AU LENDEMAIN de l’annonce, le 20 mai, du délai de 90 jours pour appliquer l’interdiction visant Huawei, Ren Zhengfei a confié dans un entretien de groupe avec China Media Group, que cette licence temporaire accordée à son entreprise « n’a que peu de sens ». Mieux, Huawei est pleinement préparé. « Les décisions du gouvernement américain ne dépendent pas de notre bonne volonté, donc le plus important, c’est de bien faire notre travail », a déclaré le PDG de Huawei. Qui a saisi cette occasion pour exprimer toute sa reconnaissance envers les entreprises américaines qui ont accompagné Huawei depuis 3 décennies et qui ont beaucoup contribué à son succès. « Elles nous ont appris à avancer », a-t-il dit, rappelant que la majorité des cabinets de consulting qui travaillent avec Huawei sont américains. Par exemple, IBM et Accenture comptent parmi les partenaires de Huawei.
« Depuis tout ce temps, les fournisseurs américains de composants et de pièces détachées ont été un soutien très important pour nous. Nos partenaires américains ont fait preuve de sens de justice et de bonne foi en période de crise… Nos fournisseurs américains font tout pour nous approvisionner. Un vieil adage chinois dit : une cause juste attire beaucoup de soutien, une cause injuste en trouve peu. Aujourd’hui même, nos partenaires américains négocient avec leur gouvernement pour obtenir l’autorisation de nous fournir des composants », a déclaré Ren Zhengfei.
En effet, toute entreprise américaine qui désire vendre ses produits à Huawei, doit d’abord obtenir une autorisation. Huawei se trouvant sur la liste des entités du gouvernement visées par l’Administration Trump. Pour le PDG de Huawei, les entreprises américaines partagent le même destin que son entreprise, en tant qu’acteurs de l’économie du marché. « Si les hommes politiques américains nous font ce coup, c’est qu’ils sous-estiment notre capacité », a-t-il encore fait remarquer.
La 5G, pas touchée
Si les produits marginaux qui n’ont pas de « pneu de rechange » sont destinés à l’élimination, les produits relevant des domaines de pointe ne le sont pas, du moins pas la 5G. « Non seulement la 5G n’est pas touchée mais en plus, les autres ne vont pas pouvoir nous rattraper dans deux ou trois ans. Ce que le gouvernement américain a l’intention de faire dépasse notre contrôle, et pour Huawei, ce qui compte, c’est de s’assurer que le travail est bien fait », a encore indiqué Ren Zhengfei aux journalistes. Depuis une année, Huawei est soumise au contrôle des Américains : « Mais cela n’a aucune incidence sur les sociétés américaines. Ce sont les politiciens américains qui sont à blâmer et leurs actions sous-estiment notre force. » Pour Ren Zhengfei, la technologie 5G développée par Huawei ne sera pas affecté par les restrictions américaines. La capacité de production de masse de Huawei est toujours très forte et que l’interdiction ne causera pas de croissance négative pour la société.
Ren Zhengfei a insisté sur le fait que Huawei est une société commerciale. Par conséquent, l’achat de ses produits dépend de la préférence des consommateurs. Il est donc faux de lier les produits de Huawei à la politique. Les investissements de R & D aux États-Unis dans le secteur de la recherche respectent les lois locales et l’utilisation des retombées scientifiques de nos partenaires entraîne des frais qui relèvent de l’activité commerciale, a-t-il ajouté. Huawei a créé une dizaine de centres de R & D à travers le monde, et les bénéficiaires des investissements à l’étranger des entreprises sont des instituts de R & D mondiaux, y compris des établissements d’enseignement supérieur américains.
