Cuba qu’à La Jamaïque. Les sans abri abondent en Jamaïque, il ne semble pas y en avoir à Cuba. Cuba peut être vue comme une dictature sobre et égalitaire et La Jamaïque comme une démocratie pauvre et inégalitaire. Alors, Cuba ou La Jamaïque ? Il faut maintenant tenir compte du fait que les énergies fossiles comme les ressources naturelles vont venir à manquer.
Les réserves de pétrole et de charbon restent assez importantes, pour 100 ans environ, mais elles s’épuiseront inéluctablement ; de plus, la raréfaction de la plupart des minerais va également se poser. Cuba consomme presque deux fois moins d’énergie sous toutes ses formes que la moyenne mondiale et peut être considéré comme exemplaire à cet égard. Il semble cependant plus que vraisemblable que les pays dits développés ne puissent pas s’astreindre à une telle disette énergétique sans s’effondrer. Devant un cataclysme annoncé de cette ampleur, il est raisonnable de penser qu’un scénario crédible permettant une transition énergétique mais aussi sociétale ait été pensé.
Le gouvernement français a choisi de diviser par deux la consommation d’énergie en 30 ans. Pour tenir ce pari, on peut tabler sur une économie devenue plus sobre, moins énergivore, mais la perte de notre tissu industriel gourmand en énergie assurera probablement l’essentiel des économies d’énergie. L’économie française est devenue une économie de services, le secteur tertiaire occupe environ 80 % de la population active mais en engendrant schématiquement deux sortes d’emploi, les premiers choisis (animateur de show, commentateur politique, manager…) et d’autres subis (vigile, employé de guichet, gardien d’immeuble, caissière de supermarché…).
Une élite dite moderniste s’affronte avec « des gens qui ne sont rien » trop empêtrés par les difficultés du quotidien pour pouvoir goûter autant qu’il le faudrait aux joies de la mondialisation. L’irruption du numérique et la révolution des algorithmes vont permettre des gains de productivité gigantesques dans tous les aspects de la vie et créer en conséquence d’innombrables cohortes de désemployés. Les structures mêmes de la vie quotidienne seront chamboulées de l’enseignement à la médecine, de la recherche aux activités culturelles, créant de nouvelles opportunités pour les uns et des pièges sans fond pour les autres.
La « concurrence libre et non faussée » érigée en dogme permettra de se débarrasser de toute mauvaise conscience à piétiner ses proches pour se hisser aux sommets. Toute rébellion pourra être neutralisée, si besoin est, en utilisant les données stockées et gérées dans les Big data centers d’ailleurs essentiellement créés pour ce faire. L’autorité suprême est déjà, mais sera plus encore, un algorithme, les politiques ne faisant que la parer de paroles verbales émouvantes et inutiles.
Les inégalités seront segmentées selon des groupes sociaux, ethniques, sexuellement compatibles, religieux… dans lesquels une infime minorité de leurs membres pourra accéder au Graal, la richesse. Chacun des groupes aura un clergé, un ordre, une confrérie qui donneront à la multitude l’espoir de l’égalité des chances et des destins, de n’être pas rien, car on ne peut pas vivre sans espoir.
La discipline collective proviendra du refus de tous à devenir misérables et l’objectif de quelques-uns à devenir riche. Ceux qui n’auront pas accès aux richesses réelles pourront se repaître de toutes les formes de réalités virtuelles peu énergétivores, peu demanderesses en matières premières et contrôlables par les génies de l’informatique. Alors Cuba ou La Jamaïque ? Un régime autoritaire mené par des dictateurs plus ou moins choisis ou une démocratie sans le peuple qui ne peut fonctionner qu’avec une société binaire, le 0 des miséreux et le 1 des puissants ?
Il ne sera pas facile pour des gens sages de former un système collectif s’ils sont environnés d’autres, crétinisés, qui ne songent qu’à les asservir. Qui ou quoi rendraient ces derniers inoffensifs : la morale ? L’éthique ? La réglementation ? La loi ? La main invisible ?