Le projet Ilebo-Kinshasa Railway, tel qu’en lui-même

Relier par le rail la capitale de la RDC à la cité portuaire à l’intersection du Kasaï et du Bandundu est un vieux rêve colonial. Plusieurs projets de construction de la ligne ferroviaire ont été imaginés depuis, sans qu’aucun n’aboutisse à la réalisation. A&M International Development and Investment SRL tient à gagner le pari.

IL Y A aujourd’hui un débat de fond entre experts sur les principales fonctions dédiées au rail en Afrique. Pour les uns, les lignes ferroviaires participent de l’aménagement du territoire. Pour les autres, elles sont tout simplement le prolongement de l’exploitation minière. En République démocratique du Congo, les chemins de fer ont pratiquement cessé d’exister. À l’Ouest, le chemin de fer Matadi-Kinshasa (CFMK) participe encore, tant bien que mal, aux activités de transport entre la capitale congolaise et son débouché maritime. Au Sud-Est, la Société nationale des chemins de fer du Congo (SNCC) tente d’assurer, non sans difficulté, la liaison Lubumbashi-Mwene-Ditu-Kananga.

Les Congolais apprennent dans les livres de l’histoire de leur pays la célèbre citation de l’explorateur Morton Stanley : « Sans chemins de fer, le Congo ne vaut pas un penny ». Pendant l’époque coloniale, et même dans les années qui ont suivi l’indépendance du pays en 1960, le rail a joué pleinement son rôle d’artère vitale en formant le premier maillon d’un système de transport ferro-fluvial unique en Afrique (Huybrechts, 1970). 

Aujourd’hui, faire renaître le modèle fluvio-ferroviaire d’origine coloniale, et prolonger la voie ferrée d’Ilebo à Kinshasa sont présentés comme des solutions pour résoudre les problèmes de transport dans le cadre de l’aménagement du territoire mais aussi de la croissance économique. L’avenir durable du chemin de fer ne réside pas essentiellement dans son rôle irremplaçable pour le transport de produits miniers (Spoornet, 2004) et d’autres produits, notamment agricoles, mais aussi dans celui des voyageurs. 

Économie mondialisée

Aujourd’hui, le train colonial qui a joué dans le passé un rôle considérable dans la structuration des territoires, est remplacé par le train de l’économie mondialisée, ce qui assure l’avenir des voies ferrées minéralières. Aujourd’hui, quantité de marchandises partent de Chine par rail pour atteindre l’Europe en quelques jours seulement… 

La ligne Ilebo-Kinshasa fait l’objet d’attentions internationales. Elle est perçue comme la continuité du transport ferroviaire entre le port en eau profonde de Banana à l’Ouest et le Centre, l’Est et le Sud-Est, et au-delà avec la Zambie, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud. 

L’objectif est de permettre l’interconnexion et l’interopérabilité des zones économiques (CEEAC, COMESA et SADC). Cependant, au-delà de cette vision panafricaniste d’intégration économique, la construction du chemin de fer entre Ilebo et Kinshasa vise sur le plan intérieur la connexion des réseaux ferroviaires existants : Sakania-Ilebo via Kananga et Matadi-Kinshasa, Lubumbashi-lac Tanganyika, Kisangani-Ubundu-Uele…

C’est une ligne d’environ 870 km. Par exemple, dans l’étude du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), on décrit que la ligne sera à écartement standard de 1,435 m pour une charge maximale à l’essieu de 23 tonnes. Électrifiée par caténaire (25KV-50Hz), elle comprendra une voie unique, avec vingt-six gares intermédiaires. La ligne sera connectée à la voie Matadi-Kinshasa, au pont route-rail Brazzaville-Kinshasa sur le fleuve Congo, au réseau ferré de la RDC, et à la ligne Ilebo-Lubumbashi-frontière avec la Zambie. Cette ligne ferroviaire offrira également la jonction avec la ligne Kolwezi-Lobito traversant l’Angola jusqu’au port de Lobito.

Dans tous les cas, et quel que soit le projet, l’objectif est d’optimiser les échanges extérieurs de la RDC par la diversification d’accès à la mer, et constituer un maillon non négligeable pour l’interconnexion à terme des réseaux ferroviaires d’Afriques centrale, orientale et australe.