Huawei se bat pour un idéal, c’est pourquoi l’entreprise refuse les entrées de capitaux. « La cupidité du capital compromettra la réalisation de nos idéaux ». Le PDG a souligné que la société n’excluerait pas de manière imprudente ou étroite l’utilisation des microprocesseurs américaines et a parallèlement fait appel au développement commun de la technologie de la puce électronique. Il a ajouté que Huawei fabriquait elle-même la moitié de ses microprocesseurs, tandis que l’autre moitié provenait des États-Unis, ajoutant que Huawei ne serait pas isolée du monde. « Nous pouvons fabriquer les mêmes microprocesseurs que nos homologues américains. Cependant, cela ne signifie pas que nous n’achèterons pas de microprocesseurs américains », a-t-il dit. Et d’ajouter : « Dans le domaine de la 5G, Huawei est à l’avant-garde, même s’il est indéniable qu’il existe encore un énorme fossé entre la Chine et les États-Unis. »
C’est pourquoi il faut progresser ensemble. Si jamais il y avait une rupture de fourniture, cela ne poserait pas de problème parce que Huawei est à même de fabriquer toutes les puces haut de gamme. « En temps de paix, nous appliquons la politique de 1+1, c’est-à-dire utiliser à moitié les puces américaines et à moitié nos puces. Même si celles de notre propre fabrication coûtent bien moins cher, nous continuons à acheter les produits américains à un prix élevé parce qu’au lieu de nous isoler, il faut nous intégrer. L’amitié entre les entreprises américaines et nous a traversé des décennies et ne sera pas effacée par un document. Nous allons, dans l’avenir, continuer à acheter des quantités importantes de composants américains dès lors que c’est autorisé par Washington ».
Il est peu probable que le gouvernement américain donne l’autorisation tout de suite : « Un moment de répit nous va bien. Si nos partenaires obtiennent l’autorisation, nous allons faire du business avec eux comme d’habitude. Il faut bâtir la société numérique de l’humanité ensemble, au lieu de le faire tout seul. » Dans les domaines scientifique et technologique, les Américains méritent notre respect pour leurs recherches et leurs produits. « Il faut apprendre auprès des Américains. Nous avons encore beaucoup de faiblesses. Sachez que beaucoup de petites entreprises américaines ont des produits super avancés. Nous prenons de l’avance seulement dans notre propre secteur, mais quand on regarde le niveau général des entreprises américaines, on sait qu’elles sont fortes ».
Huawei continuera à rendre service à ses clients, en maintenant toujours une très forte capacité de production en masse : « La vitesse de croissance sera ralentie mais pas autant qu’on l’imaginait. Notre revenu durant le premier trimestre de l’année a augmenté de 39 % par rapport à la même période de l’année précédente alors qu’au mois d’avril, ce chiffre est passé à 25 %. On prévoit davantage de ralentissement d’ici la fin de l’année mais ce ne sera pas une décroissance ni une atteinte au développement du secteur. »
Tout a été déjà prévu
Si jamais il y avait une rupture de fourniture, quels impacts sur l’industrie ? « Il n’y aura jamais de rupture de fourniture pour notre entreprise parce que tout a été prévu. Au début de cette année, je pensais que ce coup américain aurait lieu peut-être dans deux ans, parce que de toute façon, il va falloir attendre un verdict prononcé sur cette affaire opposant le gouvernement américain et nous pour qu’ensuite les Américains nous imposent des sanctions. Quel que soit l’issue du procès, ils allaient finir par nous donner ce coup. On aurait encore deux ans pour nous préparer. Mais à cause l’arrestation de Meng Wanzhou, le détonateur a été déclenché à l’avance. »
Cette situation difficile va durer combien d’années ? « Posez plutôt cette question au président Trump. Je pense que ces évènements sont une épée à double tranchant : d’un côté il y aura des impacts sur nous ; mais de l’autre côté, ce sera un stimulant pour que la Chine développe son secteur électronique de façon systématique. » Pour développer l’industrie, le gouvernement chinois a, dans le passé, dépensé des sommes pharamineuses mais l’argent ne fait pas tout. La Chine a construit des ponts, des routes et des bâtiments… On pense que l’argent fera également l’affaire cette fois-ci mais non, avec les puces, l’argent tout seul ne suffit pas. Il va falloir mettre de l’argent sur les mathématiciens, les physiciens, les chimistes etc.