Quand nous étions gosses, nos maîtres nous faisaient apprendre par cœur le règlement de l’école sous la forme d’une chanson. Pour autant que je me souvienne encore de paroles (que mes congénères ne se gênent pas de rectifier), elle se déclinait ainsi :
Règlement aux élèves de l’école
Celui qui manque sans motif sérieux
Sera puni autrement il sera renvoyé
Allons, allons à l’école !
C’est ainsi, je crois, que nous avons intériorisé des valeurs simples mais fondamentales pour la vie : le sens du respect de l’autorité, le culte du devoir face à un engagement pris, de la responsabilité quant à son devenir, etc. Aujourd’hui, eh oui aujourd’hui, on peut palabrer sans fin sur les anciens et les modernes, sur le conflit générationnel, et j’en passe. Mais, ce qui est certain, manifeste, indiscutable, c’est que la société congolaise nage dans l’anomie. C’est la dérive des valeurs. On s’est installé dans le règne du n’importe quoi, de la débrouillardise au propre et au figuré. Non seulement on ne sait pas où l’on va, mais, pire, on ne sait pas où l’on est, on ne cherche même pas à le savoir. Comme l’écrivait un de nos romanciers, on est dans quelque chose qui s’apparente à un fula-fula, mais on ignore où est le devant, ou est l’arrière ; qui est le conducteur et vers quelle destination on se dirige, si jamais le tacot démarrait, puisque ses pneus sont troués…
S’il fallait encore le démontrer, j’en veux pour preuve les récentes tribulations des sept passagers qui ont été expulsés d’un navire et jetés en haute mer, tout simplement parce qu’ils auraient dit aux membres de l’équipage qu’ils prenaient une mauvaise direction. C’est du moins ce qu’on nous a dit ! Ces infortunés ont été (heureusement ?) récupérés par l’équipage d’un navire concurrent, en dérive comme l’autre, dans cette mer déchaînée.
Vous avez bien compris de quoi et de qui je parle, mais, contrairement aux apparences, le sujet ne fait pas rire. En effet, de nos hommes politiques nous sommes en droit d’attendre mieux que des combines et pantalonnades propres à alimenter l’inspiration d’un auteur de séries américaines. Tout laisse pourtant entrevoir que nous ne sommes pas au bout de nos sensations, car les épisodes de ceux qu’on a désignés « frondeurs », « G7 » sont loin de s’achever.
On aurait aimé à propos de ces frondeurs entonner le pathétique refrain de Guy Béart qui vient de passer l’âme à gauche : « Le premier qui dira la vérité, sera exécuté ! ». Mais ce n’est certes pas à nos politiciens, tutti quanti, que pensait le célèbre chanteur décédé. Et puis la vérité… On connaît la terrible interrogation de Pilate à Jésus : « Qu’est-ce que la vérité ? »
Qu’est-ce que la vérité chez nos politiciens ? De quelle idéologie se réclament-ils pour justifier leur bipolarisation ? Sur quel idéal fonde-t-il leur ambition politique, eux à qui tous les coups sont permis ? On aurait bien aimé savoir s’il existe des statuts, comparables à notre règlement de l’école, au respect desquels sont jugés les comportements des uns et des autres.
On aurait bien aimé comprendre pourquoi leur curriculum vitae devient tout d’un coup noirci dès qu’ils quittent le navire. Et comment peuvent-ils, ça c’est le comble, passer allègrement d’un bord à l’autre ; abhorrer aujourd’hui ce qu’ils adoraient hier. Ou le contraire. Comme ça, sans état d’âme.
Vous me direz que tout cela est de bonne guerre et qu’il faut être un naïf comme vous et moi pour plancher là-dessus. Vous avez raison ! La politique n’est pas faite pour les enfants de chœur car elle n’a que faire des sentiments et… de la vérité. Chacun a sa vérité en politique. Et la meilleure vérité est celle qui gagne, qui permet de gagner. Vae victis ! (malheur aux vaincus), ainsi s’exclamaient les Romains pour plaindre les perdants.
Laissons donc ceux qui nous gouvernent et ceux qui aspirent à le faire se livrer à leur jeu favori, celui de compter les poux dans la tête de l’adversaire ; de vanter les prouesses de son armure et l’élégance de ses ramures. Laissons-les pour nous tourner vers notre jeunesse, c’est-à-dire vers ceux qui, en nombre, constituent la majorité de notre population et qui seraient, ne soyons pas pessimistes, susceptibles de s’améliorer, capables d’un sursaut de vertu, de bonne moralité.
Est-ce qu’on leur dit encore que rien ne s’obtient sans peine ? Que la culture de la facilité qui se décline sous plusieurs formes dans notre société (lingala facile, un temps-un temps, etc.), c’est du leurre ? Est-ce qu’on leur dit encore qu’il faut des règles dans toute société, qu’à toute pétition légitime des droits correspond un cahier des devoirs incontournables ; que sans la norme, la réussite est une gageure ? Que rien de solide, de consistant, de durable, ne s’opère dans la précipitation, dans l’improvisation, dans l’amateurisme ?