Au demeurant, cette ligne est appelée à devenir un « axe stratégique » pour le développement économique, social et culturel de la RDC. Ce sera une plateforme de transport de fret (minerais, céréales, carburants, ciment, containers, remorques de camions, camions entiers, etc.) et de voyageurs. Se situant sur le corridor ferroviaire Pointe-Noire-Kinshasa-Ilebo-Lubumbashi-Lusaka-Durban, la ligne permettra l’extension de la voie ferrée Matadi-Kinshasa pour attirer le trafic minier du centre du pays, et promouvoir les échanges vers l’Est et le Sud-Est du pays, et au-delà, vers les régions est et sud de l’Afrique. 

Études dans le passé

Différentes études préliminaires avaient été faites dans le passé, mais les données existantes sur ces études sont incomplètes, dispersées et parfois trop anciennes. C’est pourquoi, pour la réalisation de son projet Ilebo-Kinshasa Railway, A&M International Development and Investment SRL qui a besoin d’une approche globale, a recouru à AECOM, fournisseur unique des services d’ingénierie de l’EPCF. 

AECOM propose donc de mettre à jour l’étude existante, concevoir de nouvelles sections ferroviaires pour la construction, y compris une nouvelle conception du pont sur le fleuve Congo, la mise à niveau de la conception des sections ferroviaires existantes. Mais aussi la conception des stations de la ligne (nouvelles et existantes), la spécification de la signalisation de ligne et du matériel roulant de ligne, et enfin la gestion du projet pendant la construction.

Depuis plusieurs années, les études ont porté sur les analyses des données de trafic, des informations d’ordre économique et social, des aspects relevant de l’occupation des sols, la topographie, l’hydrologie, la géotechnique, ainsi que sur les analyses des données climatiques, des matériaux de construction… Selon les experts du NEPAD, la construction du chemin de fer Ilebo-Kinshasa nécessiterait plus de 435,3 millions dollars, sans les études des risques environnementaux et sociaux. La Banque africaine de développement (BAD) a financé les premières études avant-projet, et n’attend que la requête de la RDC pour passer à l’étape suivante.

Bref, il n’y a jamais eu « réelle volonté politique » de concrétiser le projet, estiment des experts de la mobilité. 

Qui pensent que le projet porté par A&M International Development and Investment SRL est « révolutionnaire ». Comme l’explique Roland Pourtier, « les chemins de fer africains ont été les infrastructures de transport les plus emblématiques de la colonisation : outils de contrôle des territoires, d’accès aux espaces enclavés, d’exportation des matières premières… ». 

Seule dans le continent, l’Afrique du Sud possède un véritable réseau, dense et opérationnel, qui se prolonge par des appendices pénétrant l’ensemble de l’Afrique australe : Zimbabwe, Zambie (et au-delà Katanga), Mozambique, Namibie. Aujourd’hui, les chemins de fer africains sont confrontés à la concurrence de la route qui condamne de nombreuses lignes. Par exemple, le chemin de fer Matadi-Kinshasa. 

Avantages comparatifs

« Les avantages comparatifs du rail ne s’affirment que dans le transport des pondéreux, des produits non périssables, comme le montre l’organisation multimodale des transports dans les corridors de développement. Ce sont les voies ferrées minéralières qui offrent les meilleures perspectives dans un contexte de croissance de la production minière. La question de l’avenir du chemin de fer est ainsi posée entre aménagement du territoire et exutoire minier », écrit Roland Pourtier

Par exemple, l’ex¬ploitation du cuivre a commencé en 1910 à Lubumbashi dès qu’un raccordement ferroviaire avec le réseau d’Afrique australe a permis le transport du cuivre vers les ports d’Afrique du Sud (East London, Port Elisabeth). 

Les colons belges avaient la volonté de construire un système de transport entre le Katanga-Matadi-Anvers (Lederer, 1982, Charlier 1993) pour « réduire la dépendance vis-à-vis des pays de transit et d’exportation ». Mais l’équipement en voies ferrées n’étant pas poussé à son terme, le transport fluvio-ferroviaire s’est imposé. 

Ainsi, d’Ilebo (ex-Port Franqui) à Kinshasa la voie fluviale (rivière) Kasaï-(fleuve) Congo s’interposa entre le BCK et le CFMK. Les partisans de la ligne ferroviaire continue Katanga-Matadi (Jadot, 1952) ne purent imposer leur point de vue. Depuis l’indépendance, ce projet, tel un serpent de mer, a refait périodiquement surface (Murairi J.B., 1970), jusqu’à ce qu’A&M International Development and Investment SRL propose du concret, vite et maintenant